Louis Marie Auguste Émile Albinhac naît le 1er août 1876 à Paris (19e arr.). Il est le fils de Marie Antoinette Virginie Céline Belvaux et de son époux Louis Alexandre Albinhac, employé.
Ordonné prêtre en 1904, il va être affecté au clergé paroissial dans le diocèse de Paris, parfois en banlieue, mais principalement à Paris. Il est d’abord nommé vicaire à Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne). Il assiste l’abbé Amédée Lassier, curé de la paroisse Saint-Charles-Borromée qui venait prendre la succession de l’abbé Alfred Roustan, mort en fonction.
La paroisse compte un seul vicaire et Louis Albinhac prend la suite de l’abbé Husson dans cette fonction. Pendant cette période, les deux prêtres vont vivre la séparation de l’église et de l’État en 1905. Les opérations d'inventaire des biens contenus dans les églises se déroulent à Joinville le 19 février 1906 ; elles ont lieu sans incident, alors que dans la ville voisine de Saint-Maur-des-Fossés, des catholiques ont empêché l'agent du fisc d'accomplir sa mission. Par décret du 20 mai 1912, les biens inventoriés furent partagés entre la ville et son bureau de bienfaisance.
En février 1908, l’abbé Seneuze devient vicaire de Joinville tandis que Louis Albinhac a été nommé vicaire à Saint-Jean l'Évangéliste de Montmartre (Paris, 18e arr.). Il y reste peu, car dès octobre, il devient vicaire à Saint-François Xavier, toujours à Paris (7e arr.).
En août 1914, Albinhac est mobilisé avec le grade de caporal au 64e régiment d’infanterie territoriale (RIT). Il devient sergent en décembre, est transféré en décembre 1915 au 81e RIT, où il est promu sous-lieutenant en juin 1916. En septembre cette année-là, il est cité à l’ordre de la brigade : « Officier très méritant, a montré beaucoup de bravoure et de sang-froid en organisant sa tranchée, attaquée par une patrouille ennemie qui laissa entre nos mains deux prisonniers. »
Devenu adjoint au chef de bataillon en mai 1917, Albinhac passe au grade de lieutenant en juin 1918 et est démobilisé le 25 janvier 1919. Son parcours est inscrit dans le Livre d'or du clergé et des congrégations 1914-1922, paru en 1925.
Au début de la guerre, Louis Albinhac avait séjourné à Baccarat au domicile de la famille Sigvard, qui raconte ainsi la situation dans cette petite ville très proche de la ligne de front : « Nous vivions toujours sous la menace de voir revenir les allemands. Nous avons dû déménager nos matelas pour aller nous installer sous les fours de la Cristallerie, dans de grandes galeries souterraines. C’était obligatoire durant les nuits. Les matelas étaient alignés par quartier, avec un responsable. Et, chaque matin, nous rentrions déjeuner à la maison. Parce que si nous n’étions pas rentrées, la maison pouvait être réquisitionnée pour loger des soldats de l’armée française. Surtout depuis l’annonce de l’arrivée des américains. De toute façon, il fallait déclarer les pièces que nous avions libres. Nous avons logé un aumônier militaire, l’Abbé Albinhac. Il était curé de Saint-François-Xavier de Paris. »
Après-guerre, l'abbé Albinhac reprend son service pastoral à Saint-Jean de Montmartre. Il célèbre notamment deux messes en 1920 pour la Ligue patriotique des Françaises, association féminine proche à sa fondation de l’Action libérale populaire puis réorientée vers l'éducation sociale, les interventions de bienfaisance et l'action sociale.
En octobre 1922 l'abbé Albinhac devient vicaire à Bois-Colombes (Seine, act. Hauts-de-Seine) puis à l’église de l'Immaculée-Conception à Paris (12e arr.) en avril 1924. En mars 1929, il retourne à Saint-François-Xavier comme premier vicaire. Dans cette paroisse d’un des quartiers les plus huppés de Paris, il célèbre des cérémonies mondaines, comme les obsèques de la marquise de Montebello en février 1930, du marquis de Moy de Sons en mars 1932, du comte Edgard de Villefranche en novembre la même année ou du baron Jurien de la Gravière en novembre 1933.
En mai 1933, l'abbé Albinhac avait également conduit la cérémonie mortuaire du chanoine Paul Coqueret, ancien aumônier de la 60e division d’infanterie, chevalier de la Légion d'honneur, croix de guerre et curé de l'église de l’Immaculée-Conception, dont il était l’exécuteur testamentaire.
Après 19 ans passés à Saint-François-Xavier, le père Albinhac va consacrer 18 ans à une paroisse beaucoup plus populaire, Saint-Antoine des Quinze-Vingts Paris (12e arr.). Il y est nommé curé en mai 1934. Lors de la fête corporative de l'Union catholique du personnel des chemins de fer, en juillet de cette année, on assure qu’il est appelé « curé du P.-L.-M. », la compagnie qui gère la liaison ferroviaire Paris-Lyon-Marseille depuis la gare de Lyon. Il est présent au banquet du cinquantenaire des syndicats chrétiens, organisé par la CFTC en octobre 1937.
L’activité militaire d’Albinhac fait qu’il est partie prenante de la constitution, en mai 1936, avec 50 autres religieux de l’association des Prêtres anciens combattants (PAC), une organisation présidée par le chanoine Filleux, curé de Saint-Louis de Vincennes et dont l'abbé Albinhac est trésorier. L’association organise notamment des congrès-pèlerinage, à Lourdes en 1936 puis à Vienne (Autriche) en 1937. En lien avec cette fonction, le curé organise plusieurs cérémonies commémoratives. Il est nommé chanoine honoraire en janvier 1938.
Un service à la mémoire des disparus du sous-marin Phénix, qui coule au large de l’Indochine le 5 juin 1939, est organisé en juillet de cette année à la demande du Parti social français (PSF), pour honorer André de Saint-Martin, un de ses membres ; le colonel François de la Rocque, fondateur du parti d’extrême-droite, y participe. Le chanoine Albinhac célèbre la messe dans son église.
L’abbé Louis Albinhac meurt le 22 juillet 1952 à Paris (12e arr.). Il était âgé de 75 ans et toujours titulaire de la cure de Saint-Antoine des Quinze-Vingts.
Saint-Antoine des Quinze-Vingts, photo MBZT, Wikipédia
Charles Francois Tirot naît vers 1801 à Juvigny (Aisne). Il est le fils de Marie Dupont et de son époux Charles Tirot.
En novembre 1822, Charles Tirot épouse à Paris Cécile Élisabeth Adrienne Jacquemart. Au décès de celle-ci, en février 1860, Charles Tirot est rentier et réside cité Boufflers (act. cité Dupetit-Thouars) dans le quartier des Enfants-Rouges à Paris (3e arr.).
Il s’installe ensuite à Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne) où il est nommé par décret membre du conseil municipal le 26 août 1865. Le maire est alors Auguste Courtin, conservateur. Il est élu conseiller municipal lors du scrutin du 25 septembre1870, qui suit la proclamation de la 3e République et au début du siège de Paris. Auguste Courtin est toujours premier magistrat. Le lendemain où le jour suivant, l’ensemble de la population évacue la commune et se réfugie à Paris. Le siège de la mairie est transféré d’abord au 104, rue du Bac (7e arr.) puis en novembre au 105, boulevard Voltaire (11e arr.).
Le retour des habitants se fait avant le début de l’insurrection de la Commune de Paris, et le conseil municipal se réunit, pour la première fois à Joinville le 1er avril 1871. Le pont reliant les deux rives de la commune a été détruit pendant le siège en novembre 1870 et les combats de la bataille de Champigny, qui se déroulent en partie sur le terrain communal de Joinville à Polangis, font plus de 2 000 morts.
Suite à l’armistice signé le 28 janvier 1871, Joinville eut à loger 3 000 soldats allemands (Wurtembourgeois et Bavarois) jusqu’au 19 septembre 1871, avec un état-major général de brigade et 250 chevaux.
Lors des élections municipales du 29 juillet 1871, Charles Tirot n’est pas réélu.
Charles Francois Tirot meurt le 12 septembre 1874 à Joinville-le-Pont. Il était propriétaire, âgé de 73 ans et résidait 12, quai Beaubourg. Il avait eu au moins une fille et a été inhumé à l’église Saint-Ambroise à Paris (11e arr.).
Le pont de Joinville détruit après la bataille de Champigny
Émile Victor Simonard naît le 12 novembre 1875 à Paris (7e arr.) Il est le fils de Marie Céline Tisserandet et d’Émile Anatole Simonard, employé.
Employé lui aussi, il est en 1894, membre actif du Syndicat des employés du commerce, un des plus anciens mouvements professionnels français, fondé en 1887 et qui fut à l’origine de la constitution de la Cftc (Confédération française des travailleurs chrétiens) avant de participer à sa transformation en Cfdt (Confédération française démocratique du travail).
Devenu prêtre, Émile Simonard est nommé aumônier de l'institution de Saint-Nicolas, à Issy (Seine, act. Hauts-de-Seine) en juillet 1901. Un an plus tard, il est affecté, comme vicaire, à Saint-Jean-Baptiste de Belleville à Paris (19e arr.). Dans cette paroisse, il participe régulièrement aux rencontres de la section de Belleville de son ancien syndicat. Il les exhorte par exemple en 1904 à former un cercle d'études consacré aux questions économiques et professionnelles. Il célèbre la messe pour la fête de la Saint-Michel, patron du syndicat, le 25 septembre à l’église Saint-Eustache, dans le quartier des Halles. L’abbé Simonard est proche de Jules Zirnheld (1876-1940), dirigeant du syndicat et futur président de la Cftc.
Un syndicaliste, Louis Bosler, décrit ainsi l’abbé Simonard en octobre 1904 : il « nous a parlé véritablement en ancien, en militant, en prêtre convaincu des nécessités de son temps, partageant ses grandes aspirations en ce qu'elles ont de légitime et de conforme à la justice : Ayons dans l'idée syndicale une foi qui déborde, et attachons-nous à la culture professionnelle et au développement de la valeur humaine. »
Lors d’une réunion des prêtres s'occupant d'œuvres en février 1905, l'abbé Laudat, vicaire à Ivry, défend les inconvénients des associations professionnelles, tandis que l'abbé Simonard parle au contraire de leurs avantages.
Le 2e Congrès national des anciens élèves des frères et des écoles et institutions libres catholiques, tenu à Paris en octobre 1905, voit Simonard jouer un rôle conséquent, le compte-rendu mentionnant plus d’une dizaine de ses interventions, sur les programmes, la défense des syndicats professionnels catholiques, le système de retraite, les mutuelles, le recrutement des enseignants, l’édition du bulletin et même le choix de la ville où se tiendra le prochain Congrès.
Le congrès des sections du Syndicat du commerce, en avril 1906, est l’occasion pour l'abbé Simonard de formuler des conseils : « Le syndicat doit être pour vous un procédé et non un moyen Déployez, chers amis, pour faire aboutir vos légitimes revendications toute l'intelligence et toute la décision dont vous êtes capables ; que les sections soient comme les membres du corps syndical. Combien de services ne peuvent-elles pas rendre! Soyez des apôtres ; profitez des leçons de l'expérience, afin de toujours aller de l'avant avec audace et prudence ; soyez avant tout des hommes d'action, sachant mettre à profit le présent. L'heure n'est plus aux amusements frivoles ; ménagez votre temps, c'est l'étoffe dont la vie est faite, sachez l'employer efficacement et soyez certains que Dieu récompensera toujours vos laborieux efforts ». Il les encourage à « ne pas se désintéresser du grand courant social. »
L’inauguration du nouveau siège social syndical, 14bis, boulevard Poissonnière à Paris (9e arr.) est bénie en juin 1907 par l'abbé Simonard.
Devant le Congrès de la protection de la jeune fille, qui se tient à Dijon en juin 1910, Émile Simonard corrobore la description du baron de Montenach, député de Fribourg (Suisse), sur les « logis antisociaux, insalubres, immoraux qui, avec leurs escaliers de service et la promiscuité de leur sixième étage, sont un danger permanent pour tous, et pour les jeunes bonnes en particulier. »
Après son départ en 1911, pour devenir vicaire de Saint-Ambroise à Paris (11e arr.), il poursuit son œuvre d’aumônier syndical, contribuant à la relance de la section syndicale Saint-Ambroise ou faisant une allocution pour les futurs soldats. En 1912, il les exhorte ainsi : « Vous devez avoir, mes chers amis, la foi patriotique, parce que vous êtes soldats, et la foi syndicaliste. »
Nommé curé d’une des plus grandes églises de Paris, même si la population paroissiale est relativement limitée, l'abbé Lassier va donner à son ministère une autre dimension. La presse catholique et conservatrice l’apprécie manifestement. Le chroniqueur religieux du Figaro, Julien de Narfon, estime dès sa prise de fonction, que c’est « un prêtre fort intelligent, très distingué, très affable ». La Croix loue son zèle. Un de ses camarades de séminaire, l'abbé Adam, procède à son installation en l’avertissant que son rôle serait non seulement d’évangéliser, mais de convertir : « Elles sont nombreuses encore les paroisses parisiennes qui n'ont pas une église proportionnée par ses dimensions au chiffre des habitants. Ici, ce n'est pas l’église qui manque aux fidèles, ce sont les fidèles qui manquent à l'église ». L'abbé Adam compare le vaste édifice de Saint-Eustache à une « nécropole ». Le Figaro se réjouit de « l'éloquence, pleine de charme » de l'abbé Lassier. Le quotidien Le Soleil voit en lui un « apôtre aimable, persuasif, conquérant. »
La première modification substantielle qu’apporte M. Lassier en octobre 1910 est le retour à des récitals d'orgues pendant la messe dominicale de 11h. L’autre innovation est l’appel à un missionnaire apostolique, orateur réputé, l'abbé Dien. Le Figaro apprécie la messe en musique et juge que « l'église de Saint-Eustache, sous l'énergique impulsion de son nouveau et zélé curé M. l'abbé Lassier, s'éveille décidément de son long sommeil ».
Dès mars 1911, le même journal peut affirmer que « la paroisse Saint-Eustache est redevenue l'une des plus vivantes de la capitale ». C'est devant « un immense auditoire », chiffré par Julien de Nafon à 3 000 personnes, que l'abbé Dien fit une conférence sur « la femme contemporaine », toujours accompagnée de musique religieuse. Les paroissiens, satisfaits, offrent à l'abbé Lassier une statue de Jeanne d'Arc. Continuant sur le même thème, un mois plus tard, le quotidien conservateur voit alors 4 000 participants, essentiellement des femmes. Il s’agit d’une société choisie : « cet auditoire se recrute principalement dans les paroisses riches où l'abbé Dien a prêché avec un succès dont témoigne la file d'équipages stationnant au dehors et qui se prolonge parfois, à travers les halles, jusqu'à la Seine ». Une chorale, la Schola Sanctae Ceciliae, dirigée par Félix Raugel, et un organiste, Joseph Bonnet, sont mobilisés. En mai, c’est La Croix qui note « une foule considérable » lors d’une une messe de requiem. En juin, l'église Saint-Eustache accueille un congrès parisien et régional de chant liturgique et de musique d'église.
En mars 1912, Le Figaro signale de nouveau que pendant les conférences de l'abbé Dien, le mercredi pour les « femmes du monde » Saint-Eustache « est toujours archi-comble ». Mais il note « par contre la paroisse ne compte ni parmi les plus riches, ni parmi les plus pieuses et il entre donc dans le magnifique auditoire de l'abbé Dien beaucoup d'éléments étrangers. »
Pour les hommes, on fait appel, à l'abbé Mathieu qui répond, le mardi soir, « aux accusations portées contre l'Église » dans des « conférences dialoguées » où l’abbé Lassier prend toutefois soin qu’il n’y ait pas de contradiction ; Le Figaro y voit du « tact. ».
Conférences et concerts continuent pendant et après la guerre, notamment à l’occasion de commémorations.
Cependant, quand il quitte sa fonction en 1922, plusieurs journaux, relayés par le quotidien La Presse parlent de la « misère de la paroisse », qui serait « hors d'état d'assurer même le chauffage de l'église » et évoque une « grève perlée » du clergé. L'abbé Carcoux, successeur de Lassier, dément la grève et assure que « la vérité est que la paroisse de Saint-Eustache se dépeuple, les habitants, victimes de la crise des loyers, cédant chaque jour la place aux maisons de commerce, aux banques, aux bureaux. De là une diminution des ressources de la paroisse. »
Chanoine titulaire de la cathédrale Notre-Dame de Paris à partir de juillet 1932, l'abbé Lassier semble avoir, une activité publique bien plus réduite. Il a à ce moment 69 ans et fait de réguliers séjours à Brunoy (Seine-et-Oise, act. Essonne).
Amédée Lassier meurt le 21 février 1937 à Paris (14e arr.). Il était domicilié rue Denfert-Rochereau et avait 84 ans.
Amédée Lassier naît le 3 février 1853 à Paris. Il est le fils de Catherine Billault et de son époux Adrien Lassier.
Après un passage par le petit séminaire de Notre-Dame-des-Champs à Paris, Amédée Lassier fait ses études théologiques au grand séminaire de Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux (Seine, act. Hauts-de-Seine), où il reçut l'ordination sacerdotale en 1878. D’abord professeur à Saint-Nicolas du Chardonnet, il est nommé vicaire de l’église Saint-Médard en janvier 1879.
Devenu vicaire à Saint-François-de-Sales, il va être mêlé à un incident, lors du mariage en mars 1886 de la fille du musicien Charles Gounod, Jeanne, avec le baron Pierre de Lassus. Le quotidien Le Siècle rapporte des bagarres entre le Jean Gounod, fils de l’auteur de Faust, et le maître de chapelle au sujet des chanteurs chargés d’exécuter le programme musical. Selon le journal La Justice « l'abbé Lassier, ne ménageant pas ses expressions et s'emportant en grossières injures, prit parti contre M. Gounod. »
Devenu vicaire de Saint-Nicolas des Champs en 1890 puis de Saint-Roch en 1899, A. Lassier débute une activité de conférencier, sur le cas de conscience à Saint-Roch en 1904.
La même année 1904, il devient curé de Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne). Il va y vivre la séparation de l’église et de l’État l’année suivante. Les opérations d'inventaire des biens contenus dans les églises se déroulent à Joinville le 19 février 1906 ; elles ont lieu sans incident, alors que dans la ville voisine de Saint-Maur-des-Fossés, des catholiques ont empêché l'agent du fisc d'accomplir sa mission. Par décret du 20 mai 1912, les biens inventoriés furent partagés entre la ville et son bureau de bienfaisance.
Dans le nouveau contexte, l’abbé Lassier entreprend la construction d’un second édifice cultuel dans la commune, pour desservir les quartiers de la rive gauche de la Marne, Polangis et Palissy, en plein développement démographique. La petite chapelle de secours va être nommée Sainte-Anne de Polangis. Elle est aussi surnommée « chapelle des usines » car elle jouxte les établissements Pathé-Natan dans une zone marquée par l’industrie du cinéma. Il nomme l’abbé Seneuze, son vicaire, comme administrateur de la chapelle, rue Oudinot.
L’attitude du curé pendant les inondations de la Marne de janvier à mars 1910, au contraire de celle de son vicaire, va être controversée. Le quotidien XIXe siècle raconte que, en février, l’abbé Lassier refuse de participer à une quête sur la voie publique, autorisée par la municipalité et répond : « Je garde mon argent pour secourir les miens ». Le journal s’interroge : « Est-ce bien seulement son argent que garde M. le curé de Joinville ? En effet, (…) sommes considérables — cent mille francs au moins — ont été remises entre les mains de certains prêtres (…) Il est lamentable qu'en d'aussi douloureuses circonstances, d'aucuns songent à faire œuvre de parti. Alors que de hautes leçons de solidarité leur viennent de l'autre côté des frontières, ils s'obstinent, fidèles à leur tradition, en de basses manœuvres de parti et de sectarisme. Ils en supporteront la responsabilité. »
L’hebdomadaire radical et anticlérical Voix des comm
unes souhaite, quand il apprend son départ en juin 1910, que le conseil municipal profite de l’occasion pour reprendre la jouissance du terrain entourant l’église (ce qui ne sera pas fait). Il remarque que « Tant que Lassier fut curé de Joinville, il s’opposa à l’élection d’une paroisse rivale. Lassier parti aux Halles, le desservant de Sainte-Anne en profite et devient curé. » Joinville fut en effet divisé en deux paroisses à cette occasion mais c’est bien l'abbé Lassier, déjà curé de Saint-Eustache, qui procèdera à l’installation de son ancien vicaire dans la nouvelle paroisse.
Henri Louis Eugène Seneuze naît le 3 février 1862 à Paris (15e arr.). Ses parents sont Jenny Françoise Chenue et son époux Édouard Jean Baptiste Antoine Seneuze, employé.
Prêtre du diocèse de Paris, il est d’abord vicaire à Noisy-le-Sec (Seine, act. Seine-Saint-Denis) puis est nommé en 1890 vicaire à Saint-Nicolas des Champs à Paris (3e arr.). En 1900, il devient vicaire à Saint-François-Xavier à Paris (7e arr.). Avec d’autres prêtes de la paroisse, il fera des voyages à Merquel, lieudit de la commune de Mesquer (Loire-Inférieure, act. Loire-Atlantique) sur la presqu’île de Guérande. Il contribue à y créer la colonie Saint-Clément qui permit à de nombreux enfants de la paroisse Saint-François-Xavier de découvrir la mer. En 1926, il écrit un court livre : Merquel et ses environs.
Seneuze est nommé en août 1908 premier vicaire de la paroisse Saint-Charles-Borromée de Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne), et administrateur de la chapelle Sainte-Anne de Polangis. Construite en 1906 par l’abbé Lassier, elle était baptisée « chapelle des usines » parce qu’elle jouxtait les établissements Pathé-Natan. Implantée avenue Oudinot, dans le nouveau quartier de Polangis, elle dessert aussi celui de Palissy, également sur la rive gauche de la Marne. L'abbé Seneuze fait agrandir l’édifice qui, construit après 1905, n’appartient pas à la ville, en lui adjoignant deux collatéraux.
Pendant les inondations de la Marne, de janvier à mars 1910, qui voient les deux-tiers du quartier de Polangis et une partie de celui de Palissy sous les eaux, l’abbé Seneuze a logé une quinzaine de personnes ruinées. Le rédacteur anticlérical du journal radical Voix des communes Louis Rey, également conseiller municipal, qui avait omis de le citer parmi les personnes mobilisées pour aider pendant l’inondation, s’en excuse publiquement.
Après le départ de l'abbé Lassier en mai 1910, Sainte-Anne de Polangis est érigée en église paroissiale en juin de la même année, avec un territoire groupant environ 10 000 habitants à Joinville et dans quelques rues voisines de Champigny.
L’abbé Seneuze cède sa cure en novembre 1921 à l'abbé Simonard pour devenir aumônier des Sœurs Sainte-Marie de la Famille, rue Blomet dans son quartier natal de Paris (15e arr.).
Henri Seneuze meurt le 26 novembre 1938 à Paris (15e arr.). Il résidait rue de l’Abbé-Groult et était âgé de 76 ans.
François Alphred Roustan naît le 30 juin 1838 à Toulon, Var ; il utilisera ensuite la graphie Alfred. Il est le fils de Marie Françoise Julie Talon et de Joseph Marius Roustan, charpentier. Peut-être descendre de Marie et du charpentier Joseph le prédestina-t-il à devenir prêtre.
Son père, qui entre dans la marine royale en 1841, sera fait chevalier de la Légion d’honneur en 1875, comme maître charpentier et sous-officier. Ses parents s’installent à Paris ensuite.
Prêtre dans la diocèse de Paris, l’abbé Roustan est deuxième aumônier de l'hôpital Saint-Louis, rue Bichat, en 1875. Il est aumônier de l'hôpital Laënnec, rue de Sèvres en 1880. En même temps, il participe à la création de la congrégation de la Sainte-Maison de Lorette (province d’Ancône, Marches, Italie), lieu supposé de la naissance de la vierge Marie. L’abbé Roustan est le procureur de la congrégation universelle pour la France.
En août 1886, Alfred Roustan prend la succession d’Ernest Jouin comme curé de Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne). Ce dernier, essayiste attaquant vivement la franc-maçonnerie, était en conflit ouvert avec la municipalité, majoritairement de tendance radicale-socialiste. Sa réputation fait réagir, dans l’hebdomadaire radical Voix des communes, Gringoire, pseudonyme d’Henry Vaudémont, lui-même franc-maçon et anticlérical militant : « M. l’abbé Roustan (Alfred François) est nommé desservant de la paroisse de Joinville-le-Pont, en remplacement de M. Jouin, appelé à d’autres fonctions. (...) Cette nouvelle, mon cher Gringoire, ne vous réjouira pas ; le nouveau curé est, dit-on, des bons, donc il est de plus mauvais. Vous en jugerez à l’essai. L’abbé Jouin a fait des libres-penseurs des gens qui n’y pensaient guère ; celui-ci va-t-il les ramener au bercail ? Non, non. Le troupeau des dévots est dispersé et le nouveau curé ne le réunira plus ». Cependant, devenu conseiller municipal, Vaudémont apprécia de recevoir, en janvier 1891, les vœux de l’abbé : « À la bonne heure, au moins voilà un curé qui ne se juge pas d’essence supérieure et dégagé de toute politesse envers les simples conseillers municipaux ».
L’abbé Roustan s’attache à maintenir à Joinville la communauté des sœurs Servantes des pauvres qu’avait fait venir l’abbé Jouin. Après le rappel de l’une d’elle à la Maison-Mère à Angers, il se plaint : « Ma paroisse est en souffrance, l'œuvre des enfants est complètement tombée; plus de jeunes filles, le dimanche à la messe, ni aux autres offices; c'est la mort et la solitude dans mon église ! » Quand elle revient, il remercie le fondateur de l’œuvre, Dom Leduc : « Sans elles, le pauvre curé ne ferait pas grand'chose ; elles connaissent le pays et elles sont connues avantageusement de la population; elles ont l'expérience et la prudence nécessaires et sont animées de l'esprit de notre divin Sauveur. Avec elles, nous continuerons à faire le bien. »
L'explosion de l'usine du Bi-Métal à Joinville, en février 1895, a fait trois victimes, plusieurs blessés et a mis les ouvriers en chômage. Une foule importante participe aux obsèques célébrées dans l'église paroissiale par l’abbé Roustan, qui annonce que le cardinal Richard avait envoyé un secours pour les ouvriers sans travail.
L’abbé Roustan participe à plusieurs reprises, notamment en 1891 et 1895, au pèlerinage de Notre-Dame de Pellevoisin (Indre), lieu d'apparitions mariales et de la guérison d’Estelle Faguette en 1876. Il va créer un autel au sein de l’église paroissiale Saint-Charles-Borromée de Joinville consacré à Notre-Dame de Pellevoisin (Notre-Dame de Miséricorde), qui deviendra lui-même un lieu de pèlerinage. Le pèlerinage à Joinville se tient lors de la fête du Rosaire, le premier dimanche d’octobre, et est attesté entre 1895 et 1905.
Lors de la première cérémonie, en octobre 1895, l'abbé Roustan accueillait deux amis personnels titulaires d’un siège épiscopal, Charles Theuret (1822-1901), évêque de Monaco et Félix Biet (1838-1901), vicaire apostolique du Tibet (Chine). Le quotidien catholique conservateur L’Univers la fête, et mentionne un lien fait par le R. P. Mathieu, de l'Oratoire, et le Rosaire qui, pour lui, « doit être l'âme de la croisade cette fois pacifique, contre ces francs-maçons qui prétendent se rattacher aux Albigeois par les Templiers et les rose-croix. »
Le quotidien relève : « à Joinville, les processions ne peuvent sortir. Cependant M. l'abbé Roustan en avait organisé une dans le jardin avoisinant l'église, où l'on put déployer les magnifiques bannières dont il a doté son église. Devant les grilles du jardin, il y avait une foule d'habitants qui regardaient; bien peu sont chrétiens, et cependant tous se découvraient devant la procession. Quand j'ai témoigné à M. l'abbé Roustan mon étonnement de voir tant de respect dans cette banlieue, que l'on dépeint volontiers si mauvaise, il m'a dit que la population était généralement bien disposée, sinon chrétienne. Elle est très démocrate, c'est vrai : mais est-ce un empêchement à la religion? »
La société des Avocats de Saint-Pierre, dont la branche française a été fondée en France par Pierre Lautier en 1885, était une œuvre catholique internationale formée pour défendre les intérêts de la papauté. En 1898, elle compte en France environ 10 000 membres et Alfred Roustan en est le secrétaire général. Félix Biet, vicaire apostolique du Tibet, participait fréquemment aux cérémonies. Les Avocats de Saint-Pierre seront suspendus en France en 1905, leur président étant accusé de trafic de médailles.
À titre honorifique, Alfred Roustan était chanoine de Lorette et de Monaco. Il meurt le 1er mars 1904 à Joinville, âgé de 65 ans.
Par un testament du 5 février 1900, l’abbé Roustan avait fait un legs de 500 francs pour les pauvres, qui est géré par le Bureau de bienfaisance de la commune et fait que son nom est mentionné sur la plaque des douze bienfaiteurs de la commune, apposée lors de l’inauguration de l’extension de la mairie en octobre 1911. Dans le même document, il a légué 1 000 francs à l'église du Sacré-Cœur de Montmartre ; l’église étant devenue, en avril 1908, la propriété de la Ville de Paris, c’est elle qui reçoit ce don en 1913.
Séverine, pseudonyme de Caroline Rémy (1855-1929), fut une femme libre, la première à diriger un quotidien, le Cri du Peuple. Amie de l’écrivain communard Jules Vallès, féministe ; fondatrice de la Ligue des droits de l’Homme, pacifiste, suffragette, communiste… On la retrouve dans bien des combats, souvent d’ailleurs là où on ne l’attend pas.
C’était le cas ce 4 août 1892. Elle était à Rome, de son propre chef, et elle va, au culot, interroger le pape Léon XIII sur l’antisémitisme et les Juifs. Et c’est au quotidien conservateur Le Figaro qu’elle propose son article !
Les paroles du chef de l’Église catholique ont la condescendance d’une institution sûre de son pouvoir, mais la netteté du refus d’un racisme que bien des chrétiens de l’époque encouragent. La fraîcheur de la journaliste libertaire fait plaisir à lire, même si son hostilité aux riches est quelque peu ambigüe.
Je reproduis ici cet ancien article du Figaro parce qu’il témoigne d’une époque où on avait à cœur « d’écouter entre les paroles ». Et aussi parce que j’aime bien cette Séverine, qui faisait ce qui lui plaisait, « pour l'amour de l'art ! »
Le Figaro 1892/08/04.
Le pape et interview de Léon XIII.
Séverine est en ce moment à Rome où elle est allée, pour le Figaro, demander à S. S. Léon XIII ce qu'il fallait penser de la question antisémitique. Cette idée, qui nous a séduit par son originalité, et pour le développement de laquelle nous avons laissé, bien entendu, toute liberté à son auteur, nous a valu la très curieuse page que voici sur le Souverain Pontife et le Vatican, avec des déclarations papales du plus haut intérêt.
Par dépêche, Rome, 3 août 1892.
Alors que l'Antisémitisme fait état d'orthodoxie, tend à se présenter, sinon comme une inspiration de l'Église, du moins comme son émanation, il m'a semblé d'un puissant intérêt d'aller voir, à ce propos, le chef, suprême de l'Église, celui qui lie et délie, le pilote incontesté des consciences catholiques.
Je n'ai pas été demander au Saint- Père de se prononcer - la situation politique du Pape l'éloigne, et cela se conçoit, de tout débat où son veto n'est pas immédiatement nécessaire, de toute intervention susceptible de soulever des discussions, des polémiques, d'émouvoir l'irritabilité de telle ou telle puissance, de tel ou tel parti, en dehors des questions strictement techniques, traitant des points de dogme ou des intérêts de la foi.
En un mot, je ne me suis pas attachée à connaître ce que Léon XIII désapprouve... seulement, ce qu'il n'approuve pas !
Voici, au premier abord, une casuistique qui m'est peu familière ; ma netteté s'accommodant mal, d'habitude, de si subtiles distinctions - mais cela se gagne, en Cour de Rome !
Tout ici procède par demi-teintes, par gradations de nuances à peine indiquées, et dépassant rarement le médium sur l'échelle ascendante, vers l'accentuation. De même qu'au Vatican, dans la pénombre des salles, chacun marche sourd, chacun parle étouffé, de même, aussi, chacun y pense tout bas. Les pas s'y raccourcissent et l'initiative y replie ses ailes, volontairement, s'astreignant à évoluer dans le cadre étroit du domaine ecclésiastique.
De là, l'éclat retentissant, l'extraordinaire envolée, lors de chaque exception à cette règle, de chaque rupture de cette réserve, de chaque acte décisif - il est fait d'élans refoulés, d'essors contenus.
Il faut donc lire entre les lignes, écouter entre les paroles...
J'aurais honte, je considérerais comme indigne et déloyal de prêter au Saint-Père un seul mot qui ne soit rigoureusement exact, ni même d'amplifier ce qu'il lui a plu de me répondre. Or, si, pas une fois, il n'a dit : « Je blâme », dix fois en une heure, il a dit : « Je n'approuve pas. »
Je laisse aux catholiques le soin de tirer de cette attitude telle conclusion qui leur plaira.
Pour ma part, en dehors, en dépit de mes opinions - peut-être justement à cause d'elles - j'ai le respect de toute chose grande, même si elle va à rencontre du mien idéal, ou si elle en diffère par quelque point; Et je préférerais perdre les meilleurs arguments du monde qu'ajouter une affliction à celles de ce roi sans trône, de ce vieillard si touchant et si auguste, ignorant de l'anathème, ne levant la dextre que pour bénir, pour absoudre, pour épandre l'indulgence divine sur toutes les créatures - quelle que soit leur race, quelle que soit leur religion !
Ici, une brève parenthèse, oiseuse, semblera-t-il à ceux qui me connaissent, mais que je tiens quand même à faire, prévoyant, sans trop de perspicacité, de quelle nature sera la riposte antisémite et, d'après la calomnie d'hier, la calomnie de demain.
Quoique, d'après certains sectaires, j'appartienne à la « presse vile » ; quoique je sois - cela est bien connu ! - « stipendiée » par la rue Laffitte, j'aurai le cynisme de déclarer que j'ai entrepris ceci de mon seul mouvement. Je n'ai pas écrit cet article « sur commande », je l'ai proposé de moi-même, parce que j'ai parfois des idées que personne ne m'inspire et que je mets à exécution parce que cela me plaît pour l'amour de l'art !
Je me suis offert ce luxe inouï de faire œuvre de miséricorde envers les juifs, sans me faire payer – la précision du terme ne m'effraie pas – par les israélites.... mon socialisme ne s'attardant point aux questions de croyance ou d'origine, ne reconnaissant d'autre ennemi que l'Accapareur, youtre ou goym ! Il est le voleur des pauvres... cela me suffit.
Et TOUS les pauvres sont miens : lamentables Hébreux errant dans le steppe, traversant l'Europe à pied, tirant, comme des bêtes de somme, sur le licol des charrettes où sont entassés leurs malades, leurs vieillards, leurs enfants, quelques nippes échappées au désastre ; et s'abattant, exténués, dans la cour du grand-rabbin, à Paris, fourbus de fatigue, chancelants d'inanition - misérables spoliés par les financiers catholiques de là-bas, comme sont spoliés, ici, par leurs coreligionnaires richissimes, les paysans et les travailleurs de la chrétienté !
Que vient-on parler de guerre de races, de guerre de religion?...
- J’ai faim!... dit le pauvre.
Et un écho brisé, distendu, hautain cependant, répond, du Vatican :
- Tous les biens de la nature, tous les trésors de la grâce appartiennent, en commun et indistinctement, à tout le genre humain! (Encyclique du 15 mai 1891, ch. III.)
Je suis arrivée ici sans recommandation, sans appui; je n'ai d'autre alliée que ma volonté tenace et une lettre d'un camarade pour un haut dignitaire du Saint-Siège.
Mais je crois à ce magnétisme qui s'exerce à travers la distance et le temps, qui abrège l'une, supprime l'autre; à l'influence de ce vouloir ardent dont s'imprègne l'atmosphère entre le but et l'effort; qui rapproche l'un de l'autre, fatalement, sans qu'on ait rien à faire qu'hypnotiser son rêve...
Et me voici assise dans l'une des salles du Vatican, perdue dans la pièce immense, toute semblable, avec ma robe noire, mon voile noir, l'absence du plus humble bijou, et mes mains dégantées, à toutes les dévotes qui viennent seulement satisfaire leur pieuse curiosité.
Leur cœur, certes, ne bat pas plus fort que le mien - et Dieu sait, pourtant, ce que celui-ci demeurerait calme si les hasards du métier me menaient dans le palais de n'importe quel monarque. Je sais ce que valent les sceptres et ce que pèsent les couronnes, sous le poing lourd de la foule ou le doigt léger du destin !
Mais le Pape !... Tous les souvenirs de ma pieuse petite enfance se lèvent comme un vol de moineaux dans les herbes d'un cimetière. Hier, n'ai-je pas dit à l'ecclésiastique qui m'expliquait le cérémonial du triple salut (un à la porte; un au milieu de la salle, un devant le fauteuil du Saint-Père) : « Gomme au mois de Marie, alors? » me rappelant le temps où j'étais de garde dans la chapelle, chargée du renouvellement des fleurs et fomentant des révoltes - déjà ! - entre deux Ave.
Il m'a regardée, surpris gaiement, puis avec une inclinaison de tête indulgente : « Oui; comme au mois de Marie! »
C'est ma grande peur de commettre quelque impair ; non que j'y apporte ombre d'amour-propre, ne me taxant aucunement d'être ferrée sur l'étiquette, mais parce que toute négligence pourrait passer - de ma part - pour une affectation blessante et de goût odieux. Aussi, je me répète à moi-même les formules, comme les répons du catéchisme avant la récitation... autrefois!
Que c'est immense, ce Vatican, pour arriver à atteindre la partie restreinte où le Pape vit confiné ! Que c'est haut, surtout! Il faut gravir le perron d'entrée, longer la galerie monumentale où devisent les gardes suisses, vêtus encore comme les reîtres de Jules II; monter l'escalier de marbre - trois étages qui en valent bien six - franchir le Gortile San-Damaso; regrimper trois autres étages, également de valeur double; et traverser des salles en si grand nombre que la tête vous tourne et qu'on finit par ne plus distinguer rien !
J'ai entrevu seulement, au passage, sur une merveilleuse tapisserie, le Christ accueillant la pécheresse blottie à ses pieds, y cherchant refuge contre la cruauté humaine...
Tout à coup, dans cette solitude et ce silence, un coup de canon, discordant comme une fausse note. Il apprend aux Romains qu'il est midi. Et voici que lui répondent, trottinant les unes après les autres comme des vieilles femmes courant à la messe, toutes les pendules de l'antique palais. Il en est de vives et de lentes, d'alertes et de fatiguées ; des petites au timbre aigu, des grosses à voix de contralto. C'est un carillon familier et d'une grâce ingénue.
Un glissement de semelles sur le pavé de marbre luisant comme s'il était mouillé ; un murmure de syllabes à peine distinctes, en cet idiome déjà si mélodieux; une soutane qui s'incline et attend, puis marche devant, se prosterne au seuil d'une pièce voisine, s'efface, semble disparaître dans le mur...
C'est mon tour d'audience.
J'entre, m'incline trois fois ; une main prend la mienne, me relève doucement :
« - Asseyez-vous, ma fille, et soyez la bienvenue...»
Très pâle, très droit, très mince, à peine accessible au regard, tant il reste peu de matière terrestre en cette gaine de drap blanc, le Saint-Père siège, au fond de la pièce, dans un vaste fauteuil adossé à une console que surmonte un Christ douloureux.
La lumière, venant de face, tombe d'aplomb sur cet admirable visage de prélat latin, en fait ressortir les méplats, les finesses de modelé, la structure « primitive », au sens pictural du mot, vivifiée, animée, galvanisée pour ainsi dire par une âme si juvénile, si vibrante, si combative pour le bien, si compréhensive des misères morales, si pitoyable aux détresses physiques, que le regard étonne, semble une aube miraculeuse surmontant un déclin de jour..
L'incomparable portrait de Chartran peut seul donner idée de cette acuité de vision. Mais encore est-il d'un éclat un peu bien somptueux, et toute la pourpre qui flamboie derrière la soutane neigeuse met-elle aux joues un reflet, aux prunelles une étincelle qui s'adoucissent dans la réalité.
Pour rendre mon impression, je dirai que j'ai trouvé le Pape « plus blanc » ; d'un rayonnement plus intime et plus émouvant ; moins souverain, davantage apôtre - presque aïeul !
Une bonté attendrie, timide, semblerait-il, est tapie dans la moue des lèvres, se dénonce seulement dans le sourire. Et, en même temps, le nez long, solide, révèle la volonté, une volonté inflexible - qui sait attendre !
Léon XIII ressemble aux modèles du Pérugin et à tous ces portraits de donateurs qu'on voit dans les tableaux de sainteté, sur les vitraux des antiques cathédrales, agenouillés, de profil, en leurs habits de laine, les doigts allongés et humblement rejoints, parmi les apothéoses, les Nativités, le triomphe des saints et la gloire de Dieu.
Il me paraît aussi incarner les armes de sa maison, le blason des Pecci, avec sa taille aussi svelte, aussi altière que le pin qui se silhouette en i sur le ciel bleu, et, entre ses paupières, cette clarté d'étoile matutinale et précurseuse d'aurore qui tremble à la cime du grand arbre héraldique!
Mais ce qui, presque autant que le visage, attire et retient l'attention, ce sont les mains; des mains longues, fines, diaphanes, d'une pureté de dessin incomparable; des mains qui semblent, avec leurs ongles d'agate, des ex-voto d'un ivoire très précieux, sortis pour quelque fête de leur écrin.
La voix est comme lointaine, exilée par l'usage de la prière, plus accoutumée à monter vers le ciel qu'à descendre vers nous. Et, pourtant, dans la causerie, elle revient, avec, de-ci, de-là, un ressouvenir d'intonation majeure qui en coupe la mélopée grégorienne.
Puis un rien, une habitude du terroir donne aux propos tenus une saveur particulière, les épices de nationalité. Alors que le pontife s'exprime très correctement, très élégamment en français, à toute minute l'exclamation italienne par excellence : « Ecco ! » (Voilà !) Revient, fait claquer ses deux syllabes, comme un léger coup de fouet qui active ou dé- tourne la conversation.
Et les mots, dociles, prennent le galop, bifurquent, mènent où il plaît au Saint-Père d'aller.
Je le suis respectueusement, notant au passage, de mémoire, les réponses qu'il veut bien me faire, les provoquant d'une brève interrogation lorsque je le puis; remarquant combien sa- pensée, d'essence toujours évangélique, revêt volontiers le peplum latin, se traduit en périodes cadencées, harmonieuses, révélant le délicat et docte lettré.
Comme j'ai parlé de Jésus pardonnant à ses bourreaux, alléguant leur ignorance pour excuse à leur férocité; comme j'ai demandé si, avant toute chose, il n'était pas du devoir chrétien d'imiter son exemple :
« - Le Christ, dit Léon XIII, a versé son sang pour tous les hommes, sans exception ; et même de préférence pour ceux qui, ne croyant pas en lui, s'obstinant dans cette méconnaissance, avaient le plus besoin d'être rachetés. Envers ceux-là, il a laissé une mission à son Église : les ramener à la vérité... »
- Par la persuasion ou la persécution, Saint-Père ?
« - Par la persuasion! répond avec vivacité le Pontife. La tâche de l'Église est, n'est que douceur et fraternité. C'est l'erreur qu'elle doit atteindre, s'efforcer d'abattre; mais toute violence envers les personnes est contraire à la volonté de Dieu, à ses enseignements, au caractère dont je suis revêtu au pouvoir dont je dispose. »
- Alors, la guerre de religion?
« - Ces deux mots-la ne vont pas ensemble! »
Et la main qui porte l'anneau épiscopal a fait un geste impératif.
- Reste, Saint-Père, la guerre de races...
« - Quelles races? Toutes sont issues d'Adam, que créa Dieu. Que les individus, suivant les latitudes, aient un teint différent, un aspect dissemblable, qu'importe cela, puisque leurs âmes sont de même essence, pétries du même rayon ? Si nous envoyons des missionnaires chez les infidèles, chez les hérétiques, chez les sauvages, c'est parce que tous les humains, tous, vous entendez bien, sont des créatures de Dieu ! Il y a celles qui ont le bonheur d'avoir la foi et celles auxquelles nous avons le devoir de la donner, voilà tout ! Elles sont égales devant le Seigneur, puisque leur existence est l'œuvre de sa commune volonté. »
Puis le Pontife ajoute :
« - Même quand le Ghetto existait à Rome, nos prêtres le sillonnaient en tous sens, causant avec les israélites, s'appliquant à connaître leurs besoins, soignant leurs malades, s'efforçant de leur inspirer assez confiance pour parvenir à discuter les textes, à les convertir, enfin 1 »
- Et quand la populace voulait massacrer les juifs ?
« - Les juifs se mettaient sous la protection du Pape... et le Pape étendait sur eux sa protection ! »
***
« Seulement, reprend le Saint-Père, si l'Église est une mère indulgente, aux bras toujours ouverts, pour ceux qui lui arrivent comme pour ceux qui lui reviennent, il ne s'ensuit pas que les impies qui se refusent à elle doivent être ses préférés. Elle est sans colère contre eux, ils sont sa douleur, sa plaie, mais elle garde ses prédilections pour les fidèles qui la consolent, qui lui sont des fils pieux et fervents. Enfin, si l'Église a mission de défendre les faibles, elle a mission aussi de se défendre elle-même contre toute tentative d'oppression. Et voici qu'après tant d'autres fléaux, le règne de l'argent est venu... »
Le successeur de saint Pierre raidit plus encore son torse droit et, le regard soudainement dur :
« - On veut vaincre l'Église et dominer le peuple par l'argent ! Ni l'Église ni le peuple ne se laisseront faire! »
- Alors, Saint-Père, les grands Juifs ? Sous le voile des paupières, la lueur a disparu. Et, décolorée soudain, la voix répond :
« - Je suis avec les petits, les humbles, les dépossédés, ceux que Notre-Seigneur aima...»
Je comprends que c'en est fini sur ce sujet, et n'insiste pas. D'ailleurs, maintenant, Léon XIII parle de la France, de la tendresse profonde qu'il lui porte, de son désir de la voir prospère sous quel- que gouvernement qu'elle ait choisi.
Et brusquement, sans préparation, avec une malice apparue soudain aux angles de sa bouche, aux coins de ses yeux :
« - Et chez vous, que pense-t-on du Pape? Est-on content de lui?»
- Saint-Père...
C'est que je ne sais quoi répondre, en vérité. Il voit mon embarras, et avec bonhomie frottant ses longues mains pâles :
« - Allez, allez ! N'ayez pas peur I »
Je rassemble mon courage i
- Saint-Père, voulez-vous me permettre d'employer envers vous un terme très hardi?
« Allez, allez ! »
- Eh bien ! si les monarchistes en veulent au Pape, les républicains de gouvernement l'exècrent... il est la concurrence !
Un tout petit rire, tout voilé, tout discret, accueille le mot.
« - Et les socialistes? »
- Pour les socialistes de gouvernement, les états-majors, encore la concurrence !
« - Et le peuple ? »
- Le peuple? Jamais je ne me permets de parler en son nom. Il est plutôt indécis, je crois, vaguement méfiant... il a tant été trompé ! Mais tout de même, ça l'étonne, un Pape qui s'occupe de lui... et qui soumet les cardinaux 1
Les longues mains pâles accentuent leur geste satisfait. Et, souriant :
« - Je ne veux pourtant pas être roi de France ! {sic). »
Maintenant, sans que j'ose l'interrompre, la grêle voix, seule, troue le silence:
« - Quand donc comprendront-ils, tous, que l'Église ne veut pas, n'a pas à faire de politique, qu'elle entend y demeurer étrangère, s'en tenir résolument écartée? Mon Maître a dit : Mon » royaume n'est pas de ce monde. Donc, le mien non plus ! J'aspire à la domination des âmes, parce que je veux leur salut, parce que je souhaite le règne de la fraternité entre les hommes, l'oubli des discordes, l'avènement de la sainte paix, de la sainte pitié ! Mais rien que cela, cela seulement ! »
Le haut vieillard est presque debout, et ses yeux, plus lumineux encore, s'ourlent d'une brume.
Il s'est tu. Alors, très vite, presque bas, contente que j'ai été d'entendre bien parler de la France, dans cette ville toute pleine officiellement d'autres tendances :
- Saint-Père, vous savez, cet abbé Jacot, ce renégat, cet Alsacien-Lorrain qui prêche aux nôtres de là-bas l'oubli de la mère-patrie, il se vante d'être l'interprète de vos commandements? Est-ce vrai ? Approuvez-vous son acte ?
« -Je le déplore... répond gravement le pontife. J'aime la France. C'est vers elle que mes yeux se tournent toujours quand ma voix s'élève du fond de ces chambres où j'erre depuis quinze ans... sans jamais sortir ! »
Sans jamais sortir! A-t-il répété mélancoliquement, ce captif sans paille ni cachot, prisonnier de sa seule dignité, mais plus entravé par ces invisibles liens que par les lourdes chaînes de fer.
Je m'incline pour prendre congé ; la longue main pâle se pose doucement sur mon front :
« - Allez, ma fille, et que Dieu vous garde !... »
En décembre 1871 Marc Félix Broutta épouse à Joinville la directrice du bureau de poste, voisin de son domicile, Antonine de La Chassaigne de Sereys, veuve de Christophe Ernest Potrolot de Grillon.
Ayant quitté l’armée active, M. Broutta va avoir quelques activités professionnelles ou sociales. Déjà, en 1860, il avait tenté d’acheter lors d’une vente aux enchères un moulin à riz, des piser et chute d'eaux, usines, bâtiments et terrains plantés et cultivés, sur les communes de la Teste et de Gujan (Gironde) mais son avoué était arrivé en retard pour l’adjudication, provoquant une controverse juridique.
Broutta est nommé, en juin 1878, sous-directeur de la Mutuelle Agricole. Il prend part à la constitution de la Société des Forges de Brévilly (Ardennes) dont il est administrateur en 1880. C’est probablement lui aussi le Broutta qui est désigné, en avril 1881, comme membre du conseil de la Société du journal Le Train, à Paris.
Appelé dans un jury d’assises à l’été 1875, Broutta est également, en décembre de la même année, un des témoins du docteur Déclat, s'étant trouvé insulté par un article d’un de ses confrères dans le quotidien l'Opinion. Il convainquit cependant ce dernier que l'article se réduisant à une critique purement scientifique d'un système médical, l’honneur n’était pas en cause et qu’il n’y avait pas lieu à duel.
S’il n’est pas engagé politiquement pendant son séjour à Joinville, Broutta affiche cependant des opinions conservatrices, participant par exemple au service funèbre pour l’ex-empereur Napoléon III, organisé à l’église Saint-Augustin de Paris en janvier 1873. Il exprime également une évidente réticence face à la municipalité radical-socialiste de la commune.
En novembre 1893, plusieurs journaux font état de l'inauguration de la ligne téléphonique reliant Joinville à Paris, citant outre Mme Broutta, directrice des postes et son mari, la présence du maire, Eugène Voisin, de ses deux adjoints; Jullien et Couppé, et de plusieurs conseillers municipaux, notamment Blaize, Demeestère et Chapuis, ainsi que de Soulière, commissaire de police. C’est l’officier en retraite qui réagit dans le quotidien XIXe siècle, précisant que « l'ouverture du téléphone au bureau de Joinville n'a été faite en présence de personne, cela ne regardant ni la municipalité, ni la police ; l'administration des postes, chatouilleuse avec raison, trouverait mauvais cette réclame qui pourrait nous être attribuée. »
Après la retraite de son épouse en septembre 1896, les Broutta vont s’établir à Saumur, rue du Roi-René. Le colonel devient membre honoraire du comité local de la Société de secours aux blessés militaires (Croix-Rouge française).
C’est sur le tard que Broutta s’engage en politique. Il est candidat au premier tour lors des élections municipales de mai 1900 à Saumur, dans la 5e section électorale qui couvre le quartier des Ponts et élit six conseillers municipaux. La municipalité est tenue par le Dr Joseph Henri Peton, maire de tendance radical-socialiste. M. Broutta figure, en seconde position, sur la liste de Marcel Sourdeau, conseiller d’arrondissement. Leur profession de foi affirme leur indépendance et assure : « Les finances de la ville sont gravement compromises, or ce n’est pas en faisant de la politique, mais en favorisant les affaires qu’on pourra les remettre sur pied. Nous voulons la liberté pour tous, l’égalité pour tous ». Soutenue par le quotidien conservateur, L’Écho saumurois, la liste veut faire prévaloir les intérêts des commerçants et des travailleurs du quartier. Seul le chef de liste sera élu, tandis que Broutta obtient 145 voix sur 617 votants (23,5%) pour 845 inscrits. Il ne se présente pas au second tour, où les 5 sièges restants vont à la liste de gauche.
Marc Félix Broutta meurt le 15 octobre 1904 à Saumur. Il était âgé de 84 ans.
Marc Félix Broutta naît le 24 novembre 1819 à Marquise (Pas-de-Calais). Il est le fils de Marie Louise Claudine Routtier et de son époux Armand Marc Antoine Fidel Broutta, notaire royal.
En octobre 1839, il est admis à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr (Seine-et-Oise, act. Yvelines) et suit sa scolarité avec la promotion de Mazagran. À la sortie, devenu sous-lieutenant, il choisit la cavalerie. Il sert au sein du 10e régiment de cuirassiers, est nommé lieutenant en 1845 puis capitaine en 1847 et commandant en 1848, en garnison à Vesoul (Haute-Saône), Amiens et Abbeville (Somme).
Ayant rejoint la Garde impériale à Compiègne en 1858, il devient chef d’escadron en 1860 intègre le 4e régiment de cuirassiers où il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1862. Il y est toujours en juin 1869 quand il est décoré officier de la Légion d’honneur. C’est sans doute peu après qu’il devient directeur de l'École de cavalerie de Saumur (Maine-et-Loire). Cependant, le lieutenant-colonel Broutta ne figure pas sur la liste des dirigeants de l’école publiée par le général de Fornel de La Laurencie dans sa monographie de 1935. C‘est probablement parce qu’il n’exerce son mandat que brièvement, Broutta rejoignant son régiment à l’été 1870 pour la guerre avec la Prusse et la confédération allemande.
Le 6 août 1870, lors des combats qui eurent lieu à Froeschwiller-Woerth (Bas-Rhin), la bataille Reichshoffen, Broutta commande en tant que chef d’escadron, le 4e régiment de cuirassiers qui subit de très lourdes pertes lors de charges, présentées ensuite comme héroïques, sur les positions allemandes de Morsbronn et d'Elsasshausen. Après la bataille, le maréchal Mac-Mahon aurait dit : « Des cuirassiers, il n'en reste plus ». Broutta lui-même fut blessé et amputé de l'avant-bras droit par un obus.
Il raconte ainsi son sort : « A Frœschwiller, lors de la grande charge des cuirassiers de la division de Bonnemains, le colonel Billet, qui commandait le 4e cuirassiers (…) était pris par un violent mal de gorge qui l’empêchait de parler. Au moment où nous reçûmes l’ordre de charger, le colonel me confia le commandement du régiment comme étant le plus ancien chef d’escadron. La charge eut lieu ; le colonel en tête. Quelques instants après, M. Billet était grièvement atteint. Moi-même, l’avant-bras droit emporté, je tombai sous les pieds des chevaux ». « Je fus, à la tête (…) renversé par plusieurs balles, qui m'enfoncèrent la poitrine, et par un éclat d'obus, qui m'emporta le bras droit. Le maréchal des logis Michel me trouva par terre presque sans connaissance. (…) Au milieu de cette malheureuse retraite, il me soutint et me porta sur ses épaules durant l'espace de sept kilomètres pour trouver une ambulance et un autre médecin. Fait prisonnier avec moi au village de Reichshoffen, il ne cessa de me donner des soins, couchant sur le carreau auprès de mon lit. »
Après sa libération, il est mis en non activité en mai 1871 pour infirmité et quitte officiellement en juin ses fonctions de commandant de l’école de cavalerie de Saumur. Il envisage d’abord de se fixer à Barèges (Hautes-Pyrénées) mais décide finalement de rejoindre Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne).
Au cours d’un conseil de guerre siégeant à Vincennes (Seine, act. Val-de-Marne) en février 1872, le lieutenant-colonel Broutta témoigne en faveur du maréchal des logis Michel, qui, ivre, avait insulté un adjudant avant la bataille de Reichshoffen. Bien que les faits n’aient pas été contestés, l’intervention de Broutta ayant soulevé une vive émotion, Michel fut acquitté au milieu des applaudissements de l'auditoire.
Les charges cuirassiers de Reichshoffen devinrent une épopée tragique, dont « l'héroïque Broutta » - comme le qualifiait le quotidien Le Gaulois – était un des rares survivants.