Henriette Le Dieu est la fille d’un capitaine des zouaves pontificaux. Son père, Henry Le Dieu, naît en Écosse, où sa famille avait émigré pendant la Révolution française. Il défend lui aussi des opinions royalistes légitimistes, se mettant au service du comte de Chambord, Henri, prétendant au trône et petit-fils de Charles X. Il combat pour défendre les États pontificaux contre les partisans de l’unité italienne. Battu par les piémontais à Castelfidardo (1860), il participe à la bataille de Mentana (1867) qui voit les Chemises rouges de Giuseppe Garibaldi échouer dans leur tentative pour libérer Rome et en faire la capitale de l’Italie en cours d’unification. Sa mère, d’origine germano-italienne, Isabelle Kormann, aura sept enfants ; elle vivra avec elle pendant et après la première guerre mondiale.
Henriette épouse à Arras, en janvier 1898, un journaliste catholique, Arthur Martin, qui dirigeait un journal républicain de droite, Le Courrier du Pas-de-Calais. Arthur, né en 1855, était veuf, et Henriette poursuit avec lui l’éducation de leurs deux enfants, Henri et Albert. Elle lui donne deux filles, Lucie (1898) et Marietta (1902), avant qu’il ne meure d’apoplexie en 1907.
La vie de la jeune veuve va prendre un tour complètement différent du cadre bourgeois dans lequel elle s’était coulée. Elle liquide très vite la grande demeure familiale, prend un appartement et travaille comme professeur de piano à l’institution Jeanne d’Arc de la préfecture du Pas-de-Calais.
La guerre en 1914 va à nouveau bouleverser la famille ; Henri, le fils aîné d’Arthur, médecin, est mort en 1913 ; le cadet, Albert, juriste, décède des suites d’une maladie contractée pendant le conflit. Les quatre femmes sont forcées de fuir, la grand-mère Isabelle rejoint un couvent anglais à Bloxwich en compagnie de Marietta ; Henriette s’installe à Paris avec Lucie où elle devient responsable de la maison d’éducation pour jeunes filles du lycée Molière, dans le quartier de Passy (16e arrondissement).
Lucie va, après avoir travaillé à la Société des Nations à Genève, s’installer en Pologne avec son époux, Adam Rosé, économiste et futur ministre.
Marietta, de retour d’Angleterre, va s’installer dans la maison aménagée au sein du parc du lycée, et aura, pendant toute son existence, une relation extraordinaire avec sa mère. Intellectuelle brillante, polyglotte, Marietta est de santé fragile ; elle passera trois ans en sanatorium. Dès le début de la seconde guerre mondiale, elle s’engage dans la résistance et en meurt.
La vie d’Henriette est marquée par l’activité multiforme de sa fille cadette. Elle l’aide à mettre en forme ses ouvrages, négocie avec les éditeurs. Elle répond à ses courriers quotidiens pendant ses nombreux voyages à l’étranger, en particulier pendant son séjour de trois ans en sanatorium en Suisse. Elle assure également les ressources de la famille, par son travail au lycée et par les investissements immobiliers qu’elle s’efforce de faire dans un quartier en voie d’urbanisation.
L’arrestation de sa fille dans sa propre maison, par les forces allemandes, le 8 février 1942, va marquer une nouvelle étape tragique dans son existence. Henriette multipliera les démarches pour tenter de soulager sa fille, souffrante, pour essayer – sans guère de succès – de correspondre avec elle puis, après sa disparition, pour entretenir son souvenir et diffuser son œuvre.
Marietta Martin s’est engagée avec le réseau de résistance Hector, lié au mouvement Combat. Elle était une des animatrices du journal clandestin La France continue, un organe d’inspiration chrétienne et d’orientation gaulliste, lancé par le diplomate Paul Petit auquel elle s’associe dans l’action. La chambre de Marietta est devenue la salle de rédaction de ce journal, un des premiers vrais organes de presse clandestin. C’est sa mère qui cache les exemplaires du dernier numéro paru, au moment de son arrestation, avant de les détruire.
Après guerre, Henriette Martin Le Dieu publiera des souvenirs sur Marietta. Dans Ici Paris, l’hebdomadaire qui a pris la suite de La France continue avant de devenir peu après un magazine people, elle donne en juillet 1945 des articles alors qu’elle n’a pas reçu de nouvelles du sort de la résistante. Fin 1945, informée de sa mort tragique après sa condamnation par un tribunal allemand, elle publie un livre, Marietta Martin, morte au champ d’honneur.
La mère cherchera, en vain, à retrouver les écrits de Marietta pendant sa captivité ou ceux qui ont été saisis dans sa chambre. Elle parviendra cependant à faire publier certains ouvrages de sa fille, écrits avant le conflit, Adieu temps (1947) et les Lettres de Leysin (1948).
Sa fille aînée, Lucie Adam-Rosé, évoque la vie de sa mère dans la biographie qu’elle publie en 1955, La vie de Marietta Martin.
Le poète Fernand Gregh évoquait Marietta comme « un ange qui aurait pris une plume de ses ailes » pour écrire.
À lire :
· Henriette Martin-Le Dieu : Marietta Martin, morte au champ d’honneur, A. Taffin-Lefort, Paris-Lille, 1945.
· Lucie Adam-Rosé : La vie de Marietta Martin, La Colombe, Paris, 1955.
Henriette avec Marietta et Lucie (à droite), photo M. Zuccato.