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4 juillet 2018 3 04 /07 /juillet /2018 01:01

Amédée Lassier naît le 3 février 1853 à Paris. Il est le fils de Catherine Billault et de son époux Adrien Lassier.

Après un passage par le petit séminaire de Notre-Dame-des-Champs à Paris, Amédée Lassier fait ses études théologiques au grand séminaire de Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux (Seine, act. Hauts-de-Seine), où il reçut l'ordination sacerdotale en 1878. D’abord professeur à Saint-Nicolas du Chardonnet, il est nommé vicaire de l’église Saint-Médard en janvier 1879.

Devenu vicaire à Saint-François-de-Sales, il va être mêlé à un incident, lors du mariage en mars 1886 de la fille du musicien Charles Gounod, Jeanne, avec le baron Pierre de Lassus. Le quotidien Le Siècle rapporte des bagarres entre le Jean Gounod, fils de l’auteur de Faust, et le maître de chapelle au sujet des chanteurs chargés d’exécuter le programme musical. Selon le journal La Justice « l'abbé Lassier, ne ménageant pas ses expressions et s'emportant en grossières injures, prit parti contre M. Gounod. »

Devenu vicaire de Saint-Nicolas des Champs en 1890 puis de Saint-Roch en 1899, A. Lassier débute une activité de conférencier, sur le cas de conscience à Saint-Roch en 1904.

La même année 1904, il devient curé de Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne). Il va y vivre la séparation de l’église et de l’État l’année suivante. Les opérations d'inventaire des biens contenus dans les églises se déroulent à Joinville le 19 février 1906 ; elles ont lieu sans incident, alors que dans la ville voisine de Saint-Maur-des-Fossés, des catholiques ont empêché l'agent du fisc d'accomplir sa mission. Par décret du 20 mai 1912, les biens inventoriés furent partagés entre la ville et son bureau de bienfaisance.

Dans le nouveau contexte, l’abbé Lassier entreprend la construction d’un second édifice cultuel dans la commune, pour desservir les quartiers de la rive gauche de la Marne, Polangis et Palissy, en plein développement démographique. La petite chapelle de secours va être nommée Sainte-Anne de Polangis. Elle est aussi surnommée « chapelle des usines » car elle jouxte les établissements Pathé-Natan dans une zone marquée par l’industrie du cinéma. Il nomme l’abbé Seneuze, son vicaire, comme administrateur de la chapelle, rue Oudinot.

L’attitude du curé pendant les inondations de la Marne de janvier à mars 1910, au contraire de celle de son vicaire, va être controversée. Le quotidien XIXe siècle raconte que, en février, l’abbé Lassier refuse de participer à une quête sur la voie publique, autorisée par la municipalité et répond : « Je garde mon argent pour secourir les miens ». Le journal s’interroge : « Est-ce bien seulement son argent que garde M. le curé de Joinville ? En effet, (…) sommes considérables — cent mille francs au moins — ont été remises entre les mains de certains prêtres (…) Il est lamentable qu'en d'aussi douloureuses circonstances, d'aucuns songent à faire œuvre de parti. Alors que de hautes leçons de solidarité leur viennent de l'autre côté des frontières, ils s'obstinent, fidèles à leur tradition, en de basses manœuvres de parti et de sectarisme. Ils en supporteront la responsabilité. »

L’hebdomadaire radical et anticlérical Voix des comm

unes souhaite, quand il apprend son départ en juin 1910, que le conseil municipal profite de l’occasion pour reprendre la jouissance du terrain entourant l’église (ce qui ne sera pas fait). Il remarque que « Tant que Lassier fut curé de Joinville, il s’opposa à l’élection d’une paroisse rivale. Lassier parti aux Halles, le desservant de Sainte-Anne en profite et devient curé. » Joinville fut en effet divisé en deux paroisses à cette occasion mais c’est bien l'abbé Lassier, déjà curé de Saint-Eustache, qui procèdera à l’installation de son ancien vicaire dans la nouvelle paroisse.

A suivre

Sainte-Anne de Polangis

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2 juillet 2018 1 02 /07 /juillet /2018 01:01

Henri Louis Eugène Seneuze naît le 3 février 1862 à Paris (15e arr.). Ses parents sont Jenny Françoise Chenue et son époux Édouard Jean Baptiste Antoine Seneuze, employé.

Prêtre du diocèse de Paris, il est d’abord vicaire à Noisy-le-Sec (Seine, act. Seine-Saint-Denis) puis est nommé en 1890 vicaire à Saint-Nicolas des Champs à Paris (3e arr.). En 1900, il devient vicaire à Saint-François-Xavier à Paris (7e arr.). Avec d’autres prêtes de la paroisse, il fera des voyages à Merquel, lieudit de la commune de Mesquer (Loire-Inférieure, act. Loire-Atlantique) sur la presqu’île de Guérande. Il contribue à y créer la colonie Saint-Clément qui permit à de nombreux enfants de la paroisse Saint-François-Xavier de découvrir la mer. En 1926, il écrit un court livre : Merquel et ses environs.

Seneuze est nommé en août 1908 premier vicaire de la paroisse Saint-Charles-Borromée de Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne), et administrateur de la chapelle Sainte-Anne de Polangis. Construite en 1906 par l’abbé Lassier, elle était baptisée « chapelle des usines » parce qu’elle jouxtait les établissements Pathé-Natan. Implantée avenue Oudinot, dans le nouveau quartier de Polangis, elle dessert aussi celui de Palissy, également sur la rive gauche de la Marne. L'abbé Seneuze fait agrandir l’édifice qui, construit après 1905, n’appartient pas à la ville, en lui adjoignant deux collatéraux.

Pendant les inondations de la Marne, de janvier à mars 1910, qui voient les deux-tiers du quartier de Polangis et une partie de celui de Palissy sous les eaux, l’abbé Seneuze a logé une quinzaine de personnes ruinées. Le rédacteur anticlérical du journal radical Voix des communes Louis Rey, également conseiller municipal, qui avait omis de le citer parmi les personnes mobilisées pour aider pendant l’inondation, s’en excuse publiquement.

Après le départ de l'abbé Lassier en mai 1910, Sainte-Anne de Polangis est érigée en église paroissiale en juin de la même année, avec un territoire groupant environ 10 000 habitants à Joinville et dans quelques rues voisines de Champigny.

L’abbé Seneuze cède sa cure en novembre 1921 à l'abbé Simonard pour devenir aumônier des Sœurs Sainte-Marie de la Famille, rue Blomet dans son quartier natal de Paris (15e arr.).

Henri Seneuze meurt le 26 novembre 1938 à Paris (15e arr.). Il résidait rue de l’Abbé-Groult et était âgé de 76 ans.

 

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27 juin 2018 3 27 /06 /juin /2018 01:01

François Alphred Roustan naît le 30 juin 1838 à Toulon, Var ; il utilisera ensuite la graphie Alfred. Il est le fils de Marie Françoise Julie Talon et de Joseph Marius Roustan, charpentier. Peut-être descendre de Marie et du charpentier Joseph le prédestina-t-il à devenir prêtre.

Son père, qui entre dans la marine royale en 1841, sera fait chevalier de la Légion d’honneur en 1875, comme maître charpentier et sous-officier. Ses parents s’installent à Paris ensuite.

Prêtre dans la diocèse de Paris, l’abbé Roustan est deuxième aumônier de l'hôpital Saint-Louis, rue Bichat, en 1875. Il est aumônier de l'hôpital Laënnec, rue de Sèvres en 1880. En même temps, il participe à la création de la congrégation de la Sainte-Maison de Lorette (province d’Ancône, Marches, Italie), lieu supposé de la naissance de la vierge Marie. L’abbé Roustan est le procureur de la congrégation universelle pour la France.

En août 1886, Alfred Roustan prend la succession d’Ernest Jouin comme curé de Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne). Ce dernier, essayiste attaquant vivement la franc-maçonnerie, était en conflit ouvert avec la municipalité, majoritairement de tendance radicale-socialiste. Sa réputation fait réagir, dans l’hebdomadaire radical Voix des communes, Gringoire, pseudonyme d’Henry Vaudémont, lui-même franc-maçon et anticlérical militant : « M. l’abbé Roustan (Alfred François) est nommé desservant de la paroisse de Joinville-le-Pont, en remplacement de M. Jouin, appelé à d’autres fonctions. (...) Cette nouvelle, mon cher Gringoire, ne vous réjouira pas ; le nouveau curé est, dit-on, des bons, donc il est de plus mauvais. Vous en jugerez à l’essai. L’abbé Jouin a fait des libres-penseurs des gens qui n’y pensaient guère ; celui-ci va-t-il les ramener au bercail ? Non, non. Le troupeau des dévots est dispersé et le nouveau curé ne le réunira plus ». Cependant, devenu conseiller municipal, Vaudémont apprécia de recevoir, en janvier 1891, les vœux de l’abbé : « À la bonne heure, au moins voilà un curé qui ne se juge pas d’essence supérieure et dégagé de toute politesse envers les simples conseillers municipaux ».

L’abbé Roustan s’attache à maintenir à Joinville la communauté des sœurs Servantes des pauvres qu’avait fait venir l’abbé Jouin. Après le rappel de l’une d’elle à la Maison-Mère à Angers, il se plaint : « Ma paroisse est en souffrance, l'œuvre des enfants est complètement tombée; plus de jeunes filles, le dimanche à la messe, ni aux autres offices; c'est la mort et la solitude dans mon église ! » Quand elle revient, il remercie le fondateur de l’œuvre, Dom Leduc : « Sans elles, le pauvre curé ne ferait pas grand'chose ; elles connaissent le pays et elles sont connues avantageusement de la population; elles ont l'expérience et la prudence nécessaires et sont animées de l'esprit de notre divin Sauveur. Avec elles, nous continuerons à faire le bien. »

L'explosion de l'usine du Bi-Métal à Joinville, en février 1895, a fait trois victimes, plusieurs blessés et a mis les ouvriers en chômage. Une foule importante participe aux obsèques célébrées dans l'église paroissiale par l’abbé Roustan, qui annonce que le cardinal Richard avait envoyé un secours pour les ouvriers sans travail.

L’abbé Roustan participe à plusieurs reprises, notamment en 1891 et 1895, au pèlerinage de Notre-Dame de Pellevoisin (Indre), lieu d'apparitions mariales et de la guérison d’Estelle Faguette en 1876. Il va créer un autel au sein de l’église paroissiale Saint-Charles-Borromée de Joinville consacré à Notre-Dame de Pellevoisin (Notre-Dame de Miséricorde), qui deviendra lui-même un lieu de pèlerinage. Le pèlerinage à Joinville se tient lors de la fête du Rosaire, le premier dimanche d’octobre, et est attesté entre 1895 et 1905.

Lors de la première cérémonie, en octobre 1895, l'abbé Roustan accueillait deux amis personnels titulaires d’un siège épiscopal, Charles Theuret (1822-1901), évêque de Monaco et Félix Biet (1838-1901), vicaire apostolique du Tibet (Chine). Le quotidien catholique conservateur L’Univers la fête, et mentionne un lien fait par le R. P. Mathieu, de l'Oratoire, et le Rosaire qui, pour lui, « doit être l'âme de la croisade cette fois pacifique, contre ces francs-maçons qui prétendent se rattacher aux Albigeois par les Templiers et les rose-croix. »

Le quotidien relève : « à Joinville, les processions ne peuvent sortir. Cependant M. l'abbé Roustan en avait organisé une dans le jardin avoisinant l'église, où l'on put déployer les magnifiques bannières dont il a doté son église. Devant les grilles du jardin, il y avait une foule d'habitants qui regardaient; bien peu sont chrétiens, et cependant tous se découvraient devant la procession. Quand j'ai témoigné à M. l'abbé Roustan mon étonnement de voir tant de respect dans cette banlieue, que l'on dépeint volontiers si mauvaise, il m'a dit que la population était généralement bien disposée, sinon chrétienne. Elle est très démocrate, c'est vrai : mais est-ce un empêchement à la religion? »

La société des Avocats de Saint-Pierre, dont la branche française a été fondée en France par Pierre Lautier en 1885, était une œuvre catholique internationale formée pour défendre les intérêts de la papauté. En 1898, elle compte en France environ 10 000 membres et Alfred Roustan en est le secrétaire général. Félix Biet, vicaire apostolique du Tibet, participait fréquemment aux cérémonies. Les Avocats de Saint-Pierre seront suspendus en France en 1905, leur président étant accusé de trafic de médailles.

À titre honorifique, Alfred Roustan était chanoine de Lorette et de Monaco. Il meurt le 1er mars 1904 à Joinville, âgé de 65 ans.

Par un testament du 5 février 1900, l’abbé Roustan avait fait un legs de 500 francs pour les pauvres, qui est géré par le Bureau de bienfaisance de la commune et fait que son nom est mentionné sur la plaque des douze bienfaiteurs de la commune, apposée lors de l’inauguration de l’extension de la mairie en octobre 1911. Dans le même document, il a légué 1 000 francs à l'église du Sacré-Cœur de Montmartre ; l’église étant devenue, en avril 1908, la propriété de la Ville de Paris, c’est elle qui reçoit ce don en 1913.

 

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25 juin 2018 1 25 /06 /juin /2018 01:01

Séverine, pseudonyme de Caroline Rémy (1855-1929), fut une femme libre, la première à diriger un quotidien, le Cri du Peuple. Amie de l’écrivain communard Jules Vallès, féministe ; fondatrice de la Ligue des droits de l’Homme, pacifiste, suffragette, communiste… On la retrouve dans bien des combats, souvent d’ailleurs là où on ne l’attend pas.

C’était le cas ce 4 août 1892. Elle était à Rome, de son propre chef, et elle va, au culot, interroger le pape Léon XIII sur l’antisémitisme et les Juifs. Et c’est au quotidien conservateur Le Figaro qu’elle propose son article !

Les paroles du chef de l’Église catholique ont la condescendance d’une institution sûre de son pouvoir, mais la netteté du refus d’un racisme que bien des chrétiens de l’époque encouragent. La fraîcheur de la journaliste libertaire fait plaisir à lire, même si son hostilité aux riches est quelque peu ambigüe.

Je reproduis ici cet ancien article du Figaro parce qu’il témoigne d’une époque où on avait à cœur « d’écouter entre les paroles ». Et aussi parce que j’aime bien cette Séverine, qui faisait ce qui lui plaisait, « pour l'amour de l'art ! »

Le Figaro 1892/08/04.

Le pape et interview de Léon XIII.

Séverine est en ce moment à Rome où elle est allée, pour le Figaro, demander à S. S. Léon XIII ce qu'il fallait penser de la question antisémitique. Cette idée, qui nous a séduit par son originalité, et pour le développement de laquelle nous avons laissé, bien entendu, toute liberté à son auteur, nous a valu la très curieuse page que voici sur le Souverain Pontife et le Vatican, avec des déclarations papales du plus haut intérêt.

Par dépêche, Rome, 3 août 1892.

Alors que l'Antisémitisme fait état d'orthodoxie, tend à se présenter, sinon comme une inspiration de l'Église, du moins comme son émanation, il m'a semblé d'un puissant intérêt d'aller voir, à ce propos, le chef, suprême de l'Église, celui qui lie et délie, le pilote incontesté des consciences catholiques.

Je n'ai pas été demander au Saint- Père de se prononcer - la situation politique du Pape l'éloigne, et cela se conçoit, de tout débat où son veto n'est pas immédiatement nécessaire, de toute intervention susceptible de soulever des discussions, des polémiques, d'émouvoir l'irritabilité de telle ou telle puissance, de tel ou tel parti, en dehors des questions strictement techniques, traitant des points de dogme ou des intérêts de la foi.

En un mot, je ne me suis pas attachée à connaître ce que Léon XIII désapprouve... seulement, ce qu'il n'approuve pas !

Voici, au premier abord, une casuistique qui m'est peu familière ; ma netteté s'accommodant mal, d'habitude, de si subtiles distinctions - mais cela se gagne, en Cour de Rome !

Tout ici procède par demi-teintes, par gradations de nuances à peine indiquées, et dépassant rarement le médium sur l'échelle ascendante, vers l'accentuation. De même qu'au Vatican, dans la pénombre des salles, chacun marche sourd, chacun parle étouffé, de même, aussi, chacun y pense tout bas. Les pas s'y raccourcissent et l'initiative y replie ses ailes, volontairement, s'astreignant à évoluer dans le cadre étroit du domaine ecclésiastique.

De là, l'éclat retentissant, l'extraordinaire envolée, lors de chaque exception à cette règle, de chaque rupture de cette réserve, de chaque acte décisif - il est fait d'élans refoulés, d'essors contenus.

Il faut donc lire entre les lignes, écouter entre les paroles...

J'aurais honte, je considérerais comme indigne et déloyal de prêter au Saint-Père un seul mot qui ne soit rigoureusement exact, ni même d'amplifier ce qu'il lui a plu de me répondre. Or, si, pas une fois, il n'a dit : « Je blâme », dix fois en une heure, il a dit : « Je n'approuve pas. »

Je laisse aux catholiques le soin de tirer de cette attitude telle conclusion qui leur plaira.

Pour ma part, en dehors, en dépit de mes opinions - peut-être justement à cause d'elles - j'ai le respect de toute chose grande, même si elle va à rencontre du mien idéal, ou si elle en diffère par quelque point; Et je préférerais perdre les meilleurs arguments du monde qu'ajouter une affliction à celles de ce roi sans trône, de ce vieillard si touchant et si auguste, ignorant de l'anathème, ne levant la dextre que pour bénir, pour absoudre, pour épandre l'indulgence divine sur toutes les créatures - quelle que soit leur race, quelle que soit leur religion !

Ici, une brève parenthèse, oiseuse, semblera-t-il à ceux qui me connaissent, mais que je tiens quand même à faire, prévoyant, sans trop de perspicacité, de quelle nature sera la riposte antisémite et, d'après la calomnie d'hier, la calomnie de demain.

Quoique, d'après certains sectaires, j'appartienne à la « presse vile » ; quoique je sois - cela est bien connu ! - « stipendiée » par la rue Laffitte, j'aurai le cynisme de déclarer que j'ai entrepris ceci de mon seul mouvement. Je n'ai pas écrit cet article « sur commande », je l'ai proposé de moi-même, parce que j'ai parfois des idées que personne ne m'inspire et que je mets à exécution parce que cela me plaît pour l'amour de l'art !

Je me suis offert ce luxe inouï de faire œuvre de miséricorde envers les juifs, sans me faire payer – la précision du terme ne m'effraie pas – par les israélites.... mon socialisme ne s'attardant point aux questions de croyance ou d'origine, ne reconnaissant d'autre ennemi que l'Accapareur, youtre ou goym ! Il est le voleur des pauvres... cela me suffit.

Et TOUS les pauvres sont miens : lamentables Hébreux errant dans le steppe, traversant l'Europe à pied, tirant, comme des bêtes de somme, sur le licol des charrettes où sont entassés leurs malades, leurs vieillards, leurs enfants, quelques nippes échappées au désastre ; et s'abattant, exténués, dans la cour du grand-rabbin, à Paris, fourbus de fatigue, chancelants d'inanition - misérables spoliés par les financiers catholiques de là-bas, comme sont spoliés, ici, par leurs coreligionnaires richissimes, les paysans et les travailleurs de la chrétienté !

Que vient-on parler de guerre de races, de guerre de religion?...

- J’ai faim!... dit le pauvre.

Et un écho brisé, distendu, hautain cependant, répond, du Vatican :

- Tous les biens de la nature, tous les trésors de la grâce appartiennent, en commun et indistinctement, à tout le genre humain! (Encyclique du 15 mai 1891, ch. III.)

Je suis arrivée ici sans recommandation, sans appui; je n'ai d'autre alliée que ma volonté tenace et une lettre d'un camarade pour un haut dignitaire du Saint-Siège.

Mais je crois à ce magnétisme qui s'exerce à travers la distance et le temps, qui abrège l'une, supprime l'autre; à l'influence de ce vouloir ardent dont s'imprègne l'atmosphère entre le but et l'effort; qui rapproche l'un de l'autre, fatalement, sans qu'on ait rien à faire qu'hypnotiser son rêve...

Et me voici assise dans l'une des salles du Vatican, perdue dans la pièce immense, toute semblable, avec ma robe noire, mon voile noir, l'absence du plus humble bijou, et mes mains dégantées, à toutes les dévotes qui viennent seulement satisfaire leur pieuse curiosité.

Leur cœur, certes, ne bat pas plus fort que le mien - et Dieu sait, pourtant, ce que celui-ci demeurerait calme si les hasards du métier me menaient dans le palais de n'importe quel monarque. Je sais ce que valent les sceptres et ce que pèsent les couronnes, sous le poing lourd de la foule ou le doigt léger du destin !

Mais le Pape !... Tous les souvenirs de ma pieuse petite enfance se lèvent comme un vol de moineaux dans les herbes d'un cimetière. Hier, n'ai-je pas dit à l'ecclésiastique qui m'expliquait le cérémonial du triple salut (un à la porte; un au milieu de la salle, un devant le fauteuil du Saint-Père) : « Gomme au mois de Marie, alors? » me rappelant le temps où j'étais de garde dans la chapelle, chargée du renouvellement des fleurs et fomentant des révoltes - déjà ! - entre deux Ave.

Il m'a regardée, surpris gaiement, puis avec une inclinaison de tête indulgente : « Oui; comme au mois de Marie! »

C'est ma grande peur de commettre quelque impair ; non que j'y apporte ombre d'amour-propre, ne me taxant aucunement d'être ferrée sur l'étiquette, mais parce que toute négligence pourrait passer - de ma part - pour une affectation blessante et de goût odieux. Aussi, je me répète à moi-même les formules, comme les répons du catéchisme avant la récitation... autrefois!

Que c'est immense, ce Vatican, pour arriver à atteindre la partie restreinte où le Pape vit confiné ! Que c'est haut, surtout! Il faut gravir le perron d'entrée, longer la galerie monumentale où devisent les gardes suisses, vêtus encore comme les reîtres de Jules II; monter l'escalier de marbre - trois étages qui en valent bien six - franchir le Gortile San-Damaso; regrimper trois autres étages, également de valeur double; et traverser des salles en si grand nombre que la tête vous tourne et qu'on finit par ne plus distinguer rien !

J'ai entrevu seulement, au passage, sur une merveilleuse tapisserie, le Christ accueillant la pécheresse blottie à ses pieds, y cherchant refuge contre la cruauté humaine...

Tout à coup, dans cette solitude et ce silence, un coup de canon, discordant comme une fausse note. Il apprend aux Romains qu'il est midi. Et voici que lui répondent, trottinant les unes après les autres comme des vieilles femmes courant à la messe, toutes les pendules de l'antique palais. Il en est de vives et de lentes, d'alertes et de fatiguées ; des petites au timbre aigu, des grosses à voix de contralto. C'est un carillon familier et d'une grâce ingénue.

Un glissement de semelles sur le pavé de marbre luisant comme s'il était mouillé ; un murmure de syllabes à peine distinctes, en cet idiome déjà si mélodieux; une soutane qui s'incline et attend, puis marche devant, se prosterne au seuil d'une pièce voisine, s'efface, semble disparaître dans le mur...

C'est mon tour d'audience.

J'entre, m'incline trois fois ; une main prend la mienne, me relève doucement :

« - Asseyez-vous, ma fille, et soyez la bienvenue...»

Très pâle, très droit, très mince, à peine accessible au regard, tant il reste peu de matière terrestre en cette gaine de drap blanc, le Saint-Père siège, au fond de la pièce, dans un vaste fauteuil adossé à une console que surmonte un Christ douloureux.

La lumière, venant de face, tombe d'aplomb sur cet admirable visage de prélat latin, en fait ressortir les méplats, les finesses de modelé, la structure « primitive », au sens pictural du mot, vivifiée, animée, galvanisée pour ainsi dire par une âme si juvénile, si vibrante, si combative pour le bien, si compréhensive des misères morales, si pitoyable aux détresses physiques, que le regard étonne, semble une aube miraculeuse surmontant un déclin de jour..

L'incomparable portrait de Chartran peut seul donner idée de cette acuité de vision. Mais encore est-il d'un éclat un peu bien somptueux, et toute la pourpre qui flamboie derrière la soutane neigeuse met-elle aux joues un reflet, aux prunelles une étincelle qui s'adoucissent dans la réalité.

Pour rendre mon impression, je dirai que j'ai trouvé le Pape « plus blanc » ; d'un rayonnement plus intime et plus émouvant ; moins souverain, davantage apôtre - presque aïeul !

Une bonté attendrie, timide, semblerait-il, est tapie dans la moue des lèvres, se dénonce seulement dans le sourire. Et, en même temps, le nez long, solide, révèle la volonté, une volonté inflexible - qui sait attendre !

Léon XIII ressemble aux modèles du Pérugin et à tous ces portraits de donateurs qu'on voit dans les tableaux de sainteté, sur les vitraux des antiques cathédrales, agenouillés, de profil, en leurs habits de laine, les doigts allongés et humblement rejoints, parmi les apothéoses, les Nativités, le triomphe des saints et la gloire de Dieu.

Il me paraît aussi incarner les armes de sa maison, le blason des Pecci, avec sa taille aussi svelte, aussi altière que le pin qui se silhouette en i sur le ciel bleu, et, entre ses paupières, cette clarté d'étoile matutinale et précurseuse d'aurore qui tremble à la cime du grand arbre héraldique!  

Mais ce qui, presque autant que le visage, attire et retient l'attention, ce sont les mains; des mains longues, fines, diaphanes, d'une pureté de dessin incomparable; des mains qui semblent, avec leurs ongles d'agate, des ex-voto d'un ivoire très précieux, sortis pour quelque fête de leur écrin.

La voix est comme lointaine, exilée par l'usage de la prière, plus accoutumée à monter vers le ciel qu'à descendre vers nous. Et, pourtant, dans la causerie, elle revient, avec, de-ci, de-là, un ressouvenir d'intonation majeure qui en coupe la mélopée grégorienne.

Puis un rien, une habitude du terroir donne aux propos tenus une saveur particulière, les épices de nationalité. Alors que le pontife s'exprime très correctement, très élégamment en français, à toute minute l'exclamation italienne par excellence : « Ecco ! » (Voilà !) Revient, fait claquer ses deux syllabes, comme un léger coup de fouet qui active ou dé- tourne la conversation.

Et les mots, dociles, prennent le galop, bifurquent, mènent où il plaît au Saint-Père d'aller.

Je le suis respectueusement, notant au passage, de mémoire, les réponses qu'il veut bien me faire, les provoquant d'une brève interrogation lorsque je le puis; remarquant combien sa- pensée, d'essence toujours évangélique, revêt volontiers le peplum latin, se traduit en périodes cadencées, harmonieuses, révélant le délicat et docte lettré.

Comme j'ai parlé de Jésus pardonnant à ses bourreaux, alléguant leur ignorance pour excuse à leur férocité; comme j'ai demandé si, avant toute chose, il n'était pas du devoir chrétien d'imiter son exemple :

« - Le Christ, dit Léon XIII, a versé son sang pour tous les hommes, sans exception ; et même de préférence pour ceux qui, ne croyant pas en lui, s'obstinant dans cette méconnaissance, avaient le plus besoin d'être rachetés. Envers ceux-là, il a laissé une mission à son Église : les ramener à la vérité... »

- Par la persuasion ou la persécution, Saint-Père ?

« - Par la persuasion! répond avec vivacité le Pontife. La tâche de l'Église est, n'est que douceur et fraternité. C'est l'erreur qu'elle doit atteindre, s'efforcer d'abattre; mais toute violence envers les personnes est contraire à la volonté de Dieu, à ses enseignements, au caractère dont je suis revêtu au pouvoir dont je dispose. »

- Alors, la guerre de religion?

« - Ces deux mots-la ne vont pas ensemble! »

Et la main qui porte l'anneau épiscopal a fait un geste impératif.

- Reste, Saint-Père, la guerre de races...

« - Quelles races? Toutes sont issues d'Adam, que créa Dieu. Que les individus, suivant les latitudes, aient un teint différent, un aspect dissemblable, qu'importe cela, puisque leurs âmes sont de même essence, pétries du même rayon ? Si nous envoyons des missionnaires chez les infidèles, chez les hérétiques, chez les sauvages, c'est parce que tous les humains, tous, vous entendez bien, sont des créatures de Dieu ! Il y a celles qui ont le bonheur d'avoir la foi et celles auxquelles nous avons le devoir de la donner, voilà tout ! Elles sont égales devant le Seigneur, puisque leur existence est l'œuvre de sa commune volonté. »

Puis le Pontife ajoute :

« - Même quand le Ghetto existait à Rome, nos prêtres le sillonnaient en tous sens, causant avec les israélites, s'appliquant à connaître leurs besoins, soignant leurs malades, s'efforçant de leur inspirer assez confiance pour parvenir à discuter les textes, à les convertir, enfin 1 »

- Et quand la populace voulait massacrer les juifs ?

« - Les juifs se mettaient sous la protection du Pape... et le Pape étendait sur eux sa protection ! »

***

« Seulement, reprend le Saint-Père, si l'Église est une mère indulgente, aux bras toujours ouverts, pour ceux qui lui arrivent comme pour ceux qui lui reviennent, il ne s'ensuit pas que les impies qui se refusent à elle doivent être ses préférés. Elle est sans colère contre eux, ils sont sa douleur, sa plaie, mais elle garde ses prédilections pour les fidèles qui la consolent, qui lui sont des fils pieux et fervents. Enfin, si l'Église a mission de défendre les faibles, elle a mission aussi de se défendre elle-même contre toute tentative d'oppression. Et voici qu'après tant d'autres fléaux, le règne de l'argent est venu... »

Le successeur de saint Pierre raidit plus encore son torse droit et, le regard soudainement dur :

« - On veut vaincre l'Église et dominer le peuple par l'argent ! Ni l'Église ni le peuple ne se laisseront faire! »

- Alors, Saint-Père, les grands Juifs ? Sous le voile des paupières, la lueur a disparu. Et, décolorée soudain, la voix répond :

« - Je suis avec les petits, les humbles, les dépossédés, ceux que Notre-Seigneur aima...»

Je comprends que c'en est fini sur ce sujet, et n'insiste pas. D'ailleurs, maintenant, Léon XIII parle de la France, de la tendresse profonde qu'il lui porte, de son désir de la voir prospère sous quel- que gouvernement qu'elle ait choisi.

Et brusquement, sans préparation, avec une malice apparue soudain aux angles de sa bouche, aux coins de ses yeux :

« - Et chez vous, que pense-t-on du Pape? Est-on content de lui?»

- Saint-Père...

C'est que je ne sais quoi répondre, en vérité. Il voit mon embarras, et avec bonhomie frottant ses longues mains pâles :

« - Allez, allez ! N'ayez pas peur I »

Je rassemble mon courage i

- Saint-Père, voulez-vous me permettre d'employer envers vous un terme très hardi?

« Allez, allez ! »

- Eh bien ! si les monarchistes en veulent au Pape, les républicains de gouvernement l'exècrent... il est la concurrence !

Un tout petit rire, tout voilé, tout discret, accueille le mot.

« - Et les socialistes? »

- Pour les socialistes de gouvernement, les états-majors, encore la concurrence !

« - Et le peuple ? »

- Le peuple? Jamais je ne me permets de parler en son nom. Il est plutôt indécis, je crois, vaguement méfiant... il a tant été trompé ! Mais tout de même, ça l'étonne, un Pape qui s'occupe de lui... et qui soumet les cardinaux 1

Les longues mains pâles accentuent leur geste satisfait. Et, souriant :

« - Je ne veux pourtant pas être roi de France ! {sic). »

Maintenant, sans que j'ose l'interrompre, la grêle voix, seule, troue le silence:

« - Quand donc comprendront-ils, tous, que l'Église ne veut pas, n'a pas à faire de politique, qu'elle entend y demeurer étrangère, s'en tenir résolument écartée? Mon Maître a dit : Mon » royaume n'est pas de ce monde. Donc, le mien non plus ! J'aspire à la domination des âmes, parce que je veux leur salut, parce que je souhaite le règne de la fraternité entre les hommes, l'oubli des discordes, l'avènement de la sainte paix, de la sainte pitié ! Mais rien que cela, cela seulement ! »

Le haut vieillard est presque debout, et ses yeux, plus lumineux encore, s'ourlent d'une brume.

Il s'est tu. Alors, très vite, presque bas, contente que j'ai été d'entendre bien parler de la France, dans cette ville toute pleine officiellement d'autres tendances :

- Saint-Père, vous savez, cet abbé Jacot, ce renégat, cet Alsacien-Lorrain qui prêche aux nôtres de là-bas l'oubli de la mère-patrie, il se vante d'être l'interprète de vos commandements? Est-ce vrai ? Approuvez-vous son acte ?

« -Je le déplore... répond gravement le pontife. J'aime la France. C'est vers elle que mes yeux se tournent toujours quand ma voix s'élève du fond de ces chambres où j'erre depuis quinze ans... sans jamais sortir ! »

Sans jamais sortir! A-t-il répété mélancoliquement, ce captif sans paille ni cachot, prisonnier de sa seule dignité, mais plus entravé par ces invisibles liens que par les lourdes chaînes de fer.

Je m'incline pour prendre congé ; la longue main pâle se pose doucement sur mon front :

« - Allez, ma fille, et que Dieu vous garde !... »

Séverine.

 

 

Séverine (Louis Welden Hawkins)

 

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23 juin 2018 6 23 /06 /juin /2018 01:01

Joseph Marie Moutardier naît le 21 septembre 1877 à Sens (Yonne). Il est fils d’Eulalie Bertrand, lingère, et de son mari Edme René Moutardier, domestique puis tanneur.

Devenu serrurier et résidant alors toujours chez ses parents à Sens, Moutardier épouse en septembre 1899, à Paris (11e arr.), Louise Mathilde Vaillant, domestique. Ils reconnaissent à cette occasion un enfant né en mai 1898 dans le même arrondissement. Leur divorce sera prononcé en mars 1917.

C’est en février 1903 que Joseph Moutardier devient professeur de serrurerie à l'école Diderot à Paris.

Ayant reçu son permis de conduire des véhicules automobiles en avril 1905, il est mobilisé dans le 5e escadron du Train comme conducteur automobile en août 1914 ; il est détaché dans une usine comme ouvrier en mai 1915 et y reste jusque février 1919.

Suite à sa séparation juridique avec sa première épouse, Joseph Moutardier se remarie en mai 1918 à Paris (20e arr.) avec Gabrielle Céline Maillot

Après la première guerre mondiale, il est professeur d'enseignement technique à Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne), où il a fixé son domicile rue Vautier. Il s’établira ensuite en 1925 rue Chapsal, toujours dans le quartier du centre de la commune.

L’activité politique publique de Moutardier est documentée à partir de 1924. Le 5 janvier de cette année-là, il préside une réunion de la section de Joinville de la Ligue de la République, qui ambitionne d’assurer un groupement des gauches, autour des radicaux-socialistes, des socialistes SFIO et des socialistes indépendants.

Alors que les bords de Marne subissent leur plus forte inondation après celle de 1910, Moutardier qui se présente comme un « plongeur par nécessité », écrit une lettre ouverte à Yves Le Trocquer, ministre des travaux publics, pour se plaindre que les mesures prises pour préserver Paris des inondations ont eu pour conséquence d’inonder les riverains de la Marne et de la Haute Seine. En janvier 1925, Moutardier est candidat pour être électeur sénatorial sur une liste radicale-socialiste, mais la majorité municipale de droite l’emporte. Lors des élections municipales de mai 1925, Moutardier est probablement présent sur la liste du cartel des gauches, conduite par Georges Briolay ; elle recueille 28,4 % des suffrages exprimés, devant les communistes, 21,1 % et dernière l’Union républicaine (droite), 47,5%. Au second tour, malgré le retrait des communistes, la liste du maire sortant, Henri Vel-Durand (radical dissident) emporte les 27 sièges à pourvoir.

Moutardier est élu, en décembre 1928, trésorier du comité radical-socialiste de Joinville dont Féret est le président.

Lors des élections municipales de mai 1929, Moutardier figure de nouveau sur la liste de concentration des gauches conduite par Georges Briolay, comprenant les radicaux-socialistes, les socialistes SFIO et des socialistes indépendants. Au premier tour, la liste de gauche arrive en tête, devant la liste d’Union républicaine du maire sortant, Stephen Durande, qui a remplacé Henri Vel-Durand, décédé en cours de mandat, et la liste communiste conduite par Bénenson. Moutardier obtient 795 voix sur 1 715 votants (46,2%) pour 2 491 électeurs inscrits. Au second tour, la liste des gauches obtient 22 sièges, contre 5 à celle de la municipalité sortante et aucun aux communistes.

Moutardier devient le quatrième adjoint du nouveau maire, Georges Briolay (radical), aux côtés de Maxe, Scornet (socialiste indépendant) et Roger (socialiste SFIO).

En l’absence de Briolay, malade, c’est Moutardier, trésorier, qui assure la présidence du comité radical-socialiste le 26 janvier 1931. Il est réélu à la même fonction et il en est de même en janvier puis en novembre 1933.

Au cours d’un conseil municipal le 18/12/1934, Moutardier défend un vœu pour qu’il soit interdit aux commerçants de vendre des produits sans rapport avec l’activité principale exercée.

Maxe s’étant retiré et Scornet étant décédé, Moutardier figure en troisième position sur la liste de la municipalité sortante, derrière Briolay et Roger, devenu socialiste indépendant, pour les élections municipales de mai 1935. Elle fait face à une liste de droite, à une liste socialiste SFIO et à une liste communiste.

Le groupement des gauches républicaines met en avant son bilan, revendiquant d’importants travaux d’amélioration et d’embellissement, dont l’installation d’un éclairage public, qui justifient l’augmentation des impôts, également liée à l’aggravation des charges imposées à la commune (contingent, chômage, moins-values sur les recettes). Leur programme s’oppose à celui de la liste de droite, soulignant qu’une « réduction d’impôts, au demeurant assez modeste, ne serait possible que par le retour à la politique du moindre effort ». La liste préconise de faire  pression auprès des pouvoirs publics pour la réalisation des grands travaux d’outillage national (élargissement du pont de Joinville, suppression du passage à niveau) et veut réaliser des cours de natation d’aviron gratuits pour les élèves.

Au premier tour, la liste radicale arrive en seconde position, distancée par l’Union républicaine (droite). Moutardier obtient le meilleur score parmi ses colistiers, avec 807 voix pour 2 856 suffrages exprimés (28,3%) sur 2 923 votants et 3 433 inscrits. Au second tour, après la fusion des listes communiste et socialiste, la liste radicale échoue. Recueillant 646 voix pour 2 899 suffrages exprimés (22,3%) et 2 924 votants, Moutardier est une nouvelle fois très nettement devant les autres candidats radicaux-socialistes. La liste de droite obtient 25 sièges, complétée par deux élus communistes et Émile Lesestre est élu maire.

Refusant de suivre la majorité des radicaux-socialistes, Moutardier prend part à la création à Joinville, le 11 mars 1936, d’un Comité de conciliation républicaine et de progrès social pour le travail et la paix qui soutient la candidature d’Adolphe Chéron, radical dissident, contre un candidat radical-socialiste officiel, Gabriel Vélard. L’ancien maire, Georges Briolay, et une grande partie du comité radical soutiennent également Chéron, comme Herluison, ancien président du comité radical-socialiste de Joinville. Chéron est battu par le communiste André Parsal.

Depuis son installation à Joinville, Moutardier a exercé des responsabilités dans plusieurs associations locales. En septembre 1929, il devient président de la société de pêche Le Gardon de Joinville. Il est administrateur de la Société de secours mutuels des sapeurs-pompiers en 1933 et le reste en 1938. Moutardier exerce la même fonction au sein de la caisse des écoles en 1935.

La Chorale de Joinville est fondée en novembre 1930 par Moutardier, qui la préside, compte 30 participants à son démarrage, 40 un an plus tard et 50 l’année suivante. Elle s’appuie sur les directeurs d’écoles, notamment sur Demeester de l’école de garçons du Centre, qui la dirige. Moutardier préside toujours la chorale en 1938.

Le quotidien d’extrême-droite La Libre Parole, mentionnait, en mai 1912, l’appartenance de Moutardier à la franc-maçonnerie, signalant qu’il était membre de la loge lsis-Montyon, affiliée au Grand-Orient de France.

Décoré des Palmes académiques, en tant qu’officier d’académie en août 1913 puis officier de l’instruction publique en juin 1923, Moutardier avait également reçu une mention honorable pour son rôle dans la société de secours mutuels des sapeurs-pompiers en 1936.

Joseph Marie Moutardier meurt le 12 avril 1958 à Créteil (Seine, act. Val-de-Marne). Il était âgé de 80 ans et avait eu un enfant de chacun de ses deux mariages.

 

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21 juin 2018 4 21 /06 /juin /2018 01:01

Suite de la biographie de Marc Félix Broutta.

En décembre 1871 Marc Félix Broutta épouse à Joinville la directrice du bureau de poste, voisin de son domicile, Antonine de La Chassaigne de Sereys, veuve de Christophe Ernest Potrolot de Grillon.

Ayant quitté l’armée active, M. Broutta va avoir quelques activités professionnelles ou sociales. Déjà, en 1860, il avait tenté d’acheter lors d’une vente aux enchères un moulin à riz, des piser et chute d'eaux, usines, bâtiments et terrains plantés et cultivés, sur les communes de la Teste et de Gujan (Gironde) mais son avoué était arrivé en retard pour l’adjudication, provoquant une controverse juridique.

Broutta est nommé, en juin 1878, sous-directeur de la Mutuelle Agricole. Il prend part à la constitution de la Société des Forges de Brévilly (Ardennes) dont il est administrateur en 1880. C’est probablement lui aussi le Broutta qui est désigné, en avril 1881, comme membre du conseil de la Société du journal Le Train, à Paris.

Appelé dans un jury d’assises à l’été 1875, Broutta est également, en décembre de la même année, un des témoins du docteur Déclat, s'étant trouvé insulté par un article d’un de ses confrères dans le quotidien l'Opinion. Il convainquit cependant ce dernier que l'article se réduisant à une critique purement scientifique d'un système médical, l’honneur n’était pas en cause et qu’il n’y avait pas lieu à duel.

S’il n’est pas engagé politiquement pendant son séjour à Joinville, Broutta affiche cependant des opinions conservatrices, participant par exemple au service funèbre pour l’ex-empereur Napoléon III, organisé à l’église Saint-Augustin de Paris en janvier 1873. Il exprime également une évidente réticence face à la municipalité radical-socialiste de la commune.

En novembre 1893, plusieurs journaux font état de l'inauguration de la ligne téléphonique reliant Joinville à Paris, citant outre Mme Broutta, directrice des postes et son mari, la présence du maire, Eugène Voisin, de ses deux adjoints; Jullien et Couppé, et de plusieurs conseillers municipaux, notamment Blaize, Demeestère et Chapuis, ainsi que de Soulière, commissaire de police. C’est l’officier en retraite qui réagit dans le quotidien XIXe siècle, précisant que « l'ouverture du téléphone au bureau de Joinville n'a été faite en présence de personne, cela ne regardant ni la municipalité, ni la police ; l'administration des postes, chatouilleuse avec raison, trouverait mauvais cette réclame qui pourrait nous être attribuée. »

Après la retraite de son épouse en septembre 1896, les Broutta vont s’établir à Saumur, rue du Roi-René. Le colonel devient membre honoraire du comité local de la Société de secours aux blessés militaires (Croix-Rouge française).

C’est sur le tard que Broutta s’engage en politique. Il est candidat au premier tour lors des élections municipales de mai 1900 à Saumur, dans la 5e section électorale qui couvre le quartier des Ponts et élit six conseillers municipaux. La municipalité est tenue par le Dr Joseph Henri Peton, maire de tendance radical-socialiste. M. Broutta figure, en seconde position, sur la liste de Marcel Sourdeau, conseiller d’arrondissement. Leur profession de foi affirme leur indépendance et assure : « Les finances de la ville sont gravement compromises, or ce n’est pas en faisant de la politique, mais en favorisant les affaires qu’on pourra les remettre sur pied. Nous voulons la liberté pour tous, l’égalité pour tous ». Soutenue par le quotidien conservateur, L’Écho saumurois, la liste veut faire prévaloir les intérêts des commerçants et des travailleurs du quartier. Seul le chef de liste sera élu, tandis que Broutta obtient 145 voix sur 617 votants (23,5%) pour 845 inscrits. Il ne se présente pas au second tour, où les 5 sièges restants vont à la liste de gauche.

Marc Félix Broutta meurt le 15 octobre 1904 à Saumur. Il était âgé de 84 ans.

 

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19 juin 2018 2 19 /06 /juin /2018 01:01

Marc Félix Broutta naît le 24 novembre 1819 à Marquise (Pas-de-Calais). Il est le fils de Marie Louise Claudine Routtier et de son époux Armand Marc Antoine Fidel Broutta, notaire royal.

En octobre 1839, il est admis à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr (Seine-et-Oise, act. Yvelines) et suit sa scolarité avec la promotion de Mazagran. À la sortie, devenu sous-lieutenant, il choisit la cavalerie. Il sert au sein du 10e régiment de cuirassiers, est nommé lieutenant en 1845 puis capitaine en 1847 et commandant en 1848, en garnison à Vesoul (Haute-Saône), Amiens et Abbeville (Somme).

Ayant rejoint la Garde impériale à Compiègne en 1858, il devient chef d’escadron en 1860 intègre le 4e régiment de cuirassiers où il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1862. Il y est toujours en juin 1869 quand il est décoré officier de la Légion d’honneur. C’est sans doute peu après qu’il devient directeur de l'École de cavalerie de Saumur (Maine-et-Loire). Cependant, le lieutenant-colonel Broutta ne figure pas sur la liste des dirigeants de l’école publiée par le général de Fornel de La Laurencie dans sa monographie de 1935. C‘est probablement parce qu’il n’exerce son mandat que brièvement, Broutta rejoignant son régiment à l’été 1870 pour la guerre avec la Prusse et la confédération allemande.

Le 6 août 1870, lors des combats qui eurent lieu à Froeschwiller-Woerth (Bas-Rhin), la bataille Reichshoffen, Broutta commande en tant que chef d’escadron, le 4e régiment de cuirassiers qui subit de très lourdes pertes lors de charges, présentées ensuite comme héroïques, sur les positions allemandes de Morsbronn et d'Elsasshausen. Après la bataille, le maréchal Mac-Mahon aurait dit : « Des cuirassiers, il n'en reste plus ». Broutta lui-même fut blessé et amputé de l'avant-bras droit par un obus.

Il raconte ainsi son sort : « A Frœschwiller, lors de la grande charge des cuirassiers de la division de Bonnemains, le colonel Billet, qui commandait le 4e cuirassiers (…) était pris par un violent mal de gorge qui l’empêchait de parler. Au moment où nous reçûmes l’ordre de charger, le colonel me confia le commandement du régiment comme étant le plus ancien chef d’escadron. La charge eut lieu ; le colonel en tête. Quelques instants après, M. Billet était grièvement atteint. Moi-même, l’avant-bras droit emporté, je tombai sous les pieds des chevaux ». « Je fus, à la tête (…) renversé par plusieurs balles, qui m'enfoncèrent la poitrine, et par un éclat d'obus, qui m'emporta le bras droit. Le maréchal des logis Michel me trouva par terre presque sans connaissance. (…) Au milieu de cette malheureuse retraite, il me soutint et me porta sur ses épaules durant l'espace de sept kilomètres pour trouver une ambulance et un autre médecin. Fait prisonnier avec moi au village de Reichshoffen, il ne cessa de me donner des soins, couchant sur le carreau auprès de mon lit. »

Après sa libération, il est mis en non activité en mai 1871 pour infirmité et quitte officiellement en juin ses fonctions de commandant de l’école de cavalerie de Saumur. Il envisage d’abord de se fixer à Barèges (Hautes-Pyrénées) mais décide finalement de rejoindre Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne).

Au cours d’un conseil de guerre siégeant à Vincennes (Seine, act. Val-de-Marne) en février 1872, le lieutenant-colonel Broutta témoigne en faveur du maréchal des logis Michel, qui, ivre, avait insulté un adjudant avant la bataille de Reichshoffen. Bien que les faits n’aient pas été contestés, l’intervention de Broutta ayant soulevé une vive émotion, Michel fut acquitté au milieu des applaudissements de l'auditoire.

Les charges cuirassiers de Reichshoffen devinrent une épopée tragique, dont « l'héroïque Broutta » - comme le qualifiait le quotidien Le Gaulois – était un des rares survivants.

A suivre.

 

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17 juin 2018 7 17 /06 /juin /2018 01:01

Antonine de La Chassaigne de Sereys naît le 10 août 1835 à Issoire (Puy-de-Dôme). Elle est la fille d’Anne Marie Pralong et de son époux, Isidore de La Chassaigne de Sereys, propriétaire. La famille de La Chassaigne de Sereys est d’ancienne noblesse auvergnate, remontant au 13e siècle et disposant d’un titre comtal.

Antonine épouse en mai 1855, dans la même ville, un membre de l’aristocratie bourbonnaise, Christophe Ernest Potrolot de Grillon. Sa sœur, Agathe Elisabeth, s’était mariée deux ans plus tôt, toujours à Issoire, à un cousin de son époux, Gilbert Jules Potrolot de Grillon. Cependant, le mariage ne va pas durer, suite à la disparition précoce de Christophe de Grillon. Deux jumelles naissent, en 1856 de cette union à Cournon (act. Cournon-d’Auvergne), où Christophe de Grillon est chef de la gare de Sarliève, mais une seule survit.

Malgré son contexte familial, mais peut-être du fait de la disparition de son mari, Antonine de Grillon devient fonctionnaire des Postes en 1863. Elle prend la direction du bureau de poste de Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne) – qui existe déjà en 1865 – fonction qu’elle occupe au moins à partir de 1868 et où elle restera jusqu’à sa retraite en 1896 avec le titre de receveuse. À la fin du Second empire, les lettres sont distribuées lors de quatre tournées, une le matin, deux l’après-midi et encore une en soirée.

La receveuse vit en 1870 le siège de Paris, la bataille de Champigny, la destruction du pont reliant les deux rives de la commune et l’évacuation des habitants et administrations, transférées à Paris, puis en 1871, les combats de la Commune de Paris ainsi que l’occupation de Joinville par les armées allemandes. À la fin de la même année, elle épouse à Joinville le lieutenant-colonel Marc Félix Broutta, amputé d’un bras depuis sa blessure l’année précédente, et présenté comme un des héros de la bataille de Reichshoffen. Il venait de s’installer, quai Beaubourg (act. quai du Barrage), à très peu de distance du bureau de poste.

L’après-guerre voit le bureau de poste élargir ses services. En décembre 1872, un bureau télégraphique y est ouvert. Le bureau de Joinville est classé « à service limité », c’est-à-dire qu’il fonctionne de 7h (ou 8h en hiver) jusqu’à 18h. Il passe en 1893 « à service complet », avec une ouverture jusqu’à 21h.

L’activité la plus marquante de la nouvelle Mme Broutta sera l’installation dans la ville du téléphone en novembre 1893. Encore peu répandu, avec de l’ordre de 10 000 abonnés alors, le téléphone vient d’être nationalisé en 1889 et rattaché aux Postes et Télégraphes. La presse relève qu’il y a de nombreuses pétitions réclamant le raccordement au réseau parisien. En juillet 1892, la municipalité radicale de Joinville lance cet appel dans l’hebdomadaire Voix des communes « On cherche des gens qui, s’y intéressant, consentiraient à avancer gracieusement à la commune les 3 000 francs nécessaires à son installation. »

Un an plus tard, le même journal peut annoncer que « Le téléphone va fonctionner prochainement. Les amateurs désireux de le posséder chez eux sont officiellement priés de le faire savoir, afin qu’on puisse l’installer chez eux en même temps que la cabine publique. »

En novembre 1893, c’est l'inauguration de la ligne téléphonique reliant Joinville à Paris, en passant par le champ de courses de Vincennes. Plusieurs journaux font état de cette cérémonie, citant la présence du maire, Eugène Voisin, de ses deux adjoints, Jullien et Couppé, de plusieurs conseillers municipaux, notamment Blaize, Demeestère et Chapuis, ainsi que de Soulière, commissaire de police. Mme Broutta, directrice des postes est au côté de son mari, lieutenant-colonel de cuirassiers en retraite.

Mais c’est ce dernier qui réagit dans le quotidien XIXe siècle, précisant que « l'ouverture du téléphone au bureau de Joinville n'a été faite en présence de personne, cela ne regardant ni la municipalité, ni la police ; l'administration des postes, chatouilleuse avec raison, trouverait mauvais cette réclame qui pourrait nous être attribuée ».

Le couple quitte Joinville mi-septembre 1896, quand Antonine Broutta prend sa retraite. Ils vont s’installer à Saumur, Maine-et-Loire, rue du Roi-René, à proximité de la fille d’Antonine. Cette dernière, Marie Elizabeth vit au Coudray-Macouard ; elle est mariée avec Alphonse Desfaudais, ancien saint-cyrien et général de brigade.

Antonine Broutta meurt le 27 mai 1913 à Saumur. Elle était âgée de 77 ans. La messe d’enterrement a lieu au Coudray.

 

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15 juin 2018 5 15 /06 /juin /2018 01:01

Fin de la biographie de Georges Moreau

À côté de ses travaux d’écrivain, l'abbé Moreau ne négligeait pas les contacts avec la presse ni même les grands évènements intellectuels, si ce n’est mondains. Ainsi, en décembre 1895, il participe à la réception à l’Académie française de l’historien critique d'art et critique littéraire Henry Houssaye (1848-1911). Un mois plus tard, il est de nouveau à l’Académie française qui reçoit cette fois l’écrivain et critique dramatique Jules Lemaître (1853-1914).

Les talents de parole de Georges Moreau sont appréciés ; il est mobilisé pour le carême en 1895 à l’église Saint-Vincent-de-Paul ou pour Pâques en 1896 à Saint-Laurent. Le 4 mars 1895, le quotidien Le Matin commente ainsi : « L'abbé Moreau est encore un prédicateur de second plan, quoique, à tous les égards, il devrait être au premier plan. Il écrit beaucoup et bien, il parle mieux encore. Ses confrères l'ont depuis longtemps rangé parmi les épiscopables. On l'a trouvé autrefois trop libéral, on le trouve aujourd'hui trop ultramontain. Interrogé, il répond simplement : Je suis prêtre et rien que prêtre. »

C’est l'abbé Moreau que va rencontrer Le Matin quand il veut, en août 1892, avoir des commentaires sur une bien curieuse aventure de presse : l’interview du pape Léon XIII par l’écrivaine libertaire et féministe Séverine (alias Caroline Rémy, 1855-1929), parue dans Le Figaro le 4 août 1892. La présence de la suffragette et amie de Jules Vallès dans le quotidien conservateur est déjà surprenante ; le thème de son entretien aussi : l'antisémitisme.

Séverine, interrogeant le pape sur la guerre de races s’entendait répondre : « - Quelles races? Toutes sont issues d'Adam, que créa Dieu. Que les individus, suivant les latitudes, aient un teint différent, un aspect dissemblable, qu'importe cela, puisque leurs âmes sont de même essence, pétries du même rayon ? »

Et quand elle demande ce qu’il pense des « grands Juifs », sous-entendu ceux qui ont de l’argent, Léon XIII lui expliquait : « Je suis avec les petits, les humbles, les dépossédés, ceux que Notre-Seigneur aima. »

Georges Moreau affiche également son refus de l’antisémitisme, parfois avec des arguments tordant quelque peu ce que nous connaissons aujourd’hui de la réalité historique. Il classe Léon XIII dans « la lignée des grands papes », assurant que « L'Église, par l'organe des papes, n'a pas cessé de couvrir de son égide les juifs traqués et pourchassés. »

Confirmant ses opinions républicaines, Moreau n’hésite pas à invoquer le témoignage de l’abbé Grégoire, prêtre constitutionnel, parlant au nom des juifs à la barre de l'Assemblée nationale : « Les États du pape furent toujours leur paradis terrestre (…) tandis que l'Europe les massacrait. »

Le dernier livre imprimé connu de Georges Moreau est un discours qu’il tient, à Compiègne 17 juillet 1894 pour le centenaire de la mort sous l’échafaud de seize carmélites de la ville.

Il va mener un combat, en 1895, au nom de l’orthodoxie de la pensée catholique, qui lui vaudra pas mal de critiques. Recevant chez lui, à l’automne 1895, un journaliste du Matin, il parle du projet de congrès universel des religions, projeté pour 1900 à Paris et qui se tiendra finalement en Suisse. Il se dit « séduit » par l’idée de voir ensemble « toutes les sectes protestantes, juives, orientales ou autres », qu'on y invite « les musulmans et les païens, les pasteurs, les rabbins, les popes, les muphtis et les bonzes ». Mais il est catégorique : « Seule, la religion catholique n'y a pas de place, cette place fût-elle la place d'honneur. »

Son argument est définitif : « La tolérance, en matière de dogme, est une hérésie. L'église catholique (…) n'a rien à apprendre, rien à recueillir d'aucune secte ». Il veut donc se tenir à l’écart de cette « foire aux religions. »

Le quotidien culturel Gil-Blas, d’habitude mieux disposé à son égard, verra dans l’attitude de l'abbé Moreau celle d’un prêtre « encore moyen-âge ». Le littérateur spiritualiste et futur sénateur radical-socialiste de la Guadeloupe, Henry Bérenger (1867-1952), voit dans les propos de Moreau « la démonstration qu'aucune œuvre intellectuelle ou sociale ne peut-être entreprise avec le concours d'une Église qui se déclare elle-même intolérante, exclusive et dépositaire de la seule vérité ». Il en tire la conclusion que « Étant allés au clergé sans parti-pris, nous en sommes revenus nettement anticléricaux. C'est là un progrès négatif, mais c'est tout de même un progrès. »

En juillet 1896, Moreau retrouve une aumônerie, celle des religieuses du Très-Saint-Sauveur de la rue Bizet à Paris. Il cesse d’écrire pour les Annales catholiques.

L’abbé Georges Pierre Moreau meurt le 22 juillet 1897 à Marquette-lez-Lille (Nord). Il résidait route d’Ypres mais sa domiciliation restait toujours à Paris. La déclaration de sa mort est faite par des voisins qui ne savent pas signer. La raison de son séjour n’est pas connue. Les obsèques de l'abbé Moreau sont célébrées à l’église Saint-François-Xavier de Paris. Georges Moreau était âgé de 54 ans.

Léon XIII

 

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13 juin 2018 3 13 /06 /juin /2018 01:01

Suite de la biographie de Georges Moreau

Après L'Hypnotisme, dernier livre important qu’il édite en 1891, Georges Moreau ne cesse pas d’écrire. Au contraire, il va produire une grande quantité d’articles, dont au moins 104 sont inclus, sous sa signature, dans l’austère revue religieuse hebdomadaire Annales catholiques, dirigée par Paul Chantrel (1853-1928).

La revue avait déjà accueilli, en 1885, la Lettre au journal le Monde dans laquelle l’abbé Moreau affirmait sa stricte obéissance envers la doctrine catholique.

Les textes de Georges Moreau portent sur des questions morales, sociales, théologiques et doctrinales. On y trouve des essais importants et des comptes-rendus de lectures plus brefs. Le total fait plus de 770 pages. Pendant quatre années, entre 1891 et 1894, les textes de l’abbé Moreau sont présents dans environ un numéro sur deux. Le premier texte était publié en juin 1890, le dernier datant de février 1896.

La finalité exacte de ces articles n’est pas connue. Peut-être s’agit-il de supports d’enseignement ayant servi par exemple pour l’école des Carmes, la préfiguration de l’Institut catholique, futur établissement universitaire de l’Église à Paris. Une partie des textes reprennent des extraits de ses propres publications (L'hypnotisme en 1890-1891, Les carmélites de Compiègne en 1894) ou des discours qu’il a prononcés.

Parmi les plus importantes contributions, on peut mentionner les travaux suivants. En 1891 et 1892, dix articles abordent Le progrès matériel et l'esprit chrétien, treize prolongent l’examen sur L'Église et la question sociale qui se conclut par un texte de 1893 sur La question ouvrière. Dans ces textes, l’abbé Moreau s’intéresse au syndicalisme mais également aux questions politiques autour du socialisme.

La question des relations entre l’Église et les États est aussi une préoccupation majeure pour Moreau en 1892-183. Quatre articles traitent de L'Église et l’État en France, deux des Rapports de l'Église et de l’État en Angleterre, de nouveau quatre des Rapports de l'Église et de l’État aux premiers siècles et encore deux des Rapports de l'Église et de l’État sous les mérovingiens, sans oublier deux textes qui clôturent la série sur les Tentatives de résistance contre l'Église au 3e siècle.

Les commentaires des textes bibliques se répartissent sur toute l’œuvre. En 1891, sept articles parlent de Jésus-Christ d’après l’évangile ; une Étude du Nouveau Testament vient en 1893 avec quatre textes ; en 1895 il rend compte en deux articles d’un livre du RP MJ Ollivier sur Les amitiés de Jésus.

Plusieurs autres séries se consacrent à des questions historiques, comme Les évêques pendant la Révolution (trois articles en 1894), les Martyrs de la papauté (huit articles en 1894) ou La faculté de théologie de Paris (trois articles en 1894, 1895 et 1896).

Les textes de Georges Moreau explorent peu la question des autres religions et philosophies, mais il en consacre cependant en 1893 deux au judaïsme (la religion mosaïque) et un à Platon.

Les commentaires sur les documents issus du Saint-Siège, très présents dans les Annales catholiques, sont moins fréquents sous la plume de Moreau, mais on trouve cependant en 1891 trois Études de la bulle Apostolicae sedis, et un article en 1893, Le pape et son infaillibilité.

La morale est à l’origine d’une grande part des travaux de l’abbé Moreau à partir de 1893 : De l’empire sur les passions (deux articles), Des conditions de l’acte moralement mauvais, De la conscience téméraire, De la haine d’abomination.

Les questions liturgiques sont également fort présentes : le Culte des saints (deux articles en 1891), Règles liturgiques concernant le culte des saintes reliques et des saintes images (1893), De la prédication (1893), Le livre de paroisse (1893), Le secret sacramentel (deux articles en 1894).

Quelques textes traitent du personnel ecclésiastique : La vocation à l’apostolat (1893), Le corps épiscopal (1893), Le prêtre exemple des fidèles (deux articles en 1894), Un traitement extraordinaire des curés, desservants et vicaires (1893), Le prêtre est l’homme de Dieu (1893).

Trois articles sont consacrés à des thèmes actuels : les deux premiers sont, en 1890, un reportage de Huit jours à la Grande Trappe de Soligny, décrivant les réactions des habitants face à l’expulsion des moines. En 1895, Moreau donne son opinion sur Le congrès universel des religions, planifié en Suisse pour 1900.

Enfin, on remarque en 1895.un commentaire de la soutenance d’une thèse à la Sorbonne par l’abbé Urbain, une critique du livre de l’abbé Picard À la recherche d’une religion civile et trois articles consacrés au cardinal Perraud

L’ampleur de la production de Georges Moreau, avec ses livres et ses articles, montre qu’il consacrait une grande partie de son temps à son travail d’essayiste et de théoricien, et sans doute que ce qu’il écrivait avait une certaine autorité. L’évolution des thèmes traités montre un personnage d’abord très ancré dans son temps, et même dans l’actualité politique (les expulsions de religieux, le budget des cultes), attentif aux questions sociales (les prisons, la vie économique, la condition des travailleurs), disposant d’une culture juridique étendue (les relations Église-État) et d’une base scientifique (l’hypnose). La théologie, si elle n’est pas absente, est loin d’être la matière principale. Mais les dernières années des publications connues témoignent d’un glissement vers des thèmes plus historiques que contemporains et par une part accrue des questions morales ou liturgiques.

À suivre

 

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