Marie Gabrielle Krahnass naît le 23 juin 1845 à Poitiers (Vienne). Elle est la fille de Marie Virginie Bastard et de son époux, François Krahnass, officier polonais réfugié en France. François Krahnass, comptable, était un des plus actifs membres de l’émigration de 1831, qui avait vu l’élite de l’armée et de la jeunesse du pays rejoindre la France après l’écrasement de leur insurrection par les forces russes.
Élève de Mme Leguay et de MM. Poitevin et Chaplin, Gabrielle Krahnass est artiste peintre, d’abord à Poitiers puis à Paris, travaillant principalement sur porcelaine. Elle expose pour la première fois au salon de Paris en 1876 Le rêve de bonheur (porcelaine). Au salon de 1878, sous son nom de femme mariée, elle présente Jeune fille endormie (porcelaine) et au salon de 1880, Le printemps (dessin).
Elle aura plusieurs élèves qui exposeront également, dont Marie-Louise Welter (née Rode) et Caroline Lipart (née Steuer).
En mars 1877 à Paris (3e arr.), Gabrielle Krahnass épouse Albert Kownacki, professeur et conférencier, également fils d’un officier polonais réfugié devenu professeur de dessin, Joseph Kownacki. Gabrielle et Albert Kownacki hébergeront Joseph Kownacki jusqu’à sa 102e année en 1908, avec leurs trois enfants, dans leur maison du 57, rue du 42e de Ligne à Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne), commune où ils vivent depuis au moins 1883.
Les deux filles de Gabrielle et Albert Kownacki, Alice Kownacka (1878-1940) et Emma Berthe dite Marthe Kownacka (1879-1915), dont l’une fait des études supérieures de chimie à l’université de la Sorbonne, seront aussi artistes peintres.
Leur fils, Marcel (1883-1970) sert comme caporal au sein du 289e régiment d'infanterie pendant la première guerre mondiale, grièvement blessé à deux reprises en janvier 1915 à Crouy, il est fait prisonnier et emmené à Friedrichsfeld (Allemagne) avant d’être pris en charge par la Croix-Rouge et interné en Suisse à Böningen (canton de Berne) comme d’autres grands malades français. En 1919, il est décoré de la médaille militaire.
Gabrielle Kownacka meurt le 16 mars 1917 à Joinville, à l’âge de 71 ans. L’Association des anciens élèves de l'école polonaise de Paris lui rendra hommage. Son mari, Albert, avait été décoré de la Légion d’honneur en 1914.
Louis Félix Normand naît le 18 mars 1860 à Paris (18e arr.). Sa mère, Marie Augustine Normand, lingère, épouse dix ans plus tard, en décembre 1870, Victor Émile Salmon, qui le reconnaît.
Félix Salmon, devenu peintre sur porcelaine, épouse Louise Alphonsine Drony, couturière, en octobre 1890 à Paris (18e arr.). Il vit alors rue de Simart. Avant le milieu de la décennie, il s’installe à Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne), où il installe son atelier de peinture sur céramique dans le nouveau quartier de Polangis, avenue Henri.
Il participe en septembre 1895 à une souscription pour « les affamés de Carmaux », en faveur de grévistes des verreries. La quête est organisée par la coopératrice Victoria Vaudémont avec deux responsables radicaux-socialistes, son compagnon Henry Vaudémont, journaliste, et le lunetier Pierre Jules Tireau.
Félix Salmon prend la succession d’Henry Vaudémont en tant que correspondant local de l’hebdomadaire radical Voix des communes. Vaudémont, qui fut également le rédacteur en chef du journal, fut une figure marquante de la vie intellectuelle locale et fit de l’hebdomadaire sans doute le principal organe rendant compte de l’actualité dans la 2e circonscription de l’arrondissement Sceaux, qui couvrait la moitié du futur département du Val-de-Marne. Il meut en juillet 1896.
Signant un article à partir de juillet 1897, Salmon a cependant peut-être commencé sa collaboration plus tôt, utilisant dans ce cas des pseudonymes, par exemple J’Informe, en usage à 8 reprises entre février 1896 et avril 1904 (mais peut-être est-il collectif) ou Ducanal (octobre 1896). Neuf articles mentionnent le patronyme de Salmon.
Dans ses interventions, il exprime des critiques sur l’absence des conseillers municipaux joinvillais aux fêtes du quartier de Polangis en juillet 1897. Il relaie une demande d’affichage des décisions du conseil municipal.
Le rédacteur qui signe J’Informe critique les interventions privées dans les écoles publiques, soutient le maire Eugène Voisin et rappelle le souvenir d’Henry Vaudémont.
En août 1901, tandis que Salmon paraphe son dernier article, Ludovic (alias Louis Dehné) apparaît pour la première fois ; il prend sa succession en tant que chroniqueur de Voix des communes pour Joinville.
Un Salmon, peut-être Félix, est élu membre du groupe cantonal radical-socialiste de Charenton en janvier 1899 ; il en est secrétaire adjoint.
Salmon ne réside plus à Joinville en 1911, son épouse ayant repris l’exploitation de l’atelier de céramique. Il divorce en novembre 1915 et se remarie, en mars 1919, à Paris (16e arr.) avec Mathilde Zurcher, brocanteuse, dont ils vont élever la fille issue d’un premier mariage.
Félix Salmon poursuit d’abord son activité de céramiste à Paris (8e arr.), rue de Ponthieu, puis la famille s’installe à Eaubonne (Seine-et-Oise, act. Val-d'Oise), rue de la Gare. Il meurt dans cette ville le 26 septembre 1942, à l’âge de 82 ans.
Louis Ferdinand Dehné naît le 20 avril 1846 à Metz (Moselle), où son père, Antoine Ferdinand Dehné, officier d’artillerie, est en casernement. Sa mère est Nanine Marie Cantaloube de Rivières.
Son père, commandant de la place de Strasbourg sous le second empire, s’illustre en Crimée et meurt en 1866. Pendant la guerre franco-prussienne de 1870-1871, Louis Dehné, combat à Strasbourg pendant 2 mois, est fait prisonnier, s’évade et rejoint l’armée de la Loire. Il tombe malade et en garde ensuite de « mauvaises jambes. »
Après la fin du conflit, Louis Dehné né dans un territoire annexé à l’Allemagne, opte pour la nationalité française en septembre 1872. Il réside à Paris et entre à la préfecture du département de la Seine comme commis-expéditionnaire dans plusieurs mairie d’arrondissement (20e, 4e, 8e) puis à la Caisse municipale et enfin au bureau des aliénés et enfants assistés.
En août 1880, il se marie à Paris (6e arr.) avec Mathilde Coudevilain, avec laquelle il avait eu un enfant l’année précédente. Ils résident dans l’arrondissement, d’abord rue du Dragon puis rue du Cherche-Midi. Ils migrent plus tard de l’autre côté de la Seine rue du Roule (1er arr.) et rue Geoffroy-Lasnier (4e arr.) mais reviennent, au début du 20e siècle, cour de Rohan (6e arr.).
En parallèle avec son activité de fonctionnaire, Louis Dehné mène une vie intense d’intellectuel. Il écrit sous pseudonyme dans plusieurs journaux depuis le milieu des années 1870. Surtout, il se veut auteur dramatique et chansonnier.
Il signe les paroles d’une trentaine de chansons populaires publiées entre 1885 et 1891, ainsi que d’une opérette, Simplice et Simplette, créée en mars 1887 à l’Éden-concert à Paris. Elle est représentée ensuite dans d’autres salles parisiennes : Les Ternes (1887), l'Eldorado (1888 et 1889), la Pépinière (1889), le Concert Européen (1890). On la joue aussi en province, par exemple à Romilly-sur-Seine et Troyes en 1887 ou Nogent-Ie-Roi en 1897. À l’étranger, Simplice et Simplette, est programmée à Montréal (Québec, Canada) au théâtre Le Montagnard en 1899.
La critique considère l’œuvre comme une « paysannerie (…) très lestement enlevée » » (Le Tintamarre, 1887), une « gentille bluette » mais « pleine de jolis détails. C'est une amourette en quelques pages, le roman naïf et champêtre de deux paysans partie en pèlerinage pour se guérir du mal d'amour et qui se guérissent l’un et l’autre dans un bon baiser campagnard » (Le Petit Caporal, 1889).
Dans ses différentes œuvres, Louis Dehné collabore notamment avec le compositeur Henri Chatau (mort en 1933), l’illustrateur et affichiste d’origine argentine Carlos Clérice (1860-1912) le compositeur né en Belgique Félix Chaudoir (1856-1904), le caricaturiste, peintre, lithographe et affichiste brésilien Cândido de Faria (1849-1911), le compositeur Léopold Gangloff (1859-1899), le parolier; chansonnier et journaliste Maxime Guy (1858-1902), l’auteur-compositeur et chansonnier Gaston Maquis (1860-1908) ainsi que le compositeur Tac-Coen (1844-1892).
Après sa retraite de l’administration en février 1895, alors qu’il n’a pas 49 ans, Louis Dehné va résider régulièrement à Dampmart (Seine-et-Marne), tout en conservant un appartement parisien. En août de cette année, il est mêlé à une affaire de tapage injurieux qui le conduit devant le tribunal de simple police de Lagny. Il est relaxé comme l’un des co-accusés, mais la troisième est condamnée à cinq jours de prison. Pendant trois ans, Dehné collabore au Journal de Seine-et-Marne où il insère des articles sur l’actualité locale ou des poèmes patriotiques. Il envoie également des contributions au quotidien Paris.
Vers 1900, Dehné s’installe à Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne). Il devient en août 1901 le correspondant attitré de l’hebdomadaire radical-socialiste Voix des communes, prenant le relai de Félix Salmon, céramiste. Il est, après Henry Vaudémont et Salmon, le troisième titulaire de la rubrique et utilise le pseudonyme de Ludovic.
Son premier article est une critique de la méthode de gestion du maire, Eugène Voisin, pourtant soutenu par les radicaux-socialistes qui composent l’essentiel de sa majorité. Selon Dehné, Voisin « n’aime pas que ses administrés récriminent. Maître absolu dans son conseil, composé en grande majorité de républicains plus que modérés, qu’il fait voter au doigt et à l’œil, il n’admet pas la moindre contradiction, surtout si elle émane d’un radical ou d’un socialiste. »
Dans la tradition de la presse locale, Dehné polémique avec deux journaux basés à Saint-Maur-des-Fossés, le Réveil et Liberté, exprimant des positions plus conservatrices. Il explique pourquoi il ne signe pas de son nom : « J’ai pris un pseudonyme pour ne pas que le premier voyou venu vienne m’insulter dans la rue. Mais depuis près de 25 ans que je fais du journalisme, chacun sait que je me tiens toujours à la disposition de tout galant homme qui se trouverait offensé par l’un de mes articles ». En janvier 1902, il écrit à propos d’un de ses contradicteurs : « Jamais au lycée, au régiment, dans l’administration, personne n’a pu réussir à me faire taire. Il faudra au moins qu’il me tue ! »
Malade depuis décembre 1901, Louis Dehné suspend sa collaboration avec Voix des communes en août l’année suivante. Il meurt le 28 septembre 1902 à Paris (12e arr.) à l’hôpital Saint-Antoine, âgé de 56 ans. Il résidait toujours à Joinville, 34, rue de Paris. Décoré des Palmes académiques, il était officier d’académie et avait une fille. Gabriel Meynet, directeur de l’hebdomadaire radical, lui rend hommage le 4 octobre.
C’est en novembre 1921 que l'abbé Simonard prend en charge une cure, étant nommé à la tête de la paroisse Sainte-Anne de Polangis à Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne). Il remplace l'abbé Seneuze, premier curé de Polangis, nommé à la création de la paroisse en 1910.
Lors d’une rencontre de l’Association catholique des hommes de son ressort, Simonard prononce une allocution en faveur de « l’Union sacrée pour le bien et le bonheur de notre France ». Chaque année, début décembre, une cérémonie est organisée en souvenir des combattants de 1870-1871 morts lors de la bataille de Champigny, en général à l’église Saint-Saturnin ; l'abbé Simonard en est souvent le prédicateur. En 1923, son intervention est publiée par le quotidien d’extrême-droite La Libre Parole : « A ne prendre que l’apparence, nos morts de Champigny n’ont pu triompher de l’adversaire ; leur héroïsme paraît comme inutile. Apparence trompeuse, car pendant près de quarante années, Champigny a été une de ces claires lumières où l’âme de France venait chercher Les directives d’action qui lui étaient nécessaires, pour garder le tenace et irréductible espoir des revanches de la justice et du droit ». Il poursuit avec une tonalité plus politique : « Nous devons donc associer dans un même mouvement de reconnaissance les morts de 1914-1918 à ceux de 1870 ; tous nous apportent la même éloquente et nécessaire leçon de discipline et d’obéissance consciente qui est l’indispensable leçon de l’heure présente (…) Nos grands chefs étaient des croyants catholiques pratiquants (…) Ils ont défendu la Justice divine, la Vérité ! Suivons-les et acceptons l’autorité. Il y a de l’ordre, de l’harmonie dans la Nature ; il doit y en avoir dans la Société ! »
L’abbé Simonard est souvent mobilisé comme prédicateurs de carême : à Saint-Hippolyte en 1920, Saint-Eloi en 1922, dans son ancienne paroisse de Saint-Jean-Baptiste de Belleville en 1923, à Charenton en 1926, Saint-Honoré d'Eylau en 1929, Saint-Eugène en 1933, etc.
Il fait partie des premiers abonnés du quotidien d'inspiration démocrate-chrétienne l'Aube, fondé en 1932 par Francisque Gay et codirigé par Gaston Tessier, secrétaire général de la Cftc.
L’église de Polangis, avant son érection en paroisse, portait le nom de « chapelle des usines », étant proche des établissements Pathé-Natan. Elle était de fait très liée aux métiers du cinéma. L'association l’Entraide du Cinéma demande à l’abbé Simonard de célébrer, le 1er décembre 1934, un service funèbre â la mémoire de tous les cinématographistes morts dans l'année : producteurs, éditeurs, distributeurs, metteurs en scène, industriels, artistes, auteurs, directeurs, opérateurs, ouvriers, employés ; le quotidien culturel Comoedia en compte 237 pour les onze premiers mois de l’année. Simonard assure : « C'est de grand cœur que j'ai accueilli cette demande (…) comme curé d'une paroisse où est établi le premier studio de France. »
La messe des morts du cinéma accueille, en 1936 et 1938 à Sainte-Anne de Polangis le cardinal Verdier, archevêque de Paris. En décembre 1938, la dernière des messes du type est déplacée à l’autre édifice cultuel joinvillais, Saint-Charles-Borromée, de plus grande contenance.
Émile Simonard va s’intéresser de manière plus concrète au 7e art. Lors du tournage aux studios de Joinville d’un film de Jean Dréville, Les Petites Alliées, en janvier 1936, Madeleine Renaud et Constant Rémy se plaignaient du jeu peu crédible d’un figurant supposé les marier. Un régisseur alla chercher l’abbé de Polangis qui fit la scène et avoua : « Voici longtemps que j'avais envie de tourner. »
Le figurant partagea le cachet qu’on lui avait remis entre son enfant de cœur et un chômeur du voisinage.
Émile Simonard meurt le 22 janvier 1937 à l’âge de 61 ans ; son décès est transcrit dans l’état-civil de Joinville. Le journal syndical L'Employé, qui lui rend hommage en disant qu’il « avait su se faire aimer et respecter, notamment des cinéastes », assure qu’il a été « écrasé par une tâche trop lourde. »
Séverine, pseudonyme de Caroline Rémy (1855-1929), fut une femme libre, la première à diriger un quotidien, le Cri du Peuple. Amie de l’écrivain communard Jules Vallès, féministe ; fondatrice de la Ligue des droits de l’Homme, pacifiste, suffragette, communiste… On la retrouve dans bien des combats, souvent d’ailleurs là où on ne l’attend pas.
C’était le cas ce 4 août 1892. Elle était à Rome, de son propre chef, et elle va, au culot, interroger le pape Léon XIII sur l’antisémitisme et les Juifs. Et c’est au quotidien conservateur Le Figaro qu’elle propose son article !
Les paroles du chef de l’Église catholique ont la condescendance d’une institution sûre de son pouvoir, mais la netteté du refus d’un racisme que bien des chrétiens de l’époque encouragent. La fraîcheur de la journaliste libertaire fait plaisir à lire, même si son hostilité aux riches est quelque peu ambigüe.
Je reproduis ici cet ancien article du Figaro parce qu’il témoigne d’une époque où on avait à cœur « d’écouter entre les paroles ». Et aussi parce que j’aime bien cette Séverine, qui faisait ce qui lui plaisait, « pour l'amour de l'art ! »
Le Figaro 1892/08/04.
Le pape et interview de Léon XIII.
Séverine est en ce moment à Rome où elle est allée, pour le Figaro, demander à S. S. Léon XIII ce qu'il fallait penser de la question antisémitique. Cette idée, qui nous a séduit par son originalité, et pour le développement de laquelle nous avons laissé, bien entendu, toute liberté à son auteur, nous a valu la très curieuse page que voici sur le Souverain Pontife et le Vatican, avec des déclarations papales du plus haut intérêt.
Par dépêche, Rome, 3 août 1892.
Alors que l'Antisémitisme fait état d'orthodoxie, tend à se présenter, sinon comme une inspiration de l'Église, du moins comme son émanation, il m'a semblé d'un puissant intérêt d'aller voir, à ce propos, le chef, suprême de l'Église, celui qui lie et délie, le pilote incontesté des consciences catholiques.
Je n'ai pas été demander au Saint- Père de se prononcer - la situation politique du Pape l'éloigne, et cela se conçoit, de tout débat où son veto n'est pas immédiatement nécessaire, de toute intervention susceptible de soulever des discussions, des polémiques, d'émouvoir l'irritabilité de telle ou telle puissance, de tel ou tel parti, en dehors des questions strictement techniques, traitant des points de dogme ou des intérêts de la foi.
En un mot, je ne me suis pas attachée à connaître ce que Léon XIII désapprouve... seulement, ce qu'il n'approuve pas !
Voici, au premier abord, une casuistique qui m'est peu familière ; ma netteté s'accommodant mal, d'habitude, de si subtiles distinctions - mais cela se gagne, en Cour de Rome !
Tout ici procède par demi-teintes, par gradations de nuances à peine indiquées, et dépassant rarement le médium sur l'échelle ascendante, vers l'accentuation. De même qu'au Vatican, dans la pénombre des salles, chacun marche sourd, chacun parle étouffé, de même, aussi, chacun y pense tout bas. Les pas s'y raccourcissent et l'initiative y replie ses ailes, volontairement, s'astreignant à évoluer dans le cadre étroit du domaine ecclésiastique.
De là, l'éclat retentissant, l'extraordinaire envolée, lors de chaque exception à cette règle, de chaque rupture de cette réserve, de chaque acte décisif - il est fait d'élans refoulés, d'essors contenus.
Il faut donc lire entre les lignes, écouter entre les paroles...
J'aurais honte, je considérerais comme indigne et déloyal de prêter au Saint-Père un seul mot qui ne soit rigoureusement exact, ni même d'amplifier ce qu'il lui a plu de me répondre. Or, si, pas une fois, il n'a dit : « Je blâme », dix fois en une heure, il a dit : « Je n'approuve pas. »
Je laisse aux catholiques le soin de tirer de cette attitude telle conclusion qui leur plaira.
Pour ma part, en dehors, en dépit de mes opinions - peut-être justement à cause d'elles - j'ai le respect de toute chose grande, même si elle va à rencontre du mien idéal, ou si elle en diffère par quelque point; Et je préférerais perdre les meilleurs arguments du monde qu'ajouter une affliction à celles de ce roi sans trône, de ce vieillard si touchant et si auguste, ignorant de l'anathème, ne levant la dextre que pour bénir, pour absoudre, pour épandre l'indulgence divine sur toutes les créatures - quelle que soit leur race, quelle que soit leur religion !
Ici, une brève parenthèse, oiseuse, semblera-t-il à ceux qui me connaissent, mais que je tiens quand même à faire, prévoyant, sans trop de perspicacité, de quelle nature sera la riposte antisémite et, d'après la calomnie d'hier, la calomnie de demain.
Quoique, d'après certains sectaires, j'appartienne à la « presse vile » ; quoique je sois - cela est bien connu ! - « stipendiée » par la rue Laffitte, j'aurai le cynisme de déclarer que j'ai entrepris ceci de mon seul mouvement. Je n'ai pas écrit cet article « sur commande », je l'ai proposé de moi-même, parce que j'ai parfois des idées que personne ne m'inspire et que je mets à exécution parce que cela me plaît pour l'amour de l'art !
Je me suis offert ce luxe inouï de faire œuvre de miséricorde envers les juifs, sans me faire payer – la précision du terme ne m'effraie pas – par les israélites.... mon socialisme ne s'attardant point aux questions de croyance ou d'origine, ne reconnaissant d'autre ennemi que l'Accapareur, youtre ou goym ! Il est le voleur des pauvres... cela me suffit.
Et TOUS les pauvres sont miens : lamentables Hébreux errant dans le steppe, traversant l'Europe à pied, tirant, comme des bêtes de somme, sur le licol des charrettes où sont entassés leurs malades, leurs vieillards, leurs enfants, quelques nippes échappées au désastre ; et s'abattant, exténués, dans la cour du grand-rabbin, à Paris, fourbus de fatigue, chancelants d'inanition - misérables spoliés par les financiers catholiques de là-bas, comme sont spoliés, ici, par leurs coreligionnaires richissimes, les paysans et les travailleurs de la chrétienté !
Que vient-on parler de guerre de races, de guerre de religion?...
- J’ai faim!... dit le pauvre.
Et un écho brisé, distendu, hautain cependant, répond, du Vatican :
- Tous les biens de la nature, tous les trésors de la grâce appartiennent, en commun et indistinctement, à tout le genre humain! (Encyclique du 15 mai 1891, ch. III.)
Je suis arrivée ici sans recommandation, sans appui; je n'ai d'autre alliée que ma volonté tenace et une lettre d'un camarade pour un haut dignitaire du Saint-Siège.
Mais je crois à ce magnétisme qui s'exerce à travers la distance et le temps, qui abrège l'une, supprime l'autre; à l'influence de ce vouloir ardent dont s'imprègne l'atmosphère entre le but et l'effort; qui rapproche l'un de l'autre, fatalement, sans qu'on ait rien à faire qu'hypnotiser son rêve...
Et me voici assise dans l'une des salles du Vatican, perdue dans la pièce immense, toute semblable, avec ma robe noire, mon voile noir, l'absence du plus humble bijou, et mes mains dégantées, à toutes les dévotes qui viennent seulement satisfaire leur pieuse curiosité.
Leur cœur, certes, ne bat pas plus fort que le mien - et Dieu sait, pourtant, ce que celui-ci demeurerait calme si les hasards du métier me menaient dans le palais de n'importe quel monarque. Je sais ce que valent les sceptres et ce que pèsent les couronnes, sous le poing lourd de la foule ou le doigt léger du destin !
Mais le Pape !... Tous les souvenirs de ma pieuse petite enfance se lèvent comme un vol de moineaux dans les herbes d'un cimetière. Hier, n'ai-je pas dit à l'ecclésiastique qui m'expliquait le cérémonial du triple salut (un à la porte; un au milieu de la salle, un devant le fauteuil du Saint-Père) : « Gomme au mois de Marie, alors? » me rappelant le temps où j'étais de garde dans la chapelle, chargée du renouvellement des fleurs et fomentant des révoltes - déjà ! - entre deux Ave.
Il m'a regardée, surpris gaiement, puis avec une inclinaison de tête indulgente : « Oui; comme au mois de Marie! »
C'est ma grande peur de commettre quelque impair ; non que j'y apporte ombre d'amour-propre, ne me taxant aucunement d'être ferrée sur l'étiquette, mais parce que toute négligence pourrait passer - de ma part - pour une affectation blessante et de goût odieux. Aussi, je me répète à moi-même les formules, comme les répons du catéchisme avant la récitation... autrefois!
Que c'est immense, ce Vatican, pour arriver à atteindre la partie restreinte où le Pape vit confiné ! Que c'est haut, surtout! Il faut gravir le perron d'entrée, longer la galerie monumentale où devisent les gardes suisses, vêtus encore comme les reîtres de Jules II; monter l'escalier de marbre - trois étages qui en valent bien six - franchir le Gortile San-Damaso; regrimper trois autres étages, également de valeur double; et traverser des salles en si grand nombre que la tête vous tourne et qu'on finit par ne plus distinguer rien !
J'ai entrevu seulement, au passage, sur une merveilleuse tapisserie, le Christ accueillant la pécheresse blottie à ses pieds, y cherchant refuge contre la cruauté humaine...
Tout à coup, dans cette solitude et ce silence, un coup de canon, discordant comme une fausse note. Il apprend aux Romains qu'il est midi. Et voici que lui répondent, trottinant les unes après les autres comme des vieilles femmes courant à la messe, toutes les pendules de l'antique palais. Il en est de vives et de lentes, d'alertes et de fatiguées ; des petites au timbre aigu, des grosses à voix de contralto. C'est un carillon familier et d'une grâce ingénue.
Un glissement de semelles sur le pavé de marbre luisant comme s'il était mouillé ; un murmure de syllabes à peine distinctes, en cet idiome déjà si mélodieux; une soutane qui s'incline et attend, puis marche devant, se prosterne au seuil d'une pièce voisine, s'efface, semble disparaître dans le mur...
C'est mon tour d'audience.
J'entre, m'incline trois fois ; une main prend la mienne, me relève doucement :
« - Asseyez-vous, ma fille, et soyez la bienvenue...»
Très pâle, très droit, très mince, à peine accessible au regard, tant il reste peu de matière terrestre en cette gaine de drap blanc, le Saint-Père siège, au fond de la pièce, dans un vaste fauteuil adossé à une console que surmonte un Christ douloureux.
La lumière, venant de face, tombe d'aplomb sur cet admirable visage de prélat latin, en fait ressortir les méplats, les finesses de modelé, la structure « primitive », au sens pictural du mot, vivifiée, animée, galvanisée pour ainsi dire par une âme si juvénile, si vibrante, si combative pour le bien, si compréhensive des misères morales, si pitoyable aux détresses physiques, que le regard étonne, semble une aube miraculeuse surmontant un déclin de jour..
L'incomparable portrait de Chartran peut seul donner idée de cette acuité de vision. Mais encore est-il d'un éclat un peu bien somptueux, et toute la pourpre qui flamboie derrière la soutane neigeuse met-elle aux joues un reflet, aux prunelles une étincelle qui s'adoucissent dans la réalité.
Pour rendre mon impression, je dirai que j'ai trouvé le Pape « plus blanc » ; d'un rayonnement plus intime et plus émouvant ; moins souverain, davantage apôtre - presque aïeul !
Une bonté attendrie, timide, semblerait-il, est tapie dans la moue des lèvres, se dénonce seulement dans le sourire. Et, en même temps, le nez long, solide, révèle la volonté, une volonté inflexible - qui sait attendre !
Léon XIII ressemble aux modèles du Pérugin et à tous ces portraits de donateurs qu'on voit dans les tableaux de sainteté, sur les vitraux des antiques cathédrales, agenouillés, de profil, en leurs habits de laine, les doigts allongés et humblement rejoints, parmi les apothéoses, les Nativités, le triomphe des saints et la gloire de Dieu.
Il me paraît aussi incarner les armes de sa maison, le blason des Pecci, avec sa taille aussi svelte, aussi altière que le pin qui se silhouette en i sur le ciel bleu, et, entre ses paupières, cette clarté d'étoile matutinale et précurseuse d'aurore qui tremble à la cime du grand arbre héraldique!
Mais ce qui, presque autant que le visage, attire et retient l'attention, ce sont les mains; des mains longues, fines, diaphanes, d'une pureté de dessin incomparable; des mains qui semblent, avec leurs ongles d'agate, des ex-voto d'un ivoire très précieux, sortis pour quelque fête de leur écrin.
La voix est comme lointaine, exilée par l'usage de la prière, plus accoutumée à monter vers le ciel qu'à descendre vers nous. Et, pourtant, dans la causerie, elle revient, avec, de-ci, de-là, un ressouvenir d'intonation majeure qui en coupe la mélopée grégorienne.
Puis un rien, une habitude du terroir donne aux propos tenus une saveur particulière, les épices de nationalité. Alors que le pontife s'exprime très correctement, très élégamment en français, à toute minute l'exclamation italienne par excellence : « Ecco ! » (Voilà !) Revient, fait claquer ses deux syllabes, comme un léger coup de fouet qui active ou dé- tourne la conversation.
Et les mots, dociles, prennent le galop, bifurquent, mènent où il plaît au Saint-Père d'aller.
Je le suis respectueusement, notant au passage, de mémoire, les réponses qu'il veut bien me faire, les provoquant d'une brève interrogation lorsque je le puis; remarquant combien sa- pensée, d'essence toujours évangélique, revêt volontiers le peplum latin, se traduit en périodes cadencées, harmonieuses, révélant le délicat et docte lettré.
Comme j'ai parlé de Jésus pardonnant à ses bourreaux, alléguant leur ignorance pour excuse à leur férocité; comme j'ai demandé si, avant toute chose, il n'était pas du devoir chrétien d'imiter son exemple :
« - Le Christ, dit Léon XIII, a versé son sang pour tous les hommes, sans exception ; et même de préférence pour ceux qui, ne croyant pas en lui, s'obstinant dans cette méconnaissance, avaient le plus besoin d'être rachetés. Envers ceux-là, il a laissé une mission à son Église : les ramener à la vérité... »
- Par la persuasion ou la persécution, Saint-Père ?
« - Par la persuasion! répond avec vivacité le Pontife. La tâche de l'Église est, n'est que douceur et fraternité. C'est l'erreur qu'elle doit atteindre, s'efforcer d'abattre; mais toute violence envers les personnes est contraire à la volonté de Dieu, à ses enseignements, au caractère dont je suis revêtu au pouvoir dont je dispose. »
- Alors, la guerre de religion?
« - Ces deux mots-la ne vont pas ensemble! »
Et la main qui porte l'anneau épiscopal a fait un geste impératif.
- Reste, Saint-Père, la guerre de races...
« - Quelles races? Toutes sont issues d'Adam, que créa Dieu. Que les individus, suivant les latitudes, aient un teint différent, un aspect dissemblable, qu'importe cela, puisque leurs âmes sont de même essence, pétries du même rayon ? Si nous envoyons des missionnaires chez les infidèles, chez les hérétiques, chez les sauvages, c'est parce que tous les humains, tous, vous entendez bien, sont des créatures de Dieu ! Il y a celles qui ont le bonheur d'avoir la foi et celles auxquelles nous avons le devoir de la donner, voilà tout ! Elles sont égales devant le Seigneur, puisque leur existence est l'œuvre de sa commune volonté. »
Puis le Pontife ajoute :
« - Même quand le Ghetto existait à Rome, nos prêtres le sillonnaient en tous sens, causant avec les israélites, s'appliquant à connaître leurs besoins, soignant leurs malades, s'efforçant de leur inspirer assez confiance pour parvenir à discuter les textes, à les convertir, enfin 1 »
- Et quand la populace voulait massacrer les juifs ?
« - Les juifs se mettaient sous la protection du Pape... et le Pape étendait sur eux sa protection ! »
***
« Seulement, reprend le Saint-Père, si l'Église est une mère indulgente, aux bras toujours ouverts, pour ceux qui lui arrivent comme pour ceux qui lui reviennent, il ne s'ensuit pas que les impies qui se refusent à elle doivent être ses préférés. Elle est sans colère contre eux, ils sont sa douleur, sa plaie, mais elle garde ses prédilections pour les fidèles qui la consolent, qui lui sont des fils pieux et fervents. Enfin, si l'Église a mission de défendre les faibles, elle a mission aussi de se défendre elle-même contre toute tentative d'oppression. Et voici qu'après tant d'autres fléaux, le règne de l'argent est venu... »
Le successeur de saint Pierre raidit plus encore son torse droit et, le regard soudainement dur :
« - On veut vaincre l'Église et dominer le peuple par l'argent ! Ni l'Église ni le peuple ne se laisseront faire! »
- Alors, Saint-Père, les grands Juifs ? Sous le voile des paupières, la lueur a disparu. Et, décolorée soudain, la voix répond :
« - Je suis avec les petits, les humbles, les dépossédés, ceux que Notre-Seigneur aima...»
Je comprends que c'en est fini sur ce sujet, et n'insiste pas. D'ailleurs, maintenant, Léon XIII parle de la France, de la tendresse profonde qu'il lui porte, de son désir de la voir prospère sous quel- que gouvernement qu'elle ait choisi.
Et brusquement, sans préparation, avec une malice apparue soudain aux angles de sa bouche, aux coins de ses yeux :
« - Et chez vous, que pense-t-on du Pape? Est-on content de lui?»
- Saint-Père...
C'est que je ne sais quoi répondre, en vérité. Il voit mon embarras, et avec bonhomie frottant ses longues mains pâles :
« - Allez, allez ! N'ayez pas peur I »
Je rassemble mon courage i
- Saint-Père, voulez-vous me permettre d'employer envers vous un terme très hardi?
« Allez, allez ! »
- Eh bien ! si les monarchistes en veulent au Pape, les républicains de gouvernement l'exècrent... il est la concurrence !
Un tout petit rire, tout voilé, tout discret, accueille le mot.
« - Et les socialistes? »
- Pour les socialistes de gouvernement, les états-majors, encore la concurrence !
« - Et le peuple ? »
- Le peuple? Jamais je ne me permets de parler en son nom. Il est plutôt indécis, je crois, vaguement méfiant... il a tant été trompé ! Mais tout de même, ça l'étonne, un Pape qui s'occupe de lui... et qui soumet les cardinaux 1
Les longues mains pâles accentuent leur geste satisfait. Et, souriant :
« - Je ne veux pourtant pas être roi de France ! {sic). »
Maintenant, sans que j'ose l'interrompre, la grêle voix, seule, troue le silence:
« - Quand donc comprendront-ils, tous, que l'Église ne veut pas, n'a pas à faire de politique, qu'elle entend y demeurer étrangère, s'en tenir résolument écartée? Mon Maître a dit : Mon » royaume n'est pas de ce monde. Donc, le mien non plus ! J'aspire à la domination des âmes, parce que je veux leur salut, parce que je souhaite le règne de la fraternité entre les hommes, l'oubli des discordes, l'avènement de la sainte paix, de la sainte pitié ! Mais rien que cela, cela seulement ! »
Le haut vieillard est presque debout, et ses yeux, plus lumineux encore, s'ourlent d'une brume.
Il s'est tu. Alors, très vite, presque bas, contente que j'ai été d'entendre bien parler de la France, dans cette ville toute pleine officiellement d'autres tendances :
- Saint-Père, vous savez, cet abbé Jacot, ce renégat, cet Alsacien-Lorrain qui prêche aux nôtres de là-bas l'oubli de la mère-patrie, il se vante d'être l'interprète de vos commandements? Est-ce vrai ? Approuvez-vous son acte ?
« -Je le déplore... répond gravement le pontife. J'aime la France. C'est vers elle que mes yeux se tournent toujours quand ma voix s'élève du fond de ces chambres où j'erre depuis quinze ans... sans jamais sortir ! »
Sans jamais sortir! A-t-il répété mélancoliquement, ce captif sans paille ni cachot, prisonnier de sa seule dignité, mais plus entravé par ces invisibles liens que par les lourdes chaînes de fer.
Je m'incline pour prendre congé ; la longue main pâle se pose doucement sur mon front :
« - Allez, ma fille, et que Dieu vous garde !... »
Joseph Marie Moutardier naît le 21 septembre 1877 à Sens (Yonne). Il est fils d’Eulalie Bertrand, lingère, et de son mari Edme René Moutardier, domestique puis tanneur.
Devenu serrurier et résidant alors toujours chez ses parents à Sens, Moutardier épouse en septembre 1899, à Paris (11e arr.), Louise Mathilde Vaillant, domestique. Ils reconnaissent à cette occasion un enfant né en mai 1898 dans le même arrondissement. Leur divorce sera prononcé en mars 1917.
C’est en février 1903 que Joseph Moutardier devient professeur de serrurerie à l'école Diderot à Paris.
Ayant reçu son permis de conduire des véhicules automobiles en avril 1905, il est mobilisé dans le 5e escadron du Train comme conducteur automobile en août 1914 ; il est détaché dans une usine comme ouvrier en mai 1915 et y reste jusque février 1919.
Suite à sa séparation juridique avec sa première épouse, Joseph Moutardier se remarie en mai 1918 à Paris (20e arr.) avec Gabrielle Céline Maillot
Après la première guerre mondiale, il est professeur d'enseignement technique à Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne), où il a fixé son domicile rue Vautier. Il s’établira ensuite en 1925 rue Chapsal, toujours dans le quartier du centre de la commune.
L’activité politique publique de Moutardier est documentée à partir de 1924. Le 5 janvier de cette année-là, il préside une réunion de la section de Joinville de la Ligue de la République, qui ambitionne d’assurer un groupement des gauches, autour des radicaux-socialistes, des socialistes SFIO et des socialistes indépendants.
Alors que les bords de Marne subissent leur plus forte inondation après celle de 1910, Moutardier qui se présente comme un « plongeur par nécessité », écrit une lettre ouverte à Yves Le Trocquer, ministre des travaux publics, pour se plaindre que les mesures prises pour préserver Paris des inondations ont eu pour conséquence d’inonder les riverains de la Marne et de la Haute Seine. En janvier 1925, Moutardier est candidat pour être électeur sénatorial sur une liste radicale-socialiste, mais la majorité municipale de droite l’emporte. Lors des élections municipales de mai 1925, Moutardier est probablement présent sur la liste du cartel des gauches, conduite par Georges Briolay ; elle recueille 28,4 % des suffrages exprimés, devant les communistes, 21,1 % et dernière l’Union républicaine (droite), 47,5%. Au second tour, malgré le retrait des communistes, la liste du maire sortant, Henri Vel-Durand (radical dissident) emporte les 27 sièges à pourvoir.
Moutardier est élu, en décembre 1928, trésorier du comité radical-socialiste de Joinville dont Féret est le président.
Lors des élections municipales de mai 1929, Moutardier figure de nouveau sur la liste de concentration des gauches conduite par Georges Briolay, comprenant les radicaux-socialistes, les socialistes SFIO et des socialistes indépendants. Au premier tour, la liste de gauche arrive en tête, devant la liste d’Union républicaine du maire sortant, Stephen Durande, qui a remplacé Henri Vel-Durand, décédé en cours de mandat, et la liste communiste conduite par Bénenson. Moutardier obtient 795 voix sur 1 715 votants (46,2%) pour 2 491 électeurs inscrits. Au second tour, la liste des gauches obtient 22 sièges, contre 5 à celle de la municipalité sortante et aucun aux communistes.
Moutardier devient le quatrième adjoint du nouveau maire, Georges Briolay (radical), aux côtés de Maxe, Scornet (socialiste indépendant) et Roger (socialiste SFIO).
En l’absence de Briolay, malade, c’est Moutardier, trésorier, qui assure la présidence du comité radical-socialiste le 26 janvier 1931. Il est réélu à la même fonction et il en est de même en janvier puis en novembre 1933.
Au cours d’un conseil municipal le 18/12/1934, Moutardier défend un vœu pour qu’il soit interdit aux commerçants de vendre des produits sans rapport avec l’activité principale exercée.
Maxe s’étant retiré et Scornet étant décédé, Moutardier figure en troisième position sur la liste de la municipalité sortante, derrière Briolay et Roger, devenu socialiste indépendant, pour les élections municipales de mai 1935. Elle fait face à une liste de droite, à une liste socialiste SFIO et à une liste communiste.
Le groupement des gauches républicaines met en avant son bilan, revendiquant d’importants travaux d’amélioration et d’embellissement, dont l’installation d’un éclairage public, qui justifient l’augmentation des impôts, également liée à l’aggravation des charges imposées à la commune (contingent, chômage, moins-values sur les recettes). Leur programme s’oppose à celui de la liste de droite, soulignant qu’une « réduction d’impôts, au demeurant assez modeste, ne serait possible que par le retour à la politique du moindre effort ». La liste préconise de faire pression auprès des pouvoirs publics pour la réalisation des grands travaux d’outillage national (élargissement du pont de Joinville, suppression du passage à niveau) et veut réaliser des cours de natation d’aviron gratuits pour les élèves.
Au premier tour, la liste radicale arrive en seconde position, distancée par l’Union républicaine (droite). Moutardier obtient le meilleur score parmi ses colistiers, avec 807 voix pour 2 856 suffrages exprimés (28,3%) sur 2 923 votants et 3 433 inscrits. Au second tour, après la fusion des listes communiste et socialiste, la liste radicale échoue. Recueillant 646 voix pour 2 899 suffrages exprimés (22,3%) et 2 924 votants, Moutardier est une nouvelle fois très nettement devant les autres candidats radicaux-socialistes. La liste de droite obtient 25 sièges, complétée par deux élus communistes et Émile Lesestre est élu maire.
Refusant de suivre la majorité des radicaux-socialistes, Moutardier prend part à la création à Joinville, le 11 mars 1936, d’un Comité de conciliation républicaine et de progrès social pour le travail et la paix qui soutient la candidature d’Adolphe Chéron, radical dissident, contre un candidat radical-socialiste officiel, Gabriel Vélard. L’ancien maire, Georges Briolay, et une grande partie du comité radical soutiennent également Chéron, comme Herluison, ancien président du comité radical-socialiste de Joinville. Chéron est battu par le communiste André Parsal.
Depuis son installation à Joinville, Moutardier a exercé des responsabilités dans plusieurs associations locales. En septembre 1929, il devient président de la société de pêche Le Gardon de Joinville. Il est administrateur de la Société de secours mutuels des sapeurs-pompiers en 1933 et le reste en 1938. Moutardier exerce la même fonction au sein de la caisse des écoles en 1935.
La Chorale de Joinville est fondée en novembre 1930 par Moutardier, qui la préside, compte 30 participants à son démarrage, 40 un an plus tard et 50 l’année suivante. Elle s’appuie sur les directeurs d’écoles, notamment sur Demeester de l’école de garçons du Centre, qui la dirige. Moutardier préside toujours la chorale en 1938.
Le quotidien d’extrême-droite La Libre Parole, mentionnait, en mai 1912, l’appartenance de Moutardier à la franc-maçonnerie, signalant qu’il était membre de la loge lsis-Montyon, affiliée au Grand-Orient de France.
Décoré des Palmes académiques, en tant qu’officier d’académie en août 1913 puis officier de l’instruction publique en juin 1923, Moutardier avait également reçu une mention honorable pour son rôle dans la société de secours mutuels des sapeurs-pompiers en 1936.
Joseph Marie Moutardier meurt le 12 avril 1958 à Créteil (Seine, act. Val-de-Marne). Il était âgé de 80 ans et avait eu un enfant de chacun de ses deux mariages.
À côté de ses travaux d’écrivain, l'abbé Moreau ne négligeait pas les contacts avec la presse ni même les grands évènements intellectuels, si ce n’est mondains. Ainsi, en décembre 1895, il participe à la réception à l’Académie française de l’historien critique d'art et critique littéraire Henry Houssaye (1848-1911). Un mois plus tard, il est de nouveau à l’Académie française qui reçoit cette fois l’écrivain et critique dramatique Jules Lemaître (1853-1914).
Les talents de parole de Georges Moreau sont appréciés ; il est mobilisé pour le carême en 1895 à l’église Saint-Vincent-de-Paul ou pour Pâques en 1896 à Saint-Laurent. Le 4 mars 1895, le quotidien Le Matin commente ainsi : « L'abbé Moreau est encore un prédicateur de second plan, quoique, à tous les égards, il devrait être au premier plan. Il écrit beaucoup et bien, il parle mieux encore. Ses confrères l'ont depuis longtemps rangé parmi les épiscopables. On l'a trouvé autrefois trop libéral, on le trouve aujourd'hui trop ultramontain. Interrogé, il répond simplement : Je suis prêtre et rien que prêtre. »
C’est l'abbé Moreau que va rencontrer Le Matin quand il veut, en août 1892, avoir des commentaires sur une bien curieuse aventure de presse : l’interview du pape Léon XIII par l’écrivaine libertaire et féministe Séverine (alias Caroline Rémy, 1855-1929), parue dans Le Figaro le 4 août 1892. La présence de la suffragette et amie de Jules Vallès dans le quotidien conservateur est déjà surprenante ; le thème de son entretien aussi : l'antisémitisme.
Séverine, interrogeant le pape sur la guerre de races s’entendait répondre : « - Quelles races? Toutes sont issues d'Adam, que créa Dieu. Que les individus, suivant les latitudes, aient un teint différent, un aspect dissemblable, qu'importe cela, puisque leurs âmes sont de même essence, pétries du même rayon ? »
Et quand elle demande ce qu’il pense des « grands Juifs », sous-entendu ceux qui ont de l’argent, Léon XIII lui expliquait : « Je suis avec les petits, les humbles, les dépossédés, ceux que Notre-Seigneur aima. »
Georges Moreau affiche également son refus de l’antisémitisme, parfois avec des arguments tordant quelque peu ce que nous connaissons aujourd’hui de la réalité historique. Il classe Léon XIII dans « la lignée des grands papes », assurant que « L'Église, par l'organe des papes, n'a pas cessé de couvrir de son égide les juifs traqués et pourchassés. »
Confirmant ses opinions républicaines, Moreau n’hésite pas à invoquer le témoignage de l’abbé Grégoire, prêtre constitutionnel, parlant au nom des juifs à la barre de l'Assemblée nationale : « Les États du pape furent toujours leur paradis terrestre (…) tandis que l'Europe les massacrait. »
Le dernier livre imprimé connu de Georges Moreau est un discours qu’il tient, à Compiègne 17 juillet 1894 pour le centenaire de la mort sous l’échafaud de seize carmélites de la ville.
Il va mener un combat, en 1895, au nom de l’orthodoxie de la pensée catholique, qui lui vaudra pas mal de critiques. Recevant chez lui, à l’automne 1895, un journaliste du Matin, il parle du projet de congrès universel des religions, projeté pour 1900 à Paris et qui se tiendra finalement en Suisse. Il se dit « séduit » par l’idée de voir ensemble « toutes les sectes protestantes, juives, orientales ou autres », qu'on y invite « les musulmans et les païens, les pasteurs, les rabbins, les popes, les muphtis et les bonzes ». Mais il est catégorique : « Seule, la religion catholique n'y a pas de place, cette place fût-elle la place d'honneur. »
Son argument est définitif : « La tolérance, en matière de dogme, est une hérésie. L'église catholique (…) n'a rien à apprendre, rien à recueillir d'aucune secte ». Il veut donc se tenir à l’écart de cette « foire aux religions. »
Le quotidien culturel Gil-Blas, d’habitude mieux disposé à son égard, verra dans l’attitude de l'abbé Moreau celle d’un prêtre « encore moyen-âge ». Le littérateur spiritualiste et futur sénateur radical-socialiste de la Guadeloupe, Henry Bérenger (1867-1952), voit dans les propos de Moreau « la démonstration qu'aucune œuvre intellectuelle ou sociale ne peut-être entreprise avec le concours d'une Église qui se déclare elle-même intolérante, exclusive et dépositaire de la seule vérité ». Il en tire la conclusion que « Étant allés au clergé sans parti-pris, nous en sommes revenus nettement anticléricaux. C'est là un progrès négatif, mais c'est tout de même un progrès. »
En juillet 1896, Moreau retrouve une aumônerie, celle des religieuses du Très-Saint-Sauveur de la rue Bizet à Paris. Il cesse d’écrire pour les Annales catholiques.
L’abbé Georges Pierre Moreau meurt le 22 juillet 1897 à Marquette-lez-Lille (Nord). Il résidait route d’Ypres mais sa domiciliation restait toujours à Paris. La déclaration de sa mort est faite par des voisins qui ne savent pas signer. La raison de son séjour n’est pas connue. Les obsèques de l'abbé Moreau sont célébrées à l’église Saint-François-Xavier de Paris. Georges Moreau était âgé de 54 ans.
Après L'Hypnotisme, dernier livre important qu’il édite en 1891, Georges Moreau ne cesse pas d’écrire. Au contraire, il va produire une grande quantité d’articles, dont au moins 104 sont inclus, sous sa signature, dans l’austère revue religieuse hebdomadaire Annales catholiques, dirigée par Paul Chantrel (1853-1928).
La revue avait déjà accueilli, en 1885, la Lettre au journal le Monde dans laquelle l’abbé Moreau affirmait sa stricte obéissance envers la doctrine catholique.
Les textes de Georges Moreau portent sur des questions morales, sociales, théologiques et doctrinales. On y trouve des essais importants et des comptes-rendus de lectures plus brefs. Le total fait plus de 770 pages. Pendant quatre années, entre 1891 et 1894, les textes de l’abbé Moreau sont présents dans environ un numéro sur deux. Le premier texte était publié en juin 1890, le dernier datant de février 1896.
La finalité exacte de ces articles n’est pas connue. Peut-être s’agit-il de supports d’enseignement ayant servi par exemple pour l’école des Carmes, la préfiguration de l’Institut catholique, futur établissement universitaire de l’Église à Paris. Une partie des textes reprennent des extraits de ses propres publications (L'hypnotisme en 1890-1891, Les carmélites de Compiègne en 1894) ou des discours qu’il a prononcés.
Parmi les plus importantes contributions, on peut mentionner les travaux suivants. En 1891 et 1892, dix articles abordent Le progrès matériel et l'esprit chrétien, treize prolongent l’examen sur L'Église et la question sociale qui se conclut par un texte de 1893 sur La question ouvrière. Dans ces textes, l’abbé Moreau s’intéresse au syndicalisme mais également aux questions politiques autour du socialisme.
La question des relations entre l’Église et les États est aussi une préoccupation majeure pour Moreau en 1892-183. Quatre articles traitent de L'Église et l’État en France, deux des Rapports de l'Église et de l’État en Angleterre, de nouveau quatre des Rapports de l'Église et de l’État aux premiers siècles et encore deux des Rapports de l'Église et de l’État sous les mérovingiens, sans oublier deux textes qui clôturent la série sur les Tentatives de résistance contre l'Église au 3e siècle.
Les commentaires des textes bibliques se répartissent sur toute l’œuvre. En 1891, sept articles parlent de Jésus-Christ d’après l’évangile ; une Étude du Nouveau Testament vient en 1893 avec quatre textes ; en 1895 il rend compte en deux articles d’un livre du RP MJ Ollivier sur Les amitiés de Jésus.
Plusieurs autres séries se consacrent à des questions historiques, comme Les évêques pendant la Révolution (trois articles en 1894), les Martyrs de la papauté (huit articles en 1894) ou La faculté de théologie de Paris (trois articles en 1894, 1895 et 1896).
Les textes de Georges Moreau explorent peu la question des autres religions et philosophies, mais il en consacre cependant en 1893 deux au judaïsme (la religion mosaïque) et un à Platon.
Les commentaires sur les documents issus du Saint-Siège, très présents dans les Annales catholiques, sont moins fréquents sous la plume de Moreau, mais on trouve cependant en 1891 trois Études de la bulle Apostolicae sedis, et un article en 1893, Le pape et son infaillibilité.
La morale est à l’origine d’une grande part des travaux de l’abbé Moreau à partir de 1893 : De l’empire sur les passions (deux articles), Des conditions de l’acte moralement mauvais, De la conscience téméraire, De la haine d’abomination.
Les questions liturgiques sont également fort présentes : le Culte des saints (deux articles en 1891), Règles liturgiques concernant le culte des saintes reliques et des saintes images (1893), De la prédication (1893), Le livre de paroisse (1893), Le secret sacramentel (deux articles en 1894).
Quelques textes traitent du personnel ecclésiastique : La vocation à l’apostolat (1893), Le corps épiscopal (1893), Le prêtre exemple des fidèles (deux articles en 1894), Un traitement extraordinaire des curés, desservants et vicaires (1893), Le prêtre est l’homme de Dieu (1893).
Trois articles sont consacrés à des thèmes actuels : les deux premiers sont, en 1890, un reportage de Huit jours à la Grande Trappe de Soligny, décrivant les réactions des habitants face à l’expulsion des moines. En 1895, Moreau donne son opinion sur Le congrès universel des religions, planifié en Suisse pour 1900.
Enfin, on remarque en 1895.un commentaire de la soutenance d’une thèse à la Sorbonne par l’abbé Urbain, une critique du livre de l’abbé Picard À la recherche d’une religion civile et trois articles consacrés au cardinal Perraud
L’ampleur de la production de Georges Moreau, avec ses livres et ses articles, montre qu’il consacrait une grande partie de son temps à son travail d’essayiste et de théoricien, et sans doute que ce qu’il écrivait avait une certaine autorité. L’évolution des thèmes traités montre un personnage d’abord très ancré dans son temps, et même dans l’actualité politique (les expulsions de religieux, le budget des cultes), attentif aux questions sociales (les prisons, la vie économique, la condition des travailleurs), disposant d’une culture juridique étendue (les relations Église-État) et d’une base scientifique (l’hypnose). La théologie, si elle n’est pas absente, est loin d’être la matière principale. Mais les dernières années des publications connues témoignent d’un glissement vers des thèmes plus historiques que contemporains et par une part accrue des questions morales ou liturgiques.
À une époque où le radicalisme prend le pouvoir en France, l’abbé Moreau, républicain affirmé, a contribué, en rédigeant le Monde des Prisons, à fissurer une tradition qui, derrière des règlements de façade, autorisait l’arbitraire et la concussion dans la vie des établissements pénitenciers. Ce ne fut pas sans résistances.
Dans le Journal des débats du 8 février 1887, signé H.A., une chronique sur le Monde des Prisons s’en prend à son style. Le rédacteur estime que, sur les 375 pages du livre, « 100 au moins appartiennent en propre à Victor Hugo, il est déjà pour moitié dans la préface, 25 à Lacenaire, 50 à Eugène Sue, et 150 à divers détenus qui ne s'attendaient pas à voir leur prose appelée à cet honneur. » Sur le fond, il estime « qu'il n'y a de nouveau dans le travail de l'abbé Moreau que les accusations personnelles produites par un ancien fonctionnaire malheureux. »
Mais le choc dans l’opinion est cependant net. Ainsi, c’est en se fondant sur le Monde des Prisons que le pasteur Hirsch organise de nouveau une conférence en février 1887, après celle qu’il avait consacrée à la peine de mort en s’appuyant sur les précédents Souvenirs de la Roquette en 1885.
L’ancien communard et futur président du conseil de Paris, Louis Lucipia (1843-1904) rédige un billet pour le quotidien Le Radical, qui paraît en Une le 5 mars 1887. Commentant les articles de certains de ses confrères, il note que « les gens ayant licence pour défendre l'administration poussèrent des cris d'indignation, cris provoqués beaucoup moins par les ignominies révélées que par la révélation elle-même ». Il réfute l’argument des accusations portées contre Georges Moreau : « Par malheur, c'est un argument bien vieux, bien usé, que de dire à un monsieur : Vous en êtes un autre. »
Pour l’ex-condamné à mort, gracié et déporté en Nouvelle-Calédonie, « l'administration, dont la face s'empourprait qu'on osât l'accuser, qui jurait ses grands dieux que c'était pure calomnie, et qui menaçait de ses foudres les calomniateurs — après enquête publique — n'insistera pas outre mesure. Elle sera fort heureuse et fort aise si, de lenteurs calculées en atermoiements voulus, elle arrive à détourner l'attention. »
L’année suivante, le quotidien de gauche La Lanterne revient sur le Monde des Prisons : « On avait parlé de poursuites contre le livre : l'administration s'est contentée de les annoncer ; prudemment elle n'a pas mis ses menaces à exécution. Elle a bien fait, à son point de vue ; car si l'auteur eût pu être condamné par le tribunal, l'administration eût été condamnée à coup sûr par l'opinion publique. »
L’écrivain Félicien Champsaur (1858-1934), publie une chronique dans l'Événement dans laquelle il répond à l’abbé Moreau qui l’interrogeait : « Quelqu'un m'assure que c'est une règle à l'Événement de ne jamais présenter au public un livre composé par un prêtre ». Il apprécie le « zèle pour les misérables » de Moreau et le félicite : « C'est une leçon que vous, prêtre, donnez à la divinité en pardonnant même au mauvais larron. »
L’ouvrage, plus encore que les Souvenirs de la Roquette, va faire l’objet de très fréquentes citations dans les textes, revues et livres consacrées à la politique pénitentiaire ou à la peine de mort. C’est la base d’une thèse de Georges Bessière, publiée en 1898, sur La Loi pénale et les délinquants d'habitude incorrigibles.
Le Monde des prisons était paru à la Librairie illustrée, à Paris, en 1887. Il a été réédité en 2015 par Hachette Livre et la BNF. Il est également disponible en téléchargement sur le site Gallica (Le Monde des prisons).
Charles Émile Cornu naît le 1er mai 1860 à Paris (20e arr.). Il est le fils de Louise Léonie Lecourbe, plumassière, et de son mari, Louis Auguste Émile Cornu, sculpteur.
Comme son père, Charles Cornu va être sculpteur, résidant dans l’Est parisien (rue de Belleville puis rue Oberkampf), épousant en août 1888 à Paris (3e arr.) Louise Augustine Labiche, institutrice. En 1892, il a obtenu le deuxième prix du concours de la Réunion des fabricants de bronze à Paris pour une Tête de faunesse. Il est principalement ornemaniste et s’installe à Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne). Il y réside en 1916 dans le quartier de Palissy, avenue Gille, une voie nommée d’après un autre sculpteur céramiste, Jean Marie Gille (1798-1868). Son fils Émile Auguste Cornu vit avec lui.
En juin 1930 Charles Cornu participe à une souscription en faveur des victimes des inondations du Midi.
Les sources existantes ne permettent pas de savoir si c’est lui – qui a 69 ans – ou son fils, alors âgé de 39 ans, qui est candidat sur la liste de concentration républicaine, de tendance conservatrice, conduite par le maire sortant, Stephen Durande. Devancée dès le premier tour par le Cartel des gauches (radicaux-socialistes, socialistes SFIO et socialistes indépendants) qui obtient 42,8% des suffrages exprimés, la liste de droite a 38,8% tandis que les communistes se situent à 18,4%. Au second tour, les communistes reculent à 12,5%, la concentration républicaine gagne 5 élus avec 41,6% des votes, les gauches en ayant 22 avec 45,9%. Cornu, qui n’est pas élu, avait recueilli au premier tour 877 voix pour 2126 exprimées (41,2%) sur 2969 inscrits.
En novembre 1932 Cornu est membre du Comité d’union républicaine et d’action sociale, dont Émile Lecuirot devient président, et qui rassemble la plupart des tendances de la droite et du centre-droit dans la ville. Il participe en février 1935 à la transformation du comité en Union des républicains, groupement à la vocation uniquement municipale. Cornu en est nommé archiviste. La nouvelle union va progressivement se situer plus à droite, rompant en avril 1935 l’union précédemment établie avec les radicaux-socialistes, à cause, selon elle « des fusillades du 6 février, des scandales Stavisky et autres dans lesquels figurent des députés, des magistrats, d’anciens ministres, tous radicaux et maçons. »
Toujours au nom de de l’Union des républicains, présidée par René Kirbühler, Cornu signe à la même date, un Appel à la séparation de l’administration municipale et de la politique, qui réclame la diminution des charges écrasantes, l’atténuation des dépenses publiques, la simplification des rouages administratifs et l’application des lois sociales.
On retrouve en mars 1936 Cornu en tant que membre d’un Comité de conciliation républicaine et de progrès social pour le travail et la paix qui soutient la candidature d’Adolphe Chéron, député radical indépendant et ancien ministre, pour les élections législatives ; il sera battu par le communiste André Parsal.
En mars 1938, Cornu fait partie des 12 électeurs sénatoriaux, tous de droite, délégués par le conseil municipal.
Charles Émile Cornu meurt le 12 janvier 1941. Il était âgé de 80 ans. Son décès est transcrit sur l’état-civil de Joinville-le-Pont.