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17 juin 2018 7 17 /06 /juin /2018 01:01

Antonine de La Chassaigne de Sereys naît le 10 août 1835 à Issoire (Puy-de-Dôme). Elle est la fille d’Anne Marie Pralong et de son époux, Isidore de La Chassaigne de Sereys, propriétaire. La famille de La Chassaigne de Sereys est d’ancienne noblesse auvergnate, remontant au 13e siècle et disposant d’un titre comtal.

Antonine épouse en mai 1855, dans la même ville, un membre de l’aristocratie bourbonnaise, Christophe Ernest Potrolot de Grillon. Sa sœur, Agathe Elisabeth, s’était mariée deux ans plus tôt, toujours à Issoire, à un cousin de son époux, Gilbert Jules Potrolot de Grillon. Cependant, le mariage ne va pas durer, suite à la disparition précoce de Christophe de Grillon. Deux jumelles naissent, en 1856 de cette union à Cournon (act. Cournon-d’Auvergne), où Christophe de Grillon est chef de la gare de Sarliève, mais une seule survit.

Malgré son contexte familial, mais peut-être du fait de la disparition de son mari, Antonine de Grillon devient fonctionnaire des Postes en 1863. Elle prend la direction du bureau de poste de Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne) – qui existe déjà en 1865 – fonction qu’elle occupe au moins à partir de 1868 et où elle restera jusqu’à sa retraite en 1896 avec le titre de receveuse. À la fin du Second empire, les lettres sont distribuées lors de quatre tournées, une le matin, deux l’après-midi et encore une en soirée.

La receveuse vit en 1870 le siège de Paris, la bataille de Champigny, la destruction du pont reliant les deux rives de la commune et l’évacuation des habitants et administrations, transférées à Paris, puis en 1871, les combats de la Commune de Paris ainsi que l’occupation de Joinville par les armées allemandes. À la fin de la même année, elle épouse à Joinville le lieutenant-colonel Marc Félix Broutta, amputé d’un bras depuis sa blessure l’année précédente, et présenté comme un des héros de la bataille de Reichshoffen. Il venait de s’installer, quai Beaubourg (act. quai du Barrage), à très peu de distance du bureau de poste.

L’après-guerre voit le bureau de poste élargir ses services. En décembre 1872, un bureau télégraphique y est ouvert. Le bureau de Joinville est classé « à service limité », c’est-à-dire qu’il fonctionne de 7h (ou 8h en hiver) jusqu’à 18h. Il passe en 1893 « à service complet », avec une ouverture jusqu’à 21h.

L’activité la plus marquante de la nouvelle Mme Broutta sera l’installation dans la ville du téléphone en novembre 1893. Encore peu répandu, avec de l’ordre de 10 000 abonnés alors, le téléphone vient d’être nationalisé en 1889 et rattaché aux Postes et Télégraphes. La presse relève qu’il y a de nombreuses pétitions réclamant le raccordement au réseau parisien. En juillet 1892, la municipalité radicale de Joinville lance cet appel dans l’hebdomadaire Voix des communes « On cherche des gens qui, s’y intéressant, consentiraient à avancer gracieusement à la commune les 3 000 francs nécessaires à son installation. »

Un an plus tard, le même journal peut annoncer que « Le téléphone va fonctionner prochainement. Les amateurs désireux de le posséder chez eux sont officiellement priés de le faire savoir, afin qu’on puisse l’installer chez eux en même temps que la cabine publique. »

En novembre 1893, c’est l'inauguration de la ligne téléphonique reliant Joinville à Paris, en passant par le champ de courses de Vincennes. Plusieurs journaux font état de cette cérémonie, citant la présence du maire, Eugène Voisin, de ses deux adjoints, Jullien et Couppé, de plusieurs conseillers municipaux, notamment Blaize, Demeestère et Chapuis, ainsi que de Soulière, commissaire de police. Mme Broutta, directrice des postes est au côté de son mari, lieutenant-colonel de cuirassiers en retraite.

Mais c’est ce dernier qui réagit dans le quotidien XIXe siècle, précisant que « l'ouverture du téléphone au bureau de Joinville n'a été faite en présence de personne, cela ne regardant ni la municipalité, ni la police ; l'administration des postes, chatouilleuse avec raison, trouverait mauvais cette réclame qui pourrait nous être attribuée ».

Le couple quitte Joinville mi-septembre 1896, quand Antonine Broutta prend sa retraite. Ils vont s’installer à Saumur, Maine-et-Loire, rue du Roi-René, à proximité de la fille d’Antonine. Cette dernière, Marie Elizabeth vit au Coudray-Macouard ; elle est mariée avec Alphonse Desfaudais, ancien saint-cyrien et général de brigade.

Antonine Broutta meurt le 27 mai 1913 à Saumur. Elle était âgée de 77 ans. La messe d’enterrement a lieu au Coudray.

 

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15 juin 2018 5 15 /06 /juin /2018 01:01

Fin de la biographie de Georges Moreau

À côté de ses travaux d’écrivain, l'abbé Moreau ne négligeait pas les contacts avec la presse ni même les grands évènements intellectuels, si ce n’est mondains. Ainsi, en décembre 1895, il participe à la réception à l’Académie française de l’historien critique d'art et critique littéraire Henry Houssaye (1848-1911). Un mois plus tard, il est de nouveau à l’Académie française qui reçoit cette fois l’écrivain et critique dramatique Jules Lemaître (1853-1914).

Les talents de parole de Georges Moreau sont appréciés ; il est mobilisé pour le carême en 1895 à l’église Saint-Vincent-de-Paul ou pour Pâques en 1896 à Saint-Laurent. Le 4 mars 1895, le quotidien Le Matin commente ainsi : « L'abbé Moreau est encore un prédicateur de second plan, quoique, à tous les égards, il devrait être au premier plan. Il écrit beaucoup et bien, il parle mieux encore. Ses confrères l'ont depuis longtemps rangé parmi les épiscopables. On l'a trouvé autrefois trop libéral, on le trouve aujourd'hui trop ultramontain. Interrogé, il répond simplement : Je suis prêtre et rien que prêtre. »

C’est l'abbé Moreau que va rencontrer Le Matin quand il veut, en août 1892, avoir des commentaires sur une bien curieuse aventure de presse : l’interview du pape Léon XIII par l’écrivaine libertaire et féministe Séverine (alias Caroline Rémy, 1855-1929), parue dans Le Figaro le 4 août 1892. La présence de la suffragette et amie de Jules Vallès dans le quotidien conservateur est déjà surprenante ; le thème de son entretien aussi : l'antisémitisme.

Séverine, interrogeant le pape sur la guerre de races s’entendait répondre : « - Quelles races? Toutes sont issues d'Adam, que créa Dieu. Que les individus, suivant les latitudes, aient un teint différent, un aspect dissemblable, qu'importe cela, puisque leurs âmes sont de même essence, pétries du même rayon ? »

Et quand elle demande ce qu’il pense des « grands Juifs », sous-entendu ceux qui ont de l’argent, Léon XIII lui expliquait : « Je suis avec les petits, les humbles, les dépossédés, ceux que Notre-Seigneur aima. »

Georges Moreau affiche également son refus de l’antisémitisme, parfois avec des arguments tordant quelque peu ce que nous connaissons aujourd’hui de la réalité historique. Il classe Léon XIII dans « la lignée des grands papes », assurant que « L'Église, par l'organe des papes, n'a pas cessé de couvrir de son égide les juifs traqués et pourchassés. »

Confirmant ses opinions républicaines, Moreau n’hésite pas à invoquer le témoignage de l’abbé Grégoire, prêtre constitutionnel, parlant au nom des juifs à la barre de l'Assemblée nationale : « Les États du pape furent toujours leur paradis terrestre (…) tandis que l'Europe les massacrait. »

Le dernier livre imprimé connu de Georges Moreau est un discours qu’il tient, à Compiègne 17 juillet 1894 pour le centenaire de la mort sous l’échafaud de seize carmélites de la ville.

Il va mener un combat, en 1895, au nom de l’orthodoxie de la pensée catholique, qui lui vaudra pas mal de critiques. Recevant chez lui, à l’automne 1895, un journaliste du Matin, il parle du projet de congrès universel des religions, projeté pour 1900 à Paris et qui se tiendra finalement en Suisse. Il se dit « séduit » par l’idée de voir ensemble « toutes les sectes protestantes, juives, orientales ou autres », qu'on y invite « les musulmans et les païens, les pasteurs, les rabbins, les popes, les muphtis et les bonzes ». Mais il est catégorique : « Seule, la religion catholique n'y a pas de place, cette place fût-elle la place d'honneur. »

Son argument est définitif : « La tolérance, en matière de dogme, est une hérésie. L'église catholique (…) n'a rien à apprendre, rien à recueillir d'aucune secte ». Il veut donc se tenir à l’écart de cette « foire aux religions. »

Le quotidien culturel Gil-Blas, d’habitude mieux disposé à son égard, verra dans l’attitude de l'abbé Moreau celle d’un prêtre « encore moyen-âge ». Le littérateur spiritualiste et futur sénateur radical-socialiste de la Guadeloupe, Henry Bérenger (1867-1952), voit dans les propos de Moreau « la démonstration qu'aucune œuvre intellectuelle ou sociale ne peut-être entreprise avec le concours d'une Église qui se déclare elle-même intolérante, exclusive et dépositaire de la seule vérité ». Il en tire la conclusion que « Étant allés au clergé sans parti-pris, nous en sommes revenus nettement anticléricaux. C'est là un progrès négatif, mais c'est tout de même un progrès. »

En juillet 1896, Moreau retrouve une aumônerie, celle des religieuses du Très-Saint-Sauveur de la rue Bizet à Paris. Il cesse d’écrire pour les Annales catholiques.

L’abbé Georges Pierre Moreau meurt le 22 juillet 1897 à Marquette-lez-Lille (Nord). Il résidait route d’Ypres mais sa domiciliation restait toujours à Paris. La déclaration de sa mort est faite par des voisins qui ne savent pas signer. La raison de son séjour n’est pas connue. Les obsèques de l'abbé Moreau sont célébrées à l’église Saint-François-Xavier de Paris. Georges Moreau était âgé de 54 ans.

Léon XIII

 

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13 juin 2018 3 13 /06 /juin /2018 01:01

Suite de la biographie de Georges Moreau

Après L'Hypnotisme, dernier livre important qu’il édite en 1891, Georges Moreau ne cesse pas d’écrire. Au contraire, il va produire une grande quantité d’articles, dont au moins 104 sont inclus, sous sa signature, dans l’austère revue religieuse hebdomadaire Annales catholiques, dirigée par Paul Chantrel (1853-1928).

La revue avait déjà accueilli, en 1885, la Lettre au journal le Monde dans laquelle l’abbé Moreau affirmait sa stricte obéissance envers la doctrine catholique.

Les textes de Georges Moreau portent sur des questions morales, sociales, théologiques et doctrinales. On y trouve des essais importants et des comptes-rendus de lectures plus brefs. Le total fait plus de 770 pages. Pendant quatre années, entre 1891 et 1894, les textes de l’abbé Moreau sont présents dans environ un numéro sur deux. Le premier texte était publié en juin 1890, le dernier datant de février 1896.

La finalité exacte de ces articles n’est pas connue. Peut-être s’agit-il de supports d’enseignement ayant servi par exemple pour l’école des Carmes, la préfiguration de l’Institut catholique, futur établissement universitaire de l’Église à Paris. Une partie des textes reprennent des extraits de ses propres publications (L'hypnotisme en 1890-1891, Les carmélites de Compiègne en 1894) ou des discours qu’il a prononcés.

Parmi les plus importantes contributions, on peut mentionner les travaux suivants. En 1891 et 1892, dix articles abordent Le progrès matériel et l'esprit chrétien, treize prolongent l’examen sur L'Église et la question sociale qui se conclut par un texte de 1893 sur La question ouvrière. Dans ces textes, l’abbé Moreau s’intéresse au syndicalisme mais également aux questions politiques autour du socialisme.

La question des relations entre l’Église et les États est aussi une préoccupation majeure pour Moreau en 1892-183. Quatre articles traitent de L'Église et l’État en France, deux des Rapports de l'Église et de l’État en Angleterre, de nouveau quatre des Rapports de l'Église et de l’État aux premiers siècles et encore deux des Rapports de l'Église et de l’État sous les mérovingiens, sans oublier deux textes qui clôturent la série sur les Tentatives de résistance contre l'Église au 3e siècle.

Les commentaires des textes bibliques se répartissent sur toute l’œuvre. En 1891, sept articles parlent de Jésus-Christ d’après l’évangile ; une Étude du Nouveau Testament vient en 1893 avec quatre textes ; en 1895 il rend compte en deux articles d’un livre du RP MJ Ollivier sur Les amitiés de Jésus.

Plusieurs autres séries se consacrent à des questions historiques, comme Les évêques pendant la Révolution (trois articles en 1894), les Martyrs de la papauté (huit articles en 1894) ou La faculté de théologie de Paris (trois articles en 1894, 1895 et 1896).

Les textes de Georges Moreau explorent peu la question des autres religions et philosophies, mais il en consacre cependant en 1893 deux au judaïsme (la religion mosaïque) et un à Platon.

Les commentaires sur les documents issus du Saint-Siège, très présents dans les Annales catholiques, sont moins fréquents sous la plume de Moreau, mais on trouve cependant en 1891 trois Études de la bulle Apostolicae sedis, et un article en 1893, Le pape et son infaillibilité.

La morale est à l’origine d’une grande part des travaux de l’abbé Moreau à partir de 1893 : De l’empire sur les passions (deux articles), Des conditions de l’acte moralement mauvais, De la conscience téméraire, De la haine d’abomination.

Les questions liturgiques sont également fort présentes : le Culte des saints (deux articles en 1891), Règles liturgiques concernant le culte des saintes reliques et des saintes images (1893), De la prédication (1893), Le livre de paroisse (1893), Le secret sacramentel (deux articles en 1894).

Quelques textes traitent du personnel ecclésiastique : La vocation à l’apostolat (1893), Le corps épiscopal (1893), Le prêtre exemple des fidèles (deux articles en 1894), Un traitement extraordinaire des curés, desservants et vicaires (1893), Le prêtre est l’homme de Dieu (1893).

Trois articles sont consacrés à des thèmes actuels : les deux premiers sont, en 1890, un reportage de Huit jours à la Grande Trappe de Soligny, décrivant les réactions des habitants face à l’expulsion des moines. En 1895, Moreau donne son opinion sur Le congrès universel des religions, planifié en Suisse pour 1900.

Enfin, on remarque en 1895.un commentaire de la soutenance d’une thèse à la Sorbonne par l’abbé Urbain, une critique du livre de l’abbé Picard À la recherche d’une religion civile et trois articles consacrés au cardinal Perraud

L’ampleur de la production de Georges Moreau, avec ses livres et ses articles, montre qu’il consacrait une grande partie de son temps à son travail d’essayiste et de théoricien, et sans doute que ce qu’il écrivait avait une certaine autorité. L’évolution des thèmes traités montre un personnage d’abord très ancré dans son temps, et même dans l’actualité politique (les expulsions de religieux, le budget des cultes), attentif aux questions sociales (les prisons, la vie économique, la condition des travailleurs), disposant d’une culture juridique étendue (les relations Église-État) et d’une base scientifique (l’hypnose). La théologie, si elle n’est pas absente, est loin d’être la matière principale. Mais les dernières années des publications connues témoignent d’un glissement vers des thèmes plus historiques que contemporains et par une part accrue des questions morales ou liturgiques.

À suivre

 

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11 juin 2018 1 11 /06 /juin /2018 01:01

Suite de la biographie de Georges Moreau

Après la parution du Monde des Prisons, l’abbé Moreau cesse d’écrire sur le système pénitentiaire. Comme il ne semble pas être en charge d’une fonction pastorale, il poursuit cependant ses travaux d’essayiste et participe à de nombreuses cérémonies, prononçant également des discours qu’il publie parfois.

En janvier 1890, Georges Moreau est ainsi à Beauvais pour discourir sur les Devoirs de la charité devant l’évêque et les autorités civiles au complet.

Il publie en 1891  une étude scientifique et religieuse, L'Hypnotisme. S’il se consacre à cette question, c’est que « L'hypnotisme est à l'ordre du jour. On en parle partout dans les salons et dans les académies, dans les journaux et dans les revues, dans les tribunaux et jusque dans les églises. »

Le livre commence par une partie historique. Elle démarre en 1778 avec arrivée à Paris de Franz-Anton Mesmer (1734-1815), théoricien du magnétisme ; elle dure jusque 1878, quand le Dr Jean-Martin Charcot débute ses conférences sur l'hypnose et l'hystérie, qui sont à l'origine de l'École de la Salpêtrière, à Paris.

Sept chapitres composent la partie scientifique. Ils sont consacrés au sommeil et ses modifications morbides ; aux sujets et manœuvres hypnotiques ; à l'école de la Salpêtrière et à l'école de Nancy ; à la suggestion ; à la suggestion mentale ; à la thérapeutique magnétique ; et enfin à la thérapeutique hypnotique.

L’ouvrage se referme sur une partie doctrinale : l'hypnotisme et la loi morale; l'hypnotisme et la loi catholique. Est-il permis d'hypnotiser? De se laisser hypnotiser ? Peut-on ne voir dans les phénomènes hypnotiques que le jeu normal des forces humaines agrandi par le sommeil nerveux? Ou l'action du démon est-elle nécessaire pour expliquer certains phénomènes ?

La conclusion scientifique se résume ainsi : Medici certant et adhuc sub judice lis est (la chose n’est pas encore résolue en médecine). La conclusion théologique est assez normande : l'Église n'est ni pour ni contre l'hypnotisme; mais elle condamne certaines pratiques et réprouve, dans les phénomènes de clairvoyance divinatoire ou de suggestion mentale, tout ce qu'on doit attribuer a l'action démoniaque.

Dans la revue Études religieuses, publiée en 1891, le jésuite Y. Mercier remarque que le travail de Moreau a été approuvé par plusieurs évêques et, s’il critique la sélectivité de la partie scientifique, il assure que l'orthodoxie de sa doctrine est complète.

Une grave question va être posée par le quotidien Le Matin qui publie un article intitulé Ève libérée dans son numéro du 15 août 1891. L’utilisation de l'hypnotisme comme anesthésique aux douleurs de l’accouchement est-elle compatible avec le verset biblique « Tu enfanteras dans la douleur » (Genèse 3.16) ?

L'abbé Moreau s’interroge d’abord : « Quelle étrange idée de venir interviewer un prêtre sur ce point délicat et tout spécial ». Il répond ensuite d’une manière générale : « L'Église n'approuve ni ne blâme aucune opinion. Elle garde prudemment le silence sur les théories et signale simplement les dangers à éviter pour la santé publique et la morale. Une science, innocente en soi, peut, à cause des abus fréquents, devenir une source de périls. »

Réinterrogé sur le risque qu’il y aurait de faire mentir la parole de malédiction adressée à Ève et à toute sa lignée, Georges Moreau considère finalement que la question ne se pose pas encore. Il attend que soit établie une vérité expérimentale. Manifestement, pour lui, la douleur n’est pas une vérité d’évangile.

À suivre

 

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9 juin 2018 6 09 /06 /juin /2018 01:01

Suite de la biographie de Georges Moreau

À une époque où le radicalisme prend le pouvoir en France, l’abbé Moreau, républicain affirmé, a contribué, en rédigeant le Monde des Prisons, à fissurer une tradition qui, derrière des règlements de façade, autorisait l’arbitraire et la concussion dans la vie des établissements pénitenciers. Ce ne fut pas sans résistances.

Dans le Journal des débats du 8 février 1887, signé H.A., une chronique sur le Monde des Prisons  s’en prend à son style. Le rédacteur estime que, sur les 375 pages du livre, « 100 au moins appartiennent en propre à Victor Hugo, il est déjà pour moitié dans la préface, 25 à Lacenaire, 50 à Eugène Sue, et 150 à divers détenus qui ne s'attendaient pas à voir leur prose appelée à cet honneur. »  Sur le fond, il estime « qu'il n'y a de nouveau dans le travail de l'abbé Moreau que les accusations personnelles produites par un ancien fonctionnaire malheureux. »

Mais le choc dans l’opinion est cependant net. Ainsi, c’est en se fondant sur le Monde des Prisons que le pasteur Hirsch organise de nouveau une conférence en février 1887, après celle qu’il avait consacrée à la peine de mort en s’appuyant sur les précédents Souvenirs de la Roquette en 1885.

L’ancien communard et futur président du conseil de Paris, Louis Lucipia (1843-1904) rédige un billet pour le quotidien Le Radical, qui paraît en Une le 5 mars 1887. Commentant les articles de certains de ses confrères, il note que « les gens ayant licence pour défendre l'administration poussèrent des cris d'indignation, cris provoqués beaucoup moins par les ignominies révélées que par la révélation elle-même ». Il réfute l’argument des accusations portées contre Georges Moreau : « Par malheur, c'est un argument bien vieux, bien usé, que de dire à un monsieur : Vous en êtes un autre. »

Pour l’ex-condamné à mort, gracié et déporté en Nouvelle-Calédonie, « l'administration, dont la face s'empourprait qu'on osât l'accuser, qui jurait ses grands dieux que c'était pure calomnie, et qui menaçait de ses foudres les calomniateurs — après enquête publique — n'insistera pas outre mesure. Elle sera fort heureuse et fort aise si, de lenteurs calculées en atermoiements voulus, elle arrive à détourner l'attention. »

L’année suivante, le quotidien de gauche La Lanterne revient sur le Monde des Prisons : « On avait parlé de poursuites contre le livre : l'administration s'est contentée de les annoncer ; prudemment elle n'a pas mis ses menaces à exécution. Elle a bien fait, à son point de vue ; car si l'auteur eût pu être condamné par le tribunal, l'administration eût été condamnée à coup sûr par l'opinion publique. »

L’écrivain Félicien Champsaur (1858-1934), publie une chronique dans l'Événement dans laquelle il répond à l’abbé Moreau qui l’interrogeait : « Quelqu'un m'assure que c'est une règle à l'Événement de ne jamais présenter au public un livre composé par un prêtre ». Il apprécie le « zèle pour les misérables » de Moreau et le félicite : « C'est une leçon que vous, prêtre, donnez à la divinité en pardonnant même au mauvais larron. »

L’ouvrage, plus encore que les Souvenirs de la Roquette, va faire l’objet de très fréquentes citations dans les textes, revues et livres consacrées à la politique pénitentiaire ou à la peine de mort. C’est la base d’une thèse de Georges Bessière, publiée en 1898, sur La Loi pénale et les délinquants d'habitude incorrigibles.

  • Le Monde des prisons était paru à la Librairie illustrée, à Paris, en 1887. Il a été réédité en 2015 par Hachette Livre et la BNF. Il est également disponible en téléchargement sur le site Gallica (Le Monde des prisons).

À suivre

Louis Lucipia (phot. Gerschell)

 

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7 juin 2018 4 07 /06 /juin /2018 01:01

Suite de la biographie de Georges Moreau

Les polémiques ouvertes par la presse de droite contre l'abbé Moreau et son ouvrage, le Monde des Prisons, vont se refermer sans dommage pour lui. Le commissaire chargé de faire une enquête sur ses propos donne acte qu’il lui a fourni toutes les explications sur les allégations contenues dans son ouvrage. Le Matin rapporte qu’il a déclaré « qu'il n'avait rien à retirer de ce qu'il avait écrit et qu'il avait plutôt à y ajouter. »

Le quotidien culturel Gil-Blas fait sous la signature de Graindorge, un billet humoristique autour du livre : « La Grande-Roquette est une station balnéaire située à l'est de Paris, dans un paysage peu agréable à l'œil : l'horizon y est borné d'un côté par un cimetière et, d'un autre, par des abattoirs. Le voisinage de ces deux sites, qui ont été pourtant maintes fois explorés par les membres du club Alpin, empêche l'air d'être tout à fait sain et favorable au libre jeu des poumons ; des émanations, tantôt putrides et tantôt sanguinaires complètent un ensemble peu satisfaisant. La façade du casino présente les signes d'une répugnante vieillesse ; elle est noire et lézardée. L'intérieur n'est pas plus séduisant : les meubles, rares, sont sales et usés, les appartements sans confortable, le service mal fait, le personnel presque impertinent. Rien de ce qui peut rendre le séjour facile et gai n'y est aménagé. Peu ou pas de distractions : même le jeu enfantin des petits chevaux n'y est point toléré; il est remplacé par le jeu des petits chevaux de retour, où la tricherie est aisée et décourageante pour les joueurs honnêtes. M. l'abbé Moreau affirme que le sympathique directeur du Casino se laisse souvent aller à des accès de colère que rien n'explique, et qu'il lui est arrivé de battre des malades qui ne voulaient point guérir. Tout cela décourage la clientèle. Ajoutons que, non seulement le séjour de la Grande-Roquette est pernicieux pour les affections du foie, du sang ou de la bile, mais il entraîne encore des maladies spéciales et topiques. Citons simplement la maladie appelée guillotine qui se contracte aux environs. Les observations présentées par l'abbé Moreau au sujet de la Grande-Roquette s'appliquent à Mazas et à plusieurs autres stations. Elles justifient suffisamment la méfiance des médecins. »

Dirigé par Georges Clémenceau, La Justice, assure en Une, le 5 février 1887, paraphrasant Shakespeare, « Il y a quelque chose de pourri dans le régime pénitencier de la République française ». Il assure que le livre de l'abbé Moreau a jeté un jour lugubre sur les hontes de l'administration des prisons. Le quotidien assure que les détails apportés par Georges Moreau confirment ceux qu’ils avaient recueillis à propos des établissements de Poissy, de Saint-Lazare ou de Porquerolles. Il s’offusque des dénégations du directeur de la Grande-Roquette. La Justice en appelle à mettre fin à ces « monstrueux abus » et revendique que le personnel directeur des prisons soit « fortement épuré. »

Toujours aussi anticlérical, le quotidien XIXe siècle, va quelque peu rectifier sa position antérieure. Signé Raoul Lucet, pseudonyme d’Émile Gautier, journaliste et théoricien anarchiste (1853-1937), l’article paru en Une le 5 février 1887 flétrit d’abord « ce curé un peu trop laïcisé » se moquant : « il y a du sang dans son eau bénite ! » Pour lui, « Cela sent vraiment un peu trop la rancune personnelle, l'aigreur du prêtre à l'amour-propre froissé et aux ambitions rancies, et je ne sais quel goût dépravé de scandale. »

Mais celui qui était sorti un semestre plus tôt de la geôle de Sainte-Pélagie, où il était enfermé pour avoir assisté en juillet 1881 au congrès de Londres de l’Association internationale des travailleurs (AIT), peut témoigner que « les griefs formulés ne sont pas tout à fait sans fondement. »

Émile Gautier relève cependant : « A quoi bon, d'ailleurs, des cruautés illégales, quand le règlement — que personne n'a le cœur assez dur pour appliquer à la lettre — fournit tant de moyens de mater les indisciplinés. » Il poursuit « En ce qui concerne la vénalité des gardiens, l'abbé Moreau exagère à peine. Il est notoire que, dans toutes les prisons de la Seine, le pourboire est une institution presque aussi solidement ancrée que le pourboire traditionnel des cochers de fiacre et des garçons de café. »

Décrivant longuement l’état terrible des prisons, le journaliste assure que « la phtisie, l'anémie, les rhumatismes, le scorbut y règnent à l'état quasi-endémique. Tout condamné à plus d'un an est marqué d'avance pour la tuberculose. Chaque prison devient ainsi, en même temps qu'une école de démoralisation, un abcès purulent, un foyer d'infection d'où, par un écoulement ininterrompu, la contagion se déverse dans la circulation sociale. »

Se réjouissant que la diatribe de l'ex-aumônier ait vivement ému le Conseil supérieur des prisons et le préfet de police lui-même avec le « pétard » qu’il a tiré, Émile Gautier espère qu’il aura permis de secouer la torpeur des pouvoirs publics et à dissiper les illusions courantes. Il conclut : « Contrairement, sans doute, à ses intentions intimes, le vindicatif abbé aura fait de bonne besogne : All's well that ends well. »

À suivre

Émile Gautier

 

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5 juin 2018 2 05 /06 /juin /2018 01:01

Suite de la biographie de Georges Moreau

Si la presse conservatrice se déchaine contre l'abbé Moreau et son Monde des prisons, il a cependant des défenseurs. Ainsi, le président du conseil (premier ministre) René Goblet, radical-socialiste, évoque son livre à l’occasion d’une réunion du conseil supérieur des prisons, le 1er février 1887, en assurant que « l'administration ne peut que se féliciter de toute occasion qui s'offre de provoquer l'examen d'hommes compétents et de faire la lumière »

Le quotidien de gauche Le Rappel s’intéresse à l’hostilité de Moreau envers peine de mort. « Personne, excepté le bourreau, ne l'a vue de plus près. Personne donc n'est plus à même de s'en faire une idée nette. Il a conduit les condamnés à l'échafaud. Il les a vus à l'heure suprême, au moment où les masques tombent, où l'âme apparaît toute nue. Il est descendu, par la confession, dans les profondeurs du crime. Il n'ignore aucun des replis hideux de la scélératesse. Et sa conclusion est que la peine de mort est atroce, monstrueuse, inadmissible. Et, lui qui a le dernier mot des condamnés, il est pour qu'on les laisse vivre. Quel argument contre le meurtre légal ! »

Mais le quotidien, anticlérical, se réjouit des attaques proférées contre l’abbé, sans même les discuter : « C'est un joli monsieur cet aumônier qui a accusé les autres des méfaits qu'il a commis. Encore un abbé qui fait honneur au clergé. »

Le Temps, organe des milieux d’affaires, prend en considération des arguments de Moreau au sujet en reproduisant une citation qu’il attribue au poète, escroc et criminel Pierre François Lacenaire (1803-1836) : « Le nombre effrayant des récidives ne provient que des vices du système pénitentiaire français. Les bagnes et les maisons de réclusion, qui revomissent périodiquement dans la société l'écume des malfaiteurs, sont les gouffres de démoralisation où se prépare et se distille le poison qui corrompt jusqu'au cœur du détenu et le rejette, au sortir d'une condamnation correctionnelle sur les bancs de la cour d'assises ». Le journal, reprend aussi des commentaires de l’abbé concernant les directeurs de prison : « À côté de braves gens sans éducation, sans instruction, on trouve trop d'ivrognes, trop de grossiers personnages, trop de vieux caporaux à trois brisques qui croient qu'on leur parle volapük quand on les entretient de relever le moral des détenus. »

Le même quotidien fait place aux dénégations du directeur mis en cause. Il assure que la « nourriture est à la fois suffisante et saine, et que les détenus n'ont jamais élevé aucune plainte à cet égard ». Quant aux surveillants, il assure que les reproches qu'on leur adresse ne sont point mérités.

Le Gaulois, quotidien à vocation culturelle, rapporte, le 5 février 1887, l’entretien qu’ont eus l'abbé Moreau et le préfet Arthur Gragnon. Il assure qu’il fut cordial, que le fonctionnaire a démenti avoir jamais songé à faire saisir son livre. Le journal rapporte que le préfet aurait laissé entendre que l'enquête judiciaire ouverte à propos des faits qu’il signale, avait des chances d’être étouffée dans l'œuf. Le commentaire du journal est que « La préfecture de police sait fort bien que rien de ce qu'a avancé l'abbé Moreau n'est exagéré; aussi se propose-t-elle de réformer les abus, mais tout en ayant l'air d'en nier l'existence ». Le même journal tient présente également une hypothèse : la préfecture de police « n'ignore pas que c'est l'administration supérieure, représentée par MM. Herbette et Nivelle, qui a fourni à l'auteur du Monde des prisons une bonne partie des documents dont il s'est servi et que, par conséquent, il ne peut y avoir doute sur la sûreté de ses informations. » Louis Herbette (1843-1921) était le directeur de l’Administration pénitentiaire (1882-1891).

À suivre

Pierre François Lacenaire (lith. Wikipédia)

 

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3 juin 2018 7 03 /06 /juin /2018 01:01

Suite de la biographie de Georges Moreau

Après les longs articles du Figaro et du Matin, la presse continue en février 1887 de faire une place considérable à la parution du Monde des prisons  de l’abbé Moreau, mais les ripostes s’organisent aussi. Dans XIXe siècle, l’écrivain Paul Ginisty, après avoir brièvement évoqué les abus mentionnés par Moreau, assure ne pas prétendre que « tout soit parfait dans la façon dont sont menées nos prisons ». Mais il se demande « quel degré de confiance on peut accorder à M. l'abbé Moreau » ? Il lui reproche de s'amuser « à noter ses impressions et à en former des chapitres d'un livre où il découpait en petites tranches, à la façon des romans-feuilletons, les scènes les plus émouvantes dont il avait été le témoin ». Il s’insurge sur le fait qu’il aurait provoqué « dans les journaux, par tous les moyens, de tapageuses réclames », exploitant ainsi une « passion malsaine. »

Paul Ginisty s’indigne : « que penser quand ce prêtre, au lieu d'être tout à son émotion et à des pensées supra-humaines, n'a que des préoccupations de reporter et ne guette les dernières manifestations du condamné, affalé, à deux pas du couteau, que pour les raconter, à grand renfort d'alinéas remplis de points de suspension et de trucs typographiques à la Montépin ? » Xavier de Montépin (1823-1902) est un romancier populaire français qui a publié des dizaines de drames dont La Porteuse de pain.

Toujours à sa colère, le journaliste du XIXe siècle, qui vit pourtant de sa plume, éructe contre Moreau « qui vend à un libraire, lui, ministre de la religion, ses tragiques appréciations! Est-il quelque chose de plus révoltant, de plus cynique? » Il lui voit pour « seule excuse » « son inconscience, son absence de tout sens moral. »

Pour Ginisty, Moreau est un « écrivain pitoyable » dont le témoignage ne serait pas digne de quelque estime.

De nombreux journaux vont relayer l’information que le préfet de police Arthur Gragnon a ordonné une enquête, confiée au commissaire Clément, qui doit demander à l'abbé Moreau les noms de ceux qu'il a voulu désigner dans son livre. « Au cas où l'abbé Moreau refuserait de citer les noms, il serait poursuivi pour diffamation ; dans le cas, contraire, où les faits affirmés par lui seraient exacts, le préfet procédera immédiatement aux changements qu'il croira devoir faire dans le personnel de la prison » écrit le quotidien catholique conservateur L’Univers.

Beaucoup d’organes de presse reviennent aussi sur les conditions dans lesquelles l'abbé Moreau aurait dû quitter son poste : il y aurait eu « de nombreuses plaintes » contre lui, il aurait commis « plusieurs infractions au règlement » et se serait notamment « chargé de remettre directement des sommes d'argent aux détenus » selon le Journal des débats.

Le registre politique est également utilisé par les commentateurs. Ainsi, le romancier Georges Grison, de nouveau dans Le Figaro, voit « des coïncidences vraiment bien fâcheuses. Juste au moment où le verdict, au moins singulier, du jury de la Seine donne à toute la presse radicale l'occasion de tomber à bras raccourci sur l'abbé Roussel, voilà un autre prêtre qui prête au scandale en lançant un livre à tapage ». D’ailleurs, le journaliste a enquêté sur les faits : « J'ai interrogé non pas des détenus, mais des libérés. Ils m'ont ri au nez. Il ferait beau voir qu'on les battît ! » Quant au directeur de la Grande-Roquette, mis en cause par Moreau, Grison l’exonère de toute responsabilité en lui laissant la parole : « Je défie qu'ou puisse prouver que j'aie jamais battu personne ». D’ailleurs, « la Roquette dépôt des condamnés n'est point une prison d'opéra-comique. »

En conclusion, Georges Grison, qui reprend totalement les dires de M. Beauquesne, directeur de la prison, assure que « l'abbé Moreau commettait tranquillement les irrégularités dont il accuse les autres ! » Il se réjouit que « la publication du Monde des Prisons ne retarde un peu les grandeurs qu'il ambitionne », rapportant qu’il aurait eu pour objectif l'épiscopat. Il accuse même ce dernier d’avoir volé les notes de l’abbé Crozes, qu’il a utilisé pour rédiger les Souvenirs de la Roquette. Mais le même journal publiera plus tard la copie de la lettre de l’abbé Crozes confiant ses notes à son successeur.

À suivre

Paul Ginisty (phot. Wikipédia)

 

 

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1 juin 2018 5 01 /06 /juin /2018 01:01

Suite de la biographie de Georges Moreau

L’article d’Albert Wolff paru dans Le Figaro le 30 janvier 1887, posait clairement des questions qui vont nourrir le débat public autour du Monde des prisons de l'abbé Moreau/ Si ses opinions sur la politique pénitentiaire sont critiquables, ses révélations sur le traitement des détenus sont crédibles et exigent une enquête officielle.

Le lendemain, c’est le quotidien populaire Le Matin qui insère, toujours en Une, un très long papier (non signé) et un entretien avec l’abbé Moreau. Qualifiant le livre d’étrange, il assure que « jamais volume ne visa moins au scandale et que jamais écrivain ne chercha davantage à éviter la réclame malsaine ». Il voit un « traité de pathologie spéciale dont les formules arides et les descriptions seraient enrobées dans des anecdotes typiques. »

Pour Le Matin, l'auteur est « un prêtre assez indépendant et assez hardi pour rompre en visière avec les traditions et oser mettre son nom sur un travail qui touche aux côtés les plus honteux et les plus immoraux de la société. L'abbé Georges Moreau est encore jeune, bien que ses cheveux soient tout blancs. Grand, droit, l'air très crâne, l'œil franc, regardant bien en face, il a l'allure décidée de l'homme qui ne sait pas reculer ».

L’interview permet au vicaire général honoraire de Langres de préciser ses intentions : « Je l'ai écrit [le Monde des prisons] parce que seul je pouvais faire connaître l'intérieur des prisons, ce qui s'y passe et ce qui s'y dit. (…) Personne n'ajouterait foi aux mémoires d'un prisonnier ; le personnel administratif se garderait bien de signaler des abus dont il est en grande partie responsable (…) C'était un devoir pour moi de le faire connaître et de signaler avant tout ce fait, que les réformes pénitentiaires sont enrayées par ceux-là même qui ont mission de les assurer. »

Revenant sur les réactions qu’il a provoquées, G. Moreau poursuit : « Je suis déjà en butte, aux critiques les plus violentes. On m'accuse de faire mon évangile des livres de Goncourt et de Zola, mais peu m'importe. En somme, c'est un peu vrai. Bien résolu à peindre des morceaux sombres, j'ai étudié, dans les auteurs qui ont osé aborder ce genre, leurs procédés et leurs manières, et j'estime que je ne pouvais pas me servir du style de Mme Deshoulières pour parler des bandits qui sont internés à la Grande Roquette. » Antoinette Deshoulières (v. 1634-1694) est l’auteur de poésies comme l’Idylle des Moutons ou Les Amours de Grisette.

La thèse que défend Moreau est qu’il y a trois catégories de criminels : les voleurs par profession, les voleurs par accident qui récidivent et les voleurs par accident qui ne récidivent pas. Il écarte « les brutes et les passionnels », qui selon lui « ne constituent pas un danger plus grand qu'un chien enragé. »

Il évalue le nombre des voleurs par profession en France à 300 000, sur une population inférieure alors à 40 millions d’habitants. Il postule que la prison, supposée les empêcher d'agir, « est un endroit infernal ». Elle serait un encouragement à la récidive : « Avec la promiscuité des prisonniers, c'est l'école de tous les vices, des débauches les plus crapuleuses. L'homme en sort plus pourri, moralement, qu'il n'y est entré et, grâce à la mauvaise nourriture qu'on lui donne, à l'hygiène déplorable qu'il y trouve, il quitte l'établissement anémié, veule, sans forces, incapable physiquement de gagner sa vie et parlant obligé de recommencer à voler. »

Poursuivant sa présentation, l’abbé oppose la sévérité du régime pénitentiaire aux adoucissements et aux faveurs « réservées aux bandits les plus incorrigibles » qui disposent d’argent ou de complices. Il explique que « grâce à la promiscuité dans la prison, la société n'est nullement protégée par l'internement du voleur. Si celui-ci a préparé un coup qui pouvait manquer par le fait de sa mise en prison, il en vend l'exécution avec tous les détails pour le faire à un camarade qui va finir son temps, et à son tour, au moment de sa sortie, il achète d'un nouvel arrivant le plan d'une expédition fructueuse. »

En venant au rôle des directeurs de prisons, Moreau parle d’un « arbitraire sans limite ». Il accuse certains d’entre eux de susciter des révoltes pour faire remarquer leur poigne.

Moreau ne voir qu’un remède, radical par rapport à l’organisation des prisons à cette époque, le système cellulaire : « Avec la cellule, la pourriture de prison ne peut se propager. Les voleurs de profession susceptibles d'un retour au bien ne s'amenderont que dans l'isolement. Les autres deviendront fous ou mourront. Faudrait-il les pleurer ? »

Continuant sa catégorisation, il passe aux voleurs par accident. « Une fois en prison, la pourriture les prend, les gangrène, et, quand ils sont sortis, l'accident est devenu habitude. » Quant à ceux  qui ne récidivent pas, l'abbé Moreau assure qu’il y en a bien peu : « j’en ai bien connu… deux. »

À suivre

 

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30 mai 2018 3 30 /05 /mai /2018 01:01

Suite de la biographie de Georges Moreau

Après avoir démissionné de l’aumônerie de la prison parisienne de la Grande-Roquette, l’abbé Moreau est nommé vicaire général de l’évêché et chanoine titulaire de la cathédrale de Langres (Haute-Marne). Une fonction qu’il ne va occuper que fort peu de temps de manière effective, puisque qu’il démissionne début mars, tout en étant nommé alors vicaire général honoraire de Langres, titre qu’il portera ensuite pendant le reste de sa carrière.

Ce sont les suites des activités éditoriales de Georges Moreau qui sont à l’origine du renoncement à sa nouvelle fonction. En février 1885, il publie une lettre ouverte à plusieurs journaux, reprise dans le Journal des villes et des campagnes ou Le Pays, dans laquelle il affirme sa totale fidélité avec la doctrine de l'Église catholique assurant, au sujet de ses propres écrits : « d’avance, je condamne tout ce que le Saint-Siège n’approuverait pas. » De manière rétroactive, il assure « Il y a des pages que je voudrais n’avoir jamais écrites. C’est pourquoi de moi-même j’ai retiré de chez mon éditeur les exemplaires qui restaient. Je n’ai qu’un désir : vivre et mourir non seulement dans une entière communion de croyances avec mes vénérés confrères, mais encore dans une pratique absolue de la réserve sacerdotale, et dans un respect aussi filial qu’inaltérable envers mes supérieurs. »

Toujours sollicité lors des débats parlementaires au Sénat sur la question de la suppression de la publicité des exécutions capitales en mai 1885, l'abbé Moreau va se lancer dans la rédaction d’un essai qu’il intitule Le Monde des prisons et qui est daté de 1887, mais déjà annoncé dans la presse à partir de février 1886.

Au travers des cas qu’il raconte, l’abbé Moreau essaie de faire vivre la prison, pointant du doigt son inhumanité. La Troisième République venait, en 1885, d’ouvrir les bagnes de Cayenne (Guyane) et de Nouvelle-Calédonie, Georges Moreau mettait en cause le sentiment de protection de la société, fondement de cette loi sécuritaire. Mais il avouait préférer encore la « guillotine sèche » du bagne à la « guillotine sanglante. »

Plus encore que les Souvenirs, ce nouvel ouvrage va avoir un impact dans l’opinion publique, suscitant des dizaines d’articles et une polémique virulente.

Dans un long article en Une du quotidien Le Figaro, le critique d’art Albert Wolff ouvre le bal, le 30 janvier 1887, en décrivant Georges Moreau comme « un abbé parisien quoiqu'il soit chanoine honoraire de Langres ; il est dans le train, comme on dit, c'est-à-dire en plein mouvement ». Il le crédite de qualités littéraires : « Ce prêtre est doublé d'un chroniqueur et il n'ignore aucune ficelle du métier. (…) [Il] connaît bien son public; il sait que pour lui faire avaler ses idées philosophiques il lui faut les cacher dans du pain à chanter, comme une mauvaise drogue dont le lecteur n'est pas friand. »

Le même Albert Wolff résume ensuite ce qu’il considère comme les idées philosophiques de M. l'abbé Moreau : « Il est au fond contre la peine de mort ; dans tous les cas, il trouve indigne de notre civilisation les honteuses exécutions sur la place publique. De plus, M. l'abbé est d'avis que la promiscuité de la prison répand le vice et rend impossible tout retour vers une vie honorable, car les anciens camarades de détention sont là pour l'empêcher. Ils s'accrochent à la vie de l'homme qui voudrait rentrer dans le sentier de la vertu ; ils le font chanter et, quoi qu'il fasse, il lui faudra bien devenir un récidiviste. L'abbé Moreau est donc pour le régime cellulaire et non pour la vie en commun dans les prisons. Je crois qu'il a raison. »

Mais ce que retient d’abord le journaliste du Figaro, ce sont les révélations sur la façon dont sont administrées les prisons. Pour lui, on entre dans l'invraisemblable et il ajoute « si tout autre qu'un ancien aumônier de la Grande-Roquette nous racontait ces choses, nous ne voudrions pas y ajouter foi un seul instant ». Il ajoute un commentaire personnel : « Un dimanche, j'ai vu à Mazas [autre prison parisienne] la distribution des rations de viande, ou plutôt d'une graisse jaunâtre dont mon chien ne voudrait pas ». Mais Wolff refuse de s’en indigner car, selon lui, « l'honnête homme est souvent plus misérable que le criminel. »

Wolff insiste sur ce qu’il considère comme le plus grave, la question des gardiens. L'abbé Moreau les dénonce comme trafiquant avec les détenus et se faisant en quelque sorte leurs complices pour de l'argent. Le détenu a donc en la personne de son gardien « un valet de chambre attentif à ses désirs, obéissant à ses ordres ». Le chroniqueur y voit une preuve de « l'incurie administrative, la crainte de faire un scandale ; le gardien-chef ferme les yeux, le directeur de la prison laisse aller les choses, la préfecture les ignore et le train-train ordinaire continue. »

En conclusion Albert Wolff considère que « l'abbé Moreau a rempli un devoir en divulguant toutes ces infamies, et il est de notre devoir à nous, journalistes de toutes les opinions, de les faire connaître au grand public qui nous lit ». Il assure ne pas partager « toutes les illusions de l'ancien aumônier de la Grande-Roquette », mais  s’interroge « que dire d'une société se disant civilisée et dans laquelle peuvent se commettre impunément des atrocités dans le genre de celles que relate l'abbé Moreau? » Et il appelle la Préfecture de police a le devoir d'intervenir dans le débat.

À suivre

 

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