Suite de la biographie de Gabriel Pinson
Le scrutin municipal de mai 1884 voit la victoire des candidats républicains, qui recueillent environ 85% des suffrages exprimés, contre 15% pour les conservateurs. Au sein des républicains, on note le retour d’éléments de la gauche radicale, y compris plusieurs des anciens élus écartés en 1881 comme Demeestère et Diot ou une personnalité radicale parisienne, Jules Ferdinand Baulard. Pinson lui-même est élu dès le premier tour avec 387 voix, un peu moins que ses adjoints Nicolas Chéret et Eugène Voisin.
Le renforcement du nombre des élus radicaux, joints à l’apparition d’un hebdomadaire de cette tendance, Voix des communes, couvrant l’actualité du canton de Charenton, va amener à des relations politiques plus tendues. Ainsi, une proposition de suppression de l’octroi en août 1884 met face-à-face les commerçants, qui aimeraient augmenter leurs marges, et les contribuables bourgeois, qui redoutent une hausse de leurs impôts. Elle est abandonnée. En novembre la même année, certains élus de gauche veulent que les séances du conseil municipal se tiennent en soirée, pour permettre aux public et aux élus travaillant en dehors de la ville d’y participer, mais Pinson refuse au nom de la tradition qui les fait se réunir l’après-midi.
Pinson se rapproche cependant de certains des élus les plus engagés sur la question de l’anticléricalisme, car il est lui-même franc-maçon. Ainsi, le conseil municipal entre en conflit en juillet 1884 avec le curé et le conseil de fabrique, qui gère les moyens de la paroisse. Il supprime l’indemnité de logement accordée au desservant de l’église Saint-Charles, la seule de la commune.
La lutte entre d’une part le prêtre Ernest Jouin, un intellectuel en pointe dans la lutte contre la franc-maçonnerie, et d’autre part les libres-penseurs de l’assemblée communale, va atteindre un pic en avril 1885. Suite à des irrégularités dans la comptabilité des recettes des pompes funèbres, le maire avait obtenu du ministre de l’intérieur et des cultes la dissolution du conseil de fabrique. La reconstitution d’un conseil nécessitait que le préfet et l’archevêque de Paris désignent chacun deux représentants, en sus du maire et du curé, membres de droit. Sur la suggestion de Pinson, le préfet désigna Honoré Jullien et Jules Ferdinand Baulard, deux conseillers municipaux notoirement francs-maçons et franchement anticléricaux.
Ayant besoin de faire approuver les comptes de l’exercice précédent et de voter le nouveau budget, le curé convoqua le conseil de fabrique pour le 11 avril 1885. Le maire s’y présenta accompagné de Baulard, mais il eut la surprise de voir les membres révoqués de l’ancien conseil. Il s’en étonna et, en réponse, on lui rétorqua que, le cardinal-archevêque n’ayant pas nommé ses délégués, le nouveau conseil n’était pas entièrement constitué ; par ailleurs, Ernest Jouin soutenait que, puisqu’il s’agissait d’apurer les comptes antérieurs, c’était aux fabriciens sortants de le faire.
Des échanges très tendus s’ensuivirent, les partisans de l’abbé Jouin exigeant le départ de Baulard qui avait traité le trésorier de « voleur ». Ils distribuèrent des noms d’oiseaux : « Canailles, voleurs, francs-maçons, buveurs d'absinthe » et, le maire ayant rappelé la décision préfectorale concernant le conseil dissous, le curé déclara : « je me fiche du préfet… » Les élus municipaux allaient quitter la salle quand Gabriel Pinson, qui marchait mal du fait de la goutte dont il était atteint, fut saisi au collet par le trésorier, Victor Durand, et jeté à terre.
La justice fut saisie et plusieurs procès furent organisés. S’agissant des voies de fait, Durand fut, en première instance, condamné à six jours de prison et un franc de dommages et intérêt, mesure réduite, en appel, à 16 francs d’amende. Sur la question de la légalité de la réunion du conseil de fabrique, c’est un jugement de janvier 1886, confirmé en mars par la Cour d'appel de Paris, chambre correctionnelle puis par la Cour de cassation en octobre de la même année. Les membres révoqués furent condamnés chacun à 25 francs d'amende.
À suivre
L'église Saint-Charles à Joinville

commenter cet article …