Émile Adolphe Guichard naît le 7 mai 1849 à Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne). Il est le fils d’Anne Camus et de son époux, Étienne Ambroise Guichard. Ses deux parents sont originaires de l’Yonne. Son père est entrepreneur de peinture et vitrerie.
Devenu également peintre en bâtiment, Émile Guichard épouse en juillet 1878 à Joinville Marie Julie Nerrant, fille d’un journalier de l’Indre. Il reprend puis gère l’entreprise familiale.
Comme son père et son frère Eugène, Émile Guichard soutient en juillet 1888, avec 17 personnes formant un « groupe d’électeurs de la commune attachés aux institutions républicaines », la candidature d’un mécanicien, Amédée Gosset, pour une élection municipale complémentaire après la mort du maire Gabriel Pinson. Gosset, héritier d’une dynastie politique locale, est appuyé par le journal Voix des communes, qui a pour chroniqueur un radical-socialiste classé à gauche, Henri Vaudémont. Il est élu conseiller municipal et le républicain Eugène-Voisin devient maire. En mai 1896, Guichard est l’un des quatre membres du bureau qui organise le compte-rendu du mandat des élus municipaux de Joinville.
L’engagement local d’Émile Guichard se fait principalement au sein de la compagnie de sapeurs-pompiers de Joinville, où il s’engage en 1875, à 25 ans. Il en est le responsable avec le grade de sous-lieutenant en décembre 1892. Il sera nommé lieutenant en 1898. Son frère Eugène sert également dans la même compagnie.
En février 1895, l’explosion d'une chaudière à l'usine du Bi-Métal, installée à Joinville, fait cinq morts, dont un nouveau-né, et trois blessés graves. Les pompiers de Joinville sont mobilisés, avec les compagnies des communes alentour et les militaires de l’école de gymnastique du Bois de Vincennes. L’émotion est très forte dans la ville.
Les sapeurs-pompiers organisent chaque année un banquet, en novembre ou décembre, pour mobiliser des fonds de soutien. Émile Guichard quitte ses fonctions actives en 1900, pour raison de santé ; on lui remet une épée d’honneur à Guichard pour ses 25 ans de service. Mais il reste secrétaire de la Société de secours mutuels des sapeurs-pompiers de Joinville dont il a été le fondateur.
Émile Guichard meurt le 6 janvier 1911 à Joinville. Il était âgé de 61 ans. Il avait reçu cinq médailles pour actes de dévouement, dont, en décembre 1907, une médaille d’honneur pour ses 30 ans de service. Il avait aussi été attributaire de trois décorations au titre de son activité mutualiste, dont une médaille d’argent en juillet 1906. Il avait aussi été décoré des Palmes académiques en tant qu’officier d'académie en juin 1906. Enfant, il était lieutenant honoraire.
Lors de ses obsèques au cimetière de Joinville, c’est l’adjoint au maire Georges Briolay qui, en l’absence du maire, malade, lui rend hommage aux côtés d’officiers des sapeurs-pompiers de Joinville et des villes voisines. Son rôle mutualiste est particulièrement mis en avant. Le fils d’Émile, Jules Charles Guichard, sera également officier des sapeurs-pompiers de Joinville.
Étienne Ambroise Guichard naît le 25 janvier 1821 à La Branche-du-Pont-de-Saint-Maur (Seine, act. Joinville-le-Pont, Val-de-Marne). Il est le fils de Geneviève Bourdillat, originaire de l’Yonne et de son époux Charles Félix Guichard, natif de Paris. Ils sont jardiniers et vivaient à Charenton puis à Saint-Maur-des-Fossés (Seine, act. Val-de-Marne) avant de rejoindre le village de La Branche. Étienne est le cadet de leurs six enfants.
Son épouse, Anne Camus, une couturière avec laquelle il se marie en août 1843 à Joinville, est également issue d’un village de l’Yonne.
Devenu entrepreneur en peinture et vitrerie, Étienne Guichard se voit attribuer, en septembre 1853, le lot correspondant pour la construction de l’église de Joinville-le-Pont, nouveau nom de sa commune de naissance ; très rare commune sans lieu de culte, Joinville va se doter de sa première église avec d’importants dons de la famille du maire, Charles Pierre Chapsal. Guichard constitue une société pour gérer son activité en 1861. Elle est basée dans le centre-ville, rue de Paris, là où il vit également.
En juillet 1875, Guichard participe, comme une très grande part de la population locale, à la souscription en faveur des inondés.
Sur le plan politique, la municipalité joinvillaise est restée conservatrice après l’établissement de la troisième République, même si les élus bonapartistes ont été éliminés. Après la mort du maire, Gabriel Pinson, une élection municipale complémentaire est convoquée en juillet 1888. Étienne Guichard fait partie, avec ses deux fils Émile et Eugène, du « groupe d’électeurs de la commune attachés aux institutions républicaines », 17 électeurs qui soutiennent la candidature d’un mécanicien, Amédée Gosset. Le journal Voix des communes, qui a pour chroniqueur un radical-socialiste classé à gauche, Henri Vaudémont, commente ainsi : « L’homme est sympathique (…) Ses capacités sont moyennes, son ambition des plus modérées, ses idées d’un progressisme médiocre. »
En matière sociale, Étienne Guichard est trésorier de la société de Saint-Nicolas, une société de secours mutuels basée à Saint-Maur-des-Fossés.
Étienne Guichard meurt le 14 janvier 1893 à Joinville. Il était âgé de 72 ans, décoré en juillet 1889 de la médaille d’argent de la mutualité et père de trois enfants. Son fils Émile continuera à l’exploiter l’entreprise de peinture et vitrerie, le second, Eugène, s’établissant comme menuisier.
L’hebdomadaire Voix des communes, anticlérical, s’étonne certes qu’il ait un enterrement chrétien mais lui rend hommage : « Le père Guichard, brave homme, franc-parler, causticité toute gauloise. Allocution de Marin, secrétaire de la société de secours mutuel Saint-Nicolas [futur maire de Saint-Maur] ; présence de Baulard [futur député radical-socialiste] et Vaudémont. »
L’église Saint-Charles-Borromée de Joinville-le-Pont
Gaston Henri Eugène Desouches naît le 14 novembre 1878 à Paris (3e arr.). Il est le fils de Louise Bonnard et de son époux Eugène Jules Desouches, employé, qui vivent rue de Villehardouin.
Devenu menuisier, il débute son service militaire en novembre 1899 dans la 7e section de commis-ouvriers, mais est réformé en mars l’année suivante pour surdité.
S’étant établi comme entrepreneur de menuiserie, Mantes (Seine-et-Oise, act. Yvelines), rue Thiers, il épouse en décembre 1902 à Boulogne-sur-Mer Jeanne Ernestine Dubois, fille d’un charpentier.
La famille s’installe à Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne), dans le quartier de Polangis, d’abord dans la zone de La Péniche, où ils sont en 1911 puis avenue du Château (act. avenue Foch).
Pendant la première guerre mondiale, Gaston Desouches, qui réside désormais est mobilisé dans des services auxiliaires en mars 1915 dans la 22e section de commis-ouvriers. La même année, il est nommé caporal en juin puis sergent en novembre. Placé en sursis d’appel, il est affecté à l’entreprise de Raoul Jourdan, entrepreneur de travaux publics, située à Maisons-Alfort (Seine, act. Val-de-Marne), avenue Gambetta. Il est associé au capital de cette entreprise. En mars 1918, il est affecté à une entreprise parisienne, Chadlon (4e arr.).
L’entreprise Jourdan-Desouches a obtenu une commande importante de maisons démontables pour le compte du ministère du Blocus et des régions libérées. Elle est vendue, en septembre 1918 à l’Industrielle Foncière, dont le siège est rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris. Gaston Desouches rejoint la 24e section de commis-ouvriers en septembre 1918 puis est démobilisé en février 1919.
Son épouse Jeanne est, en mars 1918 une des membres du comité de la société de l’Allaitement maternel, une institution caritative de Joinville-le-Pont. Elle en devient vice-présidente et assume la responsabilité de l’association à la disparition de sa présidente d’honneur, Mme Lenormand en décembre 1921. Elle est encore engagée dans l’action sociale dans la même association comme dame enquêteuse en décembre 1923.
Gaston Desouches est candidat lors des élections municipales de novembre 1919 sur la liste du Bloc indépendant. Elle est conduite par Jules Beauvais, bijoutier, conseiller municipal sortant, de tendance libérale, et le docteur Georges Bitterlin, militant de l’Action française (royaliste). Elle s’oppose à une liste menée par Henry Vel-Durand, adjoint sortant, libéral dissident, qui regroupe également des radicaux-socialistes et des socialistes dissidents, ainsi qu’à une liste socialiste SFIO.
Au premier tour, la liste arrive en troisième position avec 26,2%, derrière celle de Vel-Durand à 44,8% et la gauche à 29,0%. Desouches obtient 405 voix (23,9%) pour 1 694 suffrages exprimés sur 1 715 votants et 2 491 inscrits. Le Bloc indépendant retire sa candidature avant le second tour et n’a pas d’élu.
Desouches est toujours résident à Joinville et patron d’une entreprise de menuiserie en 1921, mais il ne l’est plus en 1926. Il déplace son activité à Lyon (3e arr.) où il est actif en 1931.
Gaston Desouches meurt le 2 avril 1965 à Argelès-Gazost (Hautes-Pyrénées). Il était âgé de 86 ans, veuf, père de deux enfants et domicilié à Lourdes, dans le même département. Il ne laisse pas de succession.
Il n’a pas de lien avec Ernest Desouches (1839-1929), industriel dans la soie à Saint-Maurice (France) et Varsovie (Pologne) puis directeur de société d’assurance, républicain et artisan du rattachement du quartier de Gravelle à Joinville-le-Pont (1876-1878).
Joseph Timoléon Routier de Bullemont ayant choisi de s’appeler dorénavant Joseph Routier, un choix qu’il justifiera ensuite par son engagement républicain s’installe avec son épouse (selon le droit américain), Léonide, à proximité de Sacramento, capitale de la Californie.
Il doit devenir l’intendant du vaste domaine appartenant au capitaine Joseph Folsom, appelé Paterson, d’environ 6 lieues carrées, soit près de 140 km². Ce dernier fit partie des premiers militaires états-uniens venus s’installer dans le nouveau territoire desÉtats-Unis, en 1846. La Californie a été annexée suite après la guerre américano-mexicaine de 1845. Elle devient, en 1850, le 31e État de l’Union. Le nom de Folsom a été donné à la ville qu’il avait fondée sous le nom de Granite, à proximité de son exploitation.
Joseph Routier doit planter et entretenir une vigne et un verger. Cependant, les premières plantations ne peuvent être faites, les semences transportées par bateau ayant pourri. Folsom meurt en juillet 1856. Il reste cependant sur place, reprenant la gestion et, en 1863, la propriété d’une partie du domaine.
Il exploite une ferme, baptisée Rancho Rio de los Americanos, située sur la rive sud de l’American river, de près de 90 hectares, dont une quarantaine en vigne et autant en verger, une vingtaine d’hectares étant consacrés à l’élevage. Il cultive notamment des prunes, amandes, pêches, abricots et oranges. Ses vignes sont constituées à partir d’un cépage de Tokay. Son vin acquiert une grande réputation.
En 1858, Joseph Routier est inscrit sur les listes d’immigration du comté de Sacramento. En juillet 1859, il est inscrit sur les listes électorales. Une cérémonie religieuse de mariage de Charles Marie Joseph Timoléon Routier de Bullemont avec Léonide Jadin est célébrée dans l’église catholique de Sacramento en novembre 1863. Cette dernière est toujours légalement mariée en France.
En 1871, la ligne de chemin de fer Sacramento Valley Railroad ouvre une gare à proximité du domaine des Routier sur la ligne secondaire reliant Sacramento à Folsom. Elle prend le nom de Routier station ; un bureau de poste attenant, installé en 1887, se nomme également Routier postoffice, et le village qui se développe prend lui aussi la dénomination de Routier, comptant environ 75 familles installées dans les années 1890.
La desserte ferroviaire, après la fin de la guerre de Sécession, va favoriser le développement de la ferme. Une conserverie de fruits est installée en 1876. Les améliorations apportées aux fruits, notamment les prunes et les pêches, sont remarquées dans les journaux professionnels. Il obtient une médaille d’or en 1886 lors de l’exposition de la Citrus Fair Association de Sacramento.
Sa prospérité étant établie, Joseph Routier prend part aux affaires publiques. Il est une des personnalités de la communauté française de Californie. Il est ainsi, en 1870, président du comité constitué à Sacramento pour soutenir l’effort de guerre français. Après la défaite devant l’armée allemande, il reste vice-président du comité qui tient une réunion, en août 1871 dans la capitale californienne. La presse parisienne publie une de ses résolutions : « Nous, citoyens Français-Américains de Californie, félicitons cordialement la France du choix qu'elle a fait pour Président de la République française de M: A. Thiers, qui s'est montré son ami vrai en adoptant une ligne de politique ferme et droite, et qui ne froisse ni les susceptibilités des partis politiques ni les grands intérêts des puissances européennes; Nous félicitons le peuple français des sages réformes de l'instruction publique et de la nouvelle loi militaire, .qui sont les seules; et les plus solides bases de la régénération de la France et du respect dû à sa forme républicaine de gouvernement ». En 1872, le même comité lance une autre souscription pour la « libération du territoire », à savoir l’Alsace-Lorraine, incluse dans l’empire allemand.
Selon le témoignage de sa femme, Joseph Routier, après avoir appris la fin du régime de Napoléon III, aurait envisagé de se rendre en France. Une dépêche télégraphique envoyée début 1871 par pigeon voyageur à Paris (alors assiégée par les forces coalisées autour de la Prusse) depuis Saint-Bonnet (probablement Saint-Bonnet-de-Joux, Saône-et-Loire) à son frère Lucien, secrétaire général de la préfecture de police, mentionne « oncle inquiet sur Timoléon ». Il est peut-être fait référence à un projet de retour. Il ne serait cependant jamais revenu d’après son épouse.
L’instauration de la troisième République va permettre la restauration du droit de divorce, aboli en France le 8 mai 1816, puis rétabli par une loi du 27 juillet 1884. Léonide Jadin obtient un jugement du tribunal civil de la Seine rompant son union d’avec qu’André Borel d’Hauterive en juillet 1888 ; elle avait vécu, pendant 35 ans, dans une situation de polyandrie.
Au cours des années 1870, Joseph Routier s’engage dans la vie politique californienne. Il est d’abord juge de paix du Township de Brighton, où se situe sa résidence. En 1877, il est élu membre de l’assemblée législative de l’État qui tient sa 22e session ordinaire. Il figurait sur la liste du parti républicain. C’est avec la même étiquette qu’il est élu en 1882 membre du Sénat de Californie, où il siège jusqu’en 1886. Lorsqu’il finit son mandat, il devient président de la commission de la pêche et de la chasse, mise en place par le gouverneur. Il a à ce moment quitté la formation conservatrice pour rejoindre le parti démocrate.
L’environnement économique de l’activité viticole se dégrada dans les années 1890, du fait de la montée des ligues antialcooliques et de sécheresses. Joseph Timoléon Routier poursuivit cependant son train de vie assez dispendieux, du fait notamment de l’accueil de visiteurs fréquents, en s’endettant. Il dut céder une partie de son domaine à ses créanciers en 1894, puis le reste en 1897. Il ne conserva alors qu’une maison plus modeste.
Joseph Timoléon Routier de Bullemont fut tué le 5 février 1898 dans un accident, sa calèche ayant été renversées par un écart du cheval au moment où il rentrait dans son domaine le 6 février 1898 à Sacramento. Il était âgé de 72 ans. De nombreux journaux américains, de Boston à la Californie, publièrent des informations nécrologiques. Il en fut de même pour l’hebdomadaire de la communauté américaine à Paris. Il était père de trois enfants, issus de son deuxième mariage, dont deux moururent jeune ; son fils George était décédé en 1888 sur le domaine à 29 ans, après avoir eu deux descendants, fille et garçon.
Les lieux environnants le domaine continuèrent à porter le nom de Routier : le village, la poste, la gare. Au 21e siècle, l’ensemble est inclus dans l’agglomération de Sacramento ; une voie, Routier road, longue de 2 300 mètres, parcourt la ville à proximité de l’ancienne résidence.
Plusieurs des frères de Bullemont ont joué un rôle significatif en France ou en Belgique. L’aîné, Lucien (1822-1904) fut secrétaire général de la préfecture de police de Paris ; il épousa Louise Charlotte Jadin, sœur de la seconde épouse de Joseph. Emmanuel (1836-1913) devint membre de la Société royale de botanique de Belgique et auteur de plusieurs ouvrages. Alfred (1840-1872), natif de Belgique, a été critique d’art à Paris. Son neveu, Armand, fut commissaire de Paris à Joinville-le-Pont et Paris.
Charles Marie Joseph Timoléon Routier de Bullemont naît le 4 mars 1825 à Tailly (Somme). Il est le fils de Lucie Jenny Joseph Vassel et de son époux Alexandre Annibal Routier de Bullemont. La famille de son père est d’une petite noblesse de Picardie, lui-même étant propriétaire terrien.
La famille sera fort nombreuse, puisqu’elle a compté au moins 15 enfants nés vivants. Ils déménagent fréquemment, d’abord dans la Somme, puis à Paris en 1830 et en Belgique à partir de 1834, dans différentes provinces : d’abord celle de Liège, à Fallais, dans la commune de Braives puis en Flandre, à Anvers en 1840. Les parents s’installeront ensuite dans le Luxembourg belge, où ils procèderont à différents essais agricoles, avant de revenir s’installer en France, dans la Meuse, après la fin de la guerre franco-prussienne.
Pour sa part, Joseph Routier de Bullemont est employé, en 1846, au sein des cristalleries du Val-Saint-Lambert, installées près de Liège, sur le site de l’ancienne abbaye de Seraing.
Il quitte la Belgique pour s’installer, début 1848, à Paris. Il s’inscrit probablement à l’université et prend part à la révolution de 1848, qui renverse, en février, le régime du roi Louis-Philippe.
Son frère aîné, Lucien Routier de Bullemont (1822-1904), employé à la préfecture de police de Paris, est adhérent depuis février 1848 à la Société républicaine centrale, présidée par le dirigeant socialiste Louis-Auguste Blanqui. Il en devient un des orateurs. Cependant, en février 1850, il collabore avec le nouveau préfet de police, Auguste Carlier, pour lequel il rédige une circulaire aux commissaires de police titrée « Le socialisme, c'est la barbarie ».
Pour sa part, Joseph Timoléon Routier de Bullemont assurera être resté fidèle à ses convictions républicaines. Lors de la deuxième phase de la révolution, en juin 1848, il est membre de la Garde mobile, et domicilié dans la caserne de la Grande-Rue-Verte (Paris 8, act. rue de Penthièvre). La classe ouvrière parisienne s’est soulevée contre la suppression des mesures sociales prises par le gouvernement provisoire, et une partie des gardes territoriaux s’est solidarisée avec les insurgés. Il est inculpé pour sa participation à l’insurrection de Juin 1848. Le 30 juillet, la 3e Commission, qui siège en tant que conseil de guerre, décide de le remettre en liberté.
Selon les archives militaires françaises, il est recensé en 1849 pour le service militaire, ayant été omis sur le tableau de recensement de sa classe, en 1845.
Il s’oppose au coup d'État du 2 décembre 1851, organisé par Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République, pour se maintenir au pouvoir. Après avoir participé à une assemblée républicaine, rue d’Assas, il est incarcéré à la prison de Mazas, dans la capitale. La résistance, menée par les républicains et soutenue notamment par Victor Schœlcher et Victor Hugo, est un échec. Son frère Lucien lui rend visite dans sa cellule ; il lui conseille de choisir de s’exiler en Amérique pour sortir de prison. Libéré en janvier 1852 sur cette promesse, il obtient du futur empereur Napoléon III l’autorisation de passer neuf mois en Belgique auprès de sa famille avant de traverser l’Atlantique, suite à l’intercession en sa faveur de Léonide Borel d’Hauterive auprès du président de la République, le prince Napoléon. Celle-ci, née Jadin, musicienne, est issue d’une famille d’artistes proches des familles royales depuis plus d’un siècle. Elle est la sœur de Charlotte Louise Jadin, mariée depuis août 1848 à Lucien Routier de Bullemont, frère de Joseph Timoléon. Son mari est un avocat, également historien et éditeur de l’Annuaire de la noblesse.
En attendant son départ pour l’Amérique, Joseph Timoléon Routier de Bullemont épouse Claire Augustine Suleau en août 1852, à Paris (9e arr.). Peut-être est-elle liée à Élysée, vicomte de Suleau (1793-1871), conseiller d’État, préfet, directeur de l’administration des domaines et administrateur de sociétés, sénateur sous le second empire. Cependant, c’est avec Léonide que Joseph Timoléon embarque au Havre (Seine-Inférieure, act. Seine-Maritime) le 8 novembre 1852. Ils voyagent jusqu’à San Francisco, via le Cap Horn, un itinéraire de plus de six mois.
Selon le témoignage de Léonide en 1898, un juge ou un officiel, dont elle ne se rappelle plus la fonction exacte, les aurait mariés juste après leur arrivée le 31 mai 1853. À ce moment-là, ils ont tous les deux des époux en France. La femme légitime de Joseph Timoléon, Claire Augustine, meurt à Paris moins d’un mois plus tard, le 22 juin.
Marie Alexandre Lucien Routier de Bullemont naît le 28 janvier 1822 à Abbeville (Somme). Il est le fils de Josèphe Jeanny Lucie Vassel et de son mari, Alexandre Annibal Routier de Bullemont, propriétaire. Ils sont originaires du département, d’une famille de petite noblesse. Son père est agriculteur. Alexandre est le second des quinze enfants nés vivants du couple, dont quatorze, filles comme garçons, portent le prénom de Marie.
La famille s’installe en Belgique vers 1836, résidant dans la province de Liège, le Brabant puis le Luxembourg belge où Annibal Routier de Bullemont a une exploitation dans laquelle il procède à des essais de cultures nouvelles, notamment la spergule pour laquelle il est récompensé à l’exposition de Bruxelles en décembre 1848.
Installé à Paris, Lucien de Bullemont rentre comme employé à la préfecture de police de Paris en 1846, recruté par le préfet de police Alexandre-François Vivien. Il est chef de la comptabilité en 1848. En août 1848 à Paris (2e arr.), il épouse Charlotte Louise Jadin, fille d’un musicien et auteur dramatique, issue d’une famille comptant de très nombreux artistes.
Au surlendemain de l’abolition de la monarchie et de l’instauration de la deuxième République, il adhère le 27 février 1848 à la Société républicaine centrale, présidée par le dirigeant socialiste Louis-Auguste Blanqui. Ses séances se tiennent dans la salle du Conservatoire, rue Bergère. Routier de Bullemont devient un « des orateurs ordinaires du club Blanqui » selon Alphonse Lucas, auteur d’une histoire des clubs politiques pendant la révolution de 1848. Il partageait ce rôle avec Hippolyte Bonnelier et Arnoult Frémy, hommes de lettres, Alphonse Esquiros, Malapert, avocat, et Savary, ouvrier cordonnier puis employé au gaz.
Selon La Voix de la vérité, qui cite la Chronique de Paris et lui consacre un article en septembre 1850, de Bullemont « se signala dans les bureaux de la préfecture par l’activité de sa propagande socialiste ». Mais le journal assure que son engagement ne dura pas longtemps : Auguste Carlier, nouveau préfet de police, fit appel à lui, en février 1850, pour rédiger une circulaire aux commissaires de police, diffusée le 12 de ce mois, sous le titre « Le socialisme, c'est la barbarie ». L’auteur de l’article remarque que Routier de Bullemont « avait donc commencé par être tout ce qu'il y a de plus barbare avant que M. Carlier eût pris la peine de le civiliser. »
En récompense de son style, il fut nommé chef de division. Il poursuivit cet emploi sous le second Empire. Il siège, en tant que responsable de la gestion des fonds parisiens, à la commission instituée en novembre 1865 pour répartir les secours aux familles nécessiteuses atteintes par l’épidémie de choléra. Les aides furent distribuées à 3 000 familles et concernèrent 1 700 orphelins, dont 428 sans famille d’accueil.
Considéré comme bonapartiste par le quotidien La République, Routier de Bullemont remplace en septembre 1872 au secrétariat général de la préfecture de police M. Fouquier, bonapartiste également, passé au secrétariat du conseil d'État.
En septembre 1879, après une campagne du quotidien La Lanterne, il est révoqué de ses fonctions dans ce qu’un autre journal, Le Français, appellera une épuration. Quand il prit sa retraite, en 1886, La Lanterne soutient que par ce départ, « le tribunal de la Seine admettait les concussions [de Routier de Bullemont] comme prouvées. »
Ayant quitté son poste de fonctionnaire, il devint en 1979 directeur de la Compagnie parisienne de vidanges et engrais, présidée par Frédéric Lévy, ancien maire du 11e arrondissement de la capitale.
En 1881, il est directeur de la Banque de prêts à l’industrie à Paris. Il en est toujours administrateur en 1884.
Résidant à Bruxelles en 1889, il héberge Jacques Meyer, un escroc recherché par la police française, arrêté chez lui en
Ayant pris sa retraite, Lucien de Bullemont est installé à Aincreville, dans la Meuse. Il rejoint la Société des Amateurs naturalistes en juin cette année-là, qui le qualifie de « botaniste émérite » et salue « sa science approfondie des végétaux » et apprécie qu’il dispose d’un herbier de quinze mille plantes. La Société compte 71 adhérents. Lors d’une excursion en mai 1890, il est accompagné par son frère, Emmanuel Routier de Bullemont, qui réside à Bruxelles et est membre de la Société linnéenne de la capitale belge. Lors de l’assemblée générale de 1891, Lucien de Bullemont, mentionné comme « botaniste des plus expérimentés » est élu président d'honneur ; il conservera cette fonction jusqu’en 1900.
Lucien Routier de Bullemont meurt le 12 octobre 1904 à Paris (16e arr.). Il est inhumé à Charny-sur-Meuse (Meuse), où avait déjà été enterrée son épouse deux ans plus tôt. Il était officier de la Légion d’honneur depuis février 1866 après avoir été fait chevalier en 1856.
Plusieurs de ses frères jouent un rôle significatif en France, aux États-Unis et en Belgique. Joseph (1825-1898), d’abord militant républicain en France en 1848, deviendra agriculteur en Californie et membre du Sénat de cet État ; il épousa Léonide Jadin, probablement apparentée à la femme d’Alexandre. Emmanuel (1836-1913) fut membre de la Société royale de botanique de Belgique et auteur de plusieurs ouvrages. Alfred (1840-1872), natif de Belgique, a été critique d’art à Paris. Un autre de ses frères, Arthur (1830-1909) fut également responsable d’un service à la préfecture de police, tandis que le fils de ce dernier, Armand (1862-1894) a été commissaire de police.
Paul Jean Marie Bénit naît le 10 mars 1856 à Belleville (Seine, act. Paris). Il est le fils de Marguerite Charre et de son époux Alexandre Modeste Bénit, alors bronzier, plus tard marchand de journaux. Ils vivent rue des Jardins Saint-Paul à Paris (4e arr.), dans le quartier du Marais. Sa mère meurt quand il a quatre ans.
En décembre 1878 à Paris (15e arr.), Paul Jean Bénit épouse Émelie Julienne Zoé Blanchet, couturière. Ils vivent passage des Fourneaux dans cet arrondissement. Ils habitent en 1891 rue d’Angoulême (11e arr.) puis, à compter de 1896, à Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne), avenue de Joinville.
Paul Jean Bénit travaille en tant qu’opticien. En 1878, il est employé à la Société des lunetiers (SL). La SL est l’ancêtre du groupe Essilor, fondée en tant que coopérative en 1849 avant d’évoluer progressivement vers une structure de société plus classique. Il est voisin en 1901 à Joinville d’un autre opticien de la SL, Eugène Duhamel. En 1926, Bénit est toujours mentionné comme travaillant à la Société des lunetiers.
Une dizaine de personnalités de Joinville ont été associés à la Société des lunetiers : François Blaize, une des fondateurs et conseiller municipal ; Eugène Videpied, Pierre Jules et Stéphane Albert Tireau, ainsi qu’Eugène Thybaut, militants radicaux-socialistes ; Maurice Poitevin, tué lors de la première guerre mondiale ; Émile Cornu et Eugène Duhamel. Plus tard, Bernard Maitenaz, également joinvillais, sera aussi un des piliers d’Essilor, qui héritera d’une unité industrielle dans la commune, provenant de son autre ancêtre, SILOR.
Au mois d’août 1880, Bénit souscrit avec 81 autres personnes de la Société des lunetiers pour l'érection d'une statue d’Alexandre-Auguste, avocat et républicain progressiste, ministre de l'Intérieur du gouvernement provisoire institué lors de la révolution de février 1848, qui proclame la Deuxième République. Il fit notamment adopter le suffrage universel masculin.
La famille quitte Joinville, d’abord pour le boulevard Voltaire à Paris (11e arr.) en 1906 puis pour Saint-Maur-des-Fossés, commune limitrophe de Joinville en 1909. Ils résident avenue de Marinville et hébergent en 1926 les deux enfants de leur fils aîné, Paul Louis, devenu opticien, comme le cadet, Gaston Henri. Leur petit-fils, Roger Paul (fils de Paul Louis) le sera lui aussi.
Paul Jean Bénit meurt le 13 juin 1937 à Saint-Maur. Il était âgé de 81 ans.
Joseph Brégeot naît le 17 juin 1828 à Dompaire (Vosges). Il est le fils de Marie Catherine Laumont et de son mari, Jean-Baptiste Brégeot. Son père est, comme son grand-père paternel, instituteur ; il deviendra ensuite vigneron.
Comme eux, Joseph Brégeot devient instituteur en 1847 à Saint-Vallier (Vosges). Il fait la promotion auprès de ses collègues enseignants du quotidien La Réforme, journal fondé par Alexandre Ledru-Rollin qui défend des idées républicaines et sociales. Parmi ses collaborateurs, on a compté Étienne Arago, dramaturge et parlementaire républicain, qui fut maire de Paris en 1870, l’antimonarchiste Godefroy Cavaignac, l’historien socialiste Louis Blanc, membre du gouvernement provisoire de 1848, le philosophe Pierre-Joseph Proudhon, le fondateur de l’Internationale communiste Karl Marx, le ministre républicain qui supprima l’esclavage, Victor Schœlcher et le théoricien anarchiste Michel Bakounine.
L’attitude de Brégeot au cours des élections municipales de Saint-Vallier, est dénoncée par le sous-préfet de Mirecourt en janvier 1850 : « Il a amené presque toute la commune à voter pour les candidats de la liste la plus avancée ». Le même fonctionnaire mentionne une plainte du curé de Bouxières, village voisin qui l’accuse d’être rouge et d’utiliser la couleur rousse de ses cheveux pour illustrer ses convictions. Il propose : « Une suspension [...] le fera réfléchir [...] il a été réprimandé par le conseil supérieur dans sa séance du 14 août dernier. »
Après cette sanction, Joseph Brégeot quitte son poste et devient instituteur dans le village de Madécourt en 1853. En 1855, il est en poste à Nonville, dans le sud du département. Dans cette commune, il épouse Marie Augustine Galice, originaire de ce village. Il est ensuite muté en 1859 à Monthureux-sur-Saône, commune voisine et chef-lieu de canton. Il continue d’affirmer de défendre des positions radicales, socialistes et athées. Il est de ce fait de nouveau sujet à des ennuis avec l’administration, qui l’amènent à quitter les Vosges et l’enseignement. Installé à Paris vers 1864, il est employé de commerce en 1882 puis comptable en 1893.
Joseph Brégeot meurt le 24 février 1893 à Paris (4e arr.). Il résidait passage Saint-Paul. Âgé de 64 ans, il était père de deux enfants.
Ses obsèques civiles ont lieu au cimetière du Père-Lachaise où il est incinéré. Elles rassemblent un grand nombre de personnes, du fait de la personnalité de son fils Marie Henri Brégeot, di Henry Vaudémont, qui joue un important rôle dans la presse française ainsi que dans la vie politique et sociale de la 2e circonscription de l’arrondissement de Sceaux (Seine), au sud-est parisien. Des allocutions sont prononcées par Jules Ferdinand Baulard, député radical-socialiste et par Brisson-Joly, ancien conseiller général et personnalité de la franc-maçonnerie. On note aussi la présence du maire de Joinville-le-Pont, Eugène Voisin, commune dont son fils est conseiller municipal, ainsi que celle du secrétaire de la Fédération Française de la Libre-Pensée, au bureau de laquelle siège également son fils. Les intervenants célèbrent « le vieux républicain, le libre-penseur convaincu. »
Mise à jour de la notice publiée le 8 novembre 2018. Suite de la biographie d’Antoine Berné
Tout en continuant à disposer d’un logement à Paris, la famille Berné s’installe à Joinville-le-Pont, dans le quartier nouvellement loti de Palissy, sur la rive gauche de la Marne. Elle réside rue de Brétigny (act. avenue du Président-Wilson).
En février 1878, fait partie de la commission d’initiative qui « invite les chambres syndicales ouvrières, les sociétés de production, de consommation et tous les amis du travail à concourir à la formation d’un grand parti d'étude et d’action », dénommé Ligue républicaine du travail contre le paupérisme. Le siège est situé dans le magasin de l’Association des ouvriers tailleurs, rue de Turbigo. Plusieurs responsables de la société font, comme lui, partie des fondateurs comme Bance, Godfrin, Boyer et Toussaint notamment.
Le principal maître d’œuvre de la Ligue est Joseph Pioche, publiciste, employé de commerce et membre de plusieurs coopératives de consommation et de production. Le programme de la Ligue vise à : « Substituer : 1° Au régime, si compliqué et si onéreux des intermédiaires commerciaux, la méthode rationnelle, morale et peu coûteuse de la corporation: clé de voûte de la solidarité est de l’émancipation économique des travailleurs. 2° Au régime financier du monopole, le crédit professionnel gratuit. 3° A l’imprévoyance administrative et à la chanté impuissante, l’assurance industrielle obligatoire contre le chômage, les infirmités prématurées et la vieillesse. »
La Ligue préconise l’abrogation des lois restrictives de la liberté du travail et la création d’un Impôt proportionnel au revenu. Elle ne semble pas avoir eu d’existence au-delà de son lancement au premier trimestre 1878.
À la même période, Berné s’engage dans la vie politique de sa commune, à Joinville-le-Pont. Antoine Berné fait partie des 17 conseillers municipaux, dont 16 républicains et un orléaniste, élus au premier tour en janvier 1878 pour les 21 postes à pourvoir. La liste bonapartiste de Louis Ferdinand Rousseau n’a « obtenu que très peu de voix » selon le quotidien Le Siècle. Gabriel Pinson, républicain, héritier d’une longue dynastie d’élus locaux, est élu maire de la commune. Au sein du conseil figure également Francois Blaize (1824-1900), ouvrier lunetier, fondateur d’une importante coopérative, la Société des lunetiers (ancêtre d’Essilor).
Resté directeur de l'Association générale d'ouvriers tailleurs, Berné invite ses associés à l’accompagner lors du dépôt d’une couronne sur la tombe de François-Vincent Raspail, chimiste et député républicain. Il préside, en juin 1879, le banquet de l’association au côté de Victor Schœlcher, sénateur. Une collecte est réalisée pour les amnistiés de la Commune de Paris et, en octobre la même année, l’association met des vêtements à la disposition du Comité central d'aide aux amnistiés. Fonctionnant toujours correctement, la coopérative a ouvert une seconde adresse sur le boulevard de Sébastopol à Paris. Berné a quitté sa fonction de directeur en mars 1879.
Alphonse Demeestère, hôtelier, conseiller municipal de Joinville et futur responsable du comité radical-socialiste de la 2e circonscription de l’arrondissement de Sceaux (département de la Seine), organisa en septembre 1879 dans sa commune une collecte en faveur d’un ancien communard, amnistié et indigent, Adolphe Morandy. Pinson, le maire de Joinville, hostile à cette initiative, fait voter un blâme contre Demeestère par la majorité du conseil. Cependant, sept élus, dont Berné, refusent de s’y associer et expriment leur opposition dans la presse.
Lors des élections municipales de 1881, qui voient la reconduction de Pinson, Berné n’est pas réélu. C’est le cas de tous les conseillers municipaux qui avaient refusé le blâme envers Demeestère.
Antoine Berné meurt vers le 6 septembre 1883, à l’âge de 54 ans. Son enterrement civil est organisé le 8 septembre au départ de son domicile parisien, 10, place de la Bastille, probablement à Joinville-le-Pont. Son épouse, Marie Ernestine Berné décède le 28 avril 1884 à Joinville. Deux personnalités locales, dont il était proche, déclarent le décès : Albert Bleunard (1827-1911), principal de collège en retraite et Francois Blaize, tous deux conseillers municipaux de Joinville.
En janvier 1884, Berné, présenté comme propriétaire, est tiré au sort post-mortem pour faire partie d’un jury de cour d’assises.
Mise à jour de la notice publiée le 8 novembre 2018. Suite de la biographie d’Antoine Berné
Si la grève de 1867 et ses suites judiciaires ont été néfastes pour les tailleurs parisiens coalisés et notamment Antoine Berné, elle contribue cependant à attirer l’attention sur leur coopérative, l'Association générale des ouvriers tailleurs. Le nombre des associés fut multiplié par quatre et atteignit 220, le capital étant triplé à 50 000 francs.
Les membres de l'Association s’engagent de manière régulière dans la vie politique. Ainsi, en mai 1865, Berné, avec Joly et de nombreux autres tailleurs, souscrit pour offrir à la veuve d’Abraham Lincoln, une médaille d’or, portant les inscriptions suivantes : Liberté — Égalité — Fraternité à Lincoln, président deux fois élu des États Unis, la démocratie française reconnaissante ». L’appel mettait en avant le fait que Lincoln, assassiné le 14 avril 1865, était un honnête homme qui avait aboli l’esclavage, rétabli l'union, et sauvé la république « sans voiler la statue de la liberté. »
Le lancement par Napoléon III d’un plébiscite pour faire approuver ses réformes constitutionnelles, en mai 1870, amène les deux directeurs de l'Association des ouvriers tailleurs, Brudon et Berné, à initier un Manifeste des membres de sociétés coopératives et des ouvriers parisiens aux habitants des campagnes : « Frères, A la veille d'un vote qui peut peser d'un grand poids sur les destinées de la patrie, il est bon que la voix des travailleurs des villes arrive jusqu'aux travailleurs des campagnes. (…) Pour nous, nous voterons Non ». Si le Non l’emporte dans les grandes villes telles que Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux et Toulouse, il se contente, au niveau national, d’un score de 17,2%.
La chute de l’Empire et la proclamation de la République, en septembre 1870, va modifier la situation de la coopérative. Dans une lettre au géographe anarchiste, Élisée Reclus, publiée en janvier 1871 dans son hebdomadaire, La République des travailleurs, organe d’une section parisienne de l’Association internationale des travailleurs, Berné décrit ce que Reclus présente comme « Le socialisme en action » : « Dès le 8 septembre [1870, quatre jours après la proclamation de la 3e République], notre association s’adressait au maire de Paris pour obtenir de lui l’équipement de la garde nationale, Le 19, un traité signé [Charles] Floquet et [Jules] Ferry nous accordait 100 000 vareuses à façons (…). Immédiatement nous convoquâmes la corporation en assemblée générale, à laquelle nous dîmes : ‘’Le marché nous est personnel, mais si vous le voulez, il profitera à tous. Considérez-vous comme nos associés. (…) Le bénéfice, quel qu’il soit, sera réparti au marc le franc [au prorata] des sommes gagnées par chacun’’. (…) Nous avons payé le double pour la main-d’œuvre que ne payent nos concurrents, la Ville ne dépensant pas un sou de plus en notre faveur. (…) Nous avons jugé qu’il importait de créer dans chaque arrondissement un atelier municipal auquel la mairie locale pourrait faire des commandes directes, et employer en travail suffisamment rémunérateur un argent mieux dépensé qu’en aumônes. (…) Nos sept ateliers dans les 4e, 5e, 9e, 17e, 18e et 19e arrondissements occupent déjà plus de 2 000 personnes (…). Trente-cinq mille personnes (…) sont inscrites sur nos livres comme ayant participé à nos travaux et devant par conséquent participer à nos bénéfices. Ce sera, croyons-nous, la première fois que le principe de la répartition du bénéfice au travail aura été appliqué sur une si grande échelle ». Les nouveaux statuts de l’association introduisent un article qui stipule que « La femme est admise à faire partie de la Société au même titre que l’homme. Il faut toutefois que la femme en puissance de mari obtienne son autorisation. »
Au cours d’une assemblée générale des ouvriers tailleurs de Paris, le 21 février 1871, Berné propose la fusion de l’association qu’il dirige et de la chambre syndicale. Contestant ceux qui qui critiquent l’émission d’actions de cent francs, il souligne : « il faut toujours un capital et l’association future, comme celles qui existent, ont besoin de cet argent ». La fusion reste à l’état de projet et Berné ne semble pas avoir joué de rôle politique pendant la Commune de Paris (mars-mai 1871).
En mars 1873, Berné et Bance font part aux lecteurs du quotidien Le Rappel des progrès qu’ils considèrent que leur structure a accomplis. « Nous venons encore d'agrandir nos magasins de vêtements sur mesure pour répondre aux besoins de notre nouvelle clientèle. Si nous sommes heureux de pouvoir vous signaler nos progrès, c'est surtout au point de vue de l'exemple que nous donnons aux autres travailleurs qui voudraient bien nous imiter, mais qui ne se figurent pas assez la possibilité de la réussite. Il n'y a pourtant qu'à vouloir; car, vous le savez, aucune société coopérative ne commencera plus modestement que nous avons été obligés de le faire. Et pourtant, aujourd'hui, certains du présent, nous songeons à l'avenir. Nous venons de voter la révision de nos statuts pour créer une caisse de retraite. »
Avec plusieurs personnalités politiques et des économistes, Berné prend part à la fondation, en mars 1875, de la banque du Crédit coopératif.
L’Association des ouvriers tailleurs participe à plusieurs expositions internationales, comme celle de Philadelphie (États-Unis) en 1876, où elle reçoit un diplôme d’honneur et une médaille, où celle de Paris en 1878. Elle compte 228 adhérents en 1876. Si sa réussite est saluée par la presse, les milieux économiques s’interrogent parfois sur le modèle social qu’elle présente. Ainsi, L'Économiste français écrit en décembre 1876 : « Nous sommes donc toujours en présence d’une entreprise de patrons capitalistes qui, quel que soit leur nombre, ne font pas, au demeurant, autre chose que ce que font beaucoup d’autres patrons et capitalistes isolés opérant pour leur propre compte. (…) Les ouvriers intelligents, ordonnés, prévoyants réussissent presque toujours à améliorer leur condition. (…) L’association permet de vaincre plus aisément certains obstacles, elle comporte, en revanche, des difficultés et des dangers auxquels échappent les entreprises individuelles. »
Chaque année, à partir au moins de novembre 1876, l’Association des ouvriers tailleurs organise un vaste banquet réunissant ses membres, leurs familles mais également des personnalités politiques de gauche : députés, sénateurs, conseillers municipaux de Paris et représentants de la presse républicaine. Ainsi, à Saint-Mandé (Seine, act. Val-de-Marne) en 1876, on note la présence de Louis Blanc, de Georges Clemenceau, de Charles Floquet ou du député de la 2e circonscription de l’arrondissement de Sceaux Alfred Talandier, tandis que Victor Hugo et Léon Gambetta se sont faits excuser. Berné explique cette invitation : l’Association s’est adressée à tous, sans acception de nuances, parce que, divisés sur le terrain de la politique, tous sont ou doivent être d’accord au point de vue des réformes sociales. La soirée s’est terminée par une collecte en faveur des familles des détenus politiques, notamment des anciens communards.