En mars 1851, Jean Dallé est jugé par la cour d’assises de la Seine, qui siège à Paris, pour avoir proféré des « cris séditieux ». Sur les neuf journaux qui rendent compte en détail de l’affaire, six la placent à Joinville-le-Pont (Seine, act. Val-de-Marne) tandis que trois (venant du même rédacteur) mentionnent Saint-Germain-d'Aunay. Cette dernière commune se situe dans l’Orne, ce qui rendrait illogique que l’affaire soit jugée à Paris ; par ailleurs, elle est de petite taille et rurale, et la description des faits paraît peu en rapport avec le village. Enfin, sur les deux témoins mentionnés, au moins un porte un patronyme connu à Joinville à cette époque. Parmi les journaux mentionnant Joinville, trois ont une réputation de sérieux assez grande : L'Intransigeant, Le Droit et Le Constitutionnel. Il est également établi que, sous la deuxième République, il a existé à Joinville plusieurs personnes d’opinions révolutionnaires.
La presse donne systématiquement le nom de Dallé (parfois écrit Dalle, et une fois Dallée) et plusieurs donnent le prénom de Jean, un titre indiquant qu’il se prénommerait Jean Théodore. Tous lui donnent l’âge de vingt-huit ans (ce qui fait qu’il serait né vers 1823) et indiquent qu’il était journalier.
Il n’a pas été possible d’identifier un dénommé « Jean Théodore Dalle » dans les sources d’état-civil ou généalogiques ni de trouver un Dallé domicilié à Joinville au milieu du 19e siècle.
La description des faits dans les journaux est la suivante. L’affaire est inscrite au rôle de Cour d'assises du département de la Seine, présidé par le conseiller Barbou. M. Mongis est avocat général et Me Paul Mangin de Bionval défend l’accusé. Les deux chefs d’accusation sont d’avoir « 1° Par des discours tenus publiquement, cherché à troubler la paix publique, en excitant la haine ou le mépris des citoyens les uns contre les autres ; 2° Proféré des cris séditieux. »
Les cris en question ont eu lieu, selon l’acte d’accusation, à trois reprises. Fin décembre 1850, Dallé s’adresse à des soldats passant sur la grand-route : « Vous êtes des bons enfants ; mais vos officiers sont des aristos. Pour ceux-ci, nous aurons, en 1852, des fusils, et nous prendrons notre revanche. »
Le deuxième acte se passe le 3 janvier 1851. Dallé s’écrie : « Vive la guillotine ! à bas les aristos ! les aristos à la lanterne ! les gens riches à la guillotine ! Les aristos pendus ! ». Sur les remontrances de M. Dufaure, il rétorque que « ce serait devant sa maison qu'on dresserait la guillotine, pour qu'il y passe le premier. »
Enfin, le 14 janvier de la même année, il assure « Que la guillotine allait être montée et permanente » et, renouvelant une adresse à M. Lemaire, qu’il aurait déjà faite en 1850, déclame « Qu'on lui couperait le cou comme aristo. »
Interrogé par le président, Dallé a déclaré qu'il ne se souvenait de rien, parce qu'il était alors entièrement ivre. Il a ajouté qu'il avait un profond regret de ce qu'il pouvait avoir dit, et qu'il était incapable de faire du mal à qui que ce fût.
Les témoins ont donné les meilleurs renseignements sur la conduite habituelle de Jean Dallé ; c'est, ont-ils dit, un bon travailleur, un homme d'un caractère fort doux : il n'a qu'un défaut, c'est celui de s'enivrer souvent.
M. Mongis, avocat général, a soutenu l’accusation, mais sans vouloir donner à cette affaire plus d’importance qu'elle n’en comportait selon lui, et a admis par avance qu’on puisse trouver des circonstances atténuantes. C’est ce que fit le jury, après une courte délibération ; puis la Cour l’a condamné à dix jours de prison « seulement », selon l’opinion des journaux.
Dallé s’était présenté au tribunal revêtu d’une blouse bleue, les cheveux d’un blond pâle et tombant en mèches plates, parfaitement à jeun.
Un ouvrier aux cheveux blonds jugé en 1851 (image ChatGPT)
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