Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 juillet 2023 3 19 /07 /juillet /2023 01:01

Suite de la biographie de Louis Gourdel

Le commissaire de police Louis Gourdel, jusqu’ici affecté aux communes du département de la Seine, suivant le parcours habituel de la préfecture de police, est promu commissaire de police de la Ville de Paris en avril 1913. Il est chargé du quartier d'Amérique (19e arr.). il fait arrêter, en août cette même année, trois personnes qui collaient des affiches antimilitaristes sur un immeuble de la rue Bolivar, où il va résider quelques années plus tard.

Pendant la première guerre mondiale, comme tous les chefs policiers, il reste à son poste. Il met en état d’arrestation, en mai 1916, un consommateur qui, dans un débit de vin, tenait des propos antimilitaristes « ce qui lui avait valu une correction méritée de la part des consommateurs indignés » selon Le Petit Parisien.

Après-guerre, la police du 19e arrondissement continue de s’intéresser à l’extrême-gauche. En janvier 1921, il perquisitionne chez un certain Constantin Lebedeff, originaire de Russie, et présenté comme membre d’une organisation de communistes étrangers. En août 1923, il vise les milieux anarchistes ; il fait arrêter Marcelle Weill qui militait pour la libération de Louis Émile Cottin, auteur d’un attentat contre Georges Clemenceau en février 1919.

Devenu en août 1923 commissaire quartier du Mail à Paris (2e arr.), fait cette fois face à des militants d’extrême-droite, après avoir interpellé six camelots du roi collant des affiches « La République, c'est la banqueroute. »

Son quartier accueillant de nombreux journaux, Louis Gourdel va devoir intervenir dans une querelle très culturelle.

Le 24 avril 1926, Louis Aragon, jeune écrivain qui vient de rejoindre le très récent mouvement surréaliste, donne une conférence à la Résidence des Étudiants de Madrid. Le directeur de l’hebdomadaire Les Nouvelles Littéraires, Maurice Martin du Gard, rend compte brièvement de son intervention. Il rapporte que « dès la gare il voulut faire scandale, selon son habitude » puis assure que « notre surréaliste se vantait d'avoir été plusieurs fois arrêté pour un délit qui naît d'une déviation sentimentale. »

Un biographe d’Aragon, Philippe Forest, assure que c’est ce qui provoqua la colère des surréalistes. Il demande à Martin du Gard, littérateur lui aussi et cousin du romancier Roger Martin du Gard, de publier un démenti. Après avoir accepté, celui-ci se rétracte et indique à Aragon qu’il veut bien publier un droit de réponse de sa part, mais qu’il ne voit pas de quoi il devrait s’excuser.

Louis Aragon proteste d’abord, accompagné de l’essayiste Emmanuel Berl, puis décide de se rendre au siège des Nouvelles Littéraires, avec plusieurs de ses amis : les poètes Benjamin et Péret Philippe Soupault, l’écrivain et théoricien du surréalisme André Breton, ainsi que.

L’Humanité assure que « Aragon rejoignant Martin administra au personnage une belle volée, tandis que ses amis s'occupaient de personnages subalternes. La bataille devint vite générale, au grand dommage du mobilier ». Le Temps s’étonne de cette « irruption violente dans une rédaction », rapportant que Louis Aragon frappa Maurice Martin du Gard « à coups de nerf de bœuf » puis que lui et ses amis brisèrent un appareil téléphonique et une glace puis lancèrent une lampe dans la rue par la fenêtre. Le Siècle s’inquiète de ce que « La critique est en train de devenir l'un des métiers les plus périlleux » et commente : « on ne saurait admettre sans tristesse que la pensée soit ainsi soumise à la matraque. »

Appelée par les membres du personnel, la police emmène Aragon et ses compagnons devant Louis Gourdel au commissariat de police du quartier du Mail. Sur la plaine de Martin du Gard, il l’inculpe de coups et blessures et port d’arme prohibée, et ses amis de complicité. Le journal, relatant l’agression, parle d’un « odieux et grotesque attentat ». Il ne semble pas qu’il y ait eu de suites judiciaires, même si l’affaire fut instruite.

Dans son ouvrage posthume Les Mémorables, Maurice Martin du Gard avance une explication dépassant l’article incriminé. Selon lui, Jean Cocteau était haï des surréalistes, tandis que Les Nouvelles littéraires lui donnaient un accueil bienveillant. Ce serait « en représailles du soutien » apporté à Cocteau que, selon lui, Breton et Aragon auraient vandalisé les locaux de la revue. Le Figaro avait proposé une analyse plus politique : les surréalistes avaient des positions en faveur de la syndicaliste et anarchiste Germaine Berton, meurtrière de Marius Plateau, directeur de la Ligue d’Action française, ainsi que contre la guerre menée par la France au Maroc, publiant un pamphlet pour « se désolidariser publiquement de tout ce qui est français en paroles et en actions » - tandis que Martin du Gard « a toujours opposé une sage et souriante mesure aux folles entreprises. »

Louis Gourdel meurt le 8 juillet 1926 à Paris (19e) à son domicile de la rue Bolivar. Il était âgé de 53 ans et père d’une fille, artiste lyrique. Il avait été décoré en août 1910 d’une médaille d’or pour actes de courage et de dévouement, qui gratifiait son attitude lors des inondations séculaires de la Seine, lorsqu’il était commissaire de police à Choisy-le-Roi.

Sa disparition est évoquée par une dizaine de quotidiens parisiens qui soulignent qu’il est décédé subitement à son domicile. Le Soir le décrit ainsi : « très estimé de ses collègues. Magistrat intègre, il avait su s’attirer le respect de ses subordonnés. »

Fin

Louis Aragon, André Breton et Philippe Soupault avec Raymond Queneau

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Polmorésie, blog d’histoire
  • : Histoire politique, économique, culturelle et sociale au travers des acteurs qui ont se sont engagés dans la vie publique.
  • Contact

Recherche

Liens