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9 août 2018 4 09 /08 /août /2018 01:01

Suite de la biographie de Théophile Covin

Au milieu des années 20, la grande affaire secouant la paroisse de Vitry-sur-Seine va être celle de l’affiche « À l’ombre de la croix ». Apposée sur certains murs de la ville fin mai 1923, elle accuse le curé Théophile Covin d’avoir une maîtresse. Nous reproduisons ci-dessous le texte de l’affiche tel que le quotidien communiste L’Humanité l’a publié en janvier 1926.

À l’ombre de la croix

Au n° 77 de l'avenue Dubois, se trouve un immeuble confortable, paraît-il, surtout vers le troisième étage, C'est là qu'habite une dame G. née A. veuve inconsolable qui, chaque dimanche, va à la messe, sans parler de la semaine.

Dans le même immeuble habile le curé Covin, face pudibonde et bien portant, qui, se prenant sans doute pour l'ange Gabriel, venait, la nuit, consoler ladite dame et lui parler de Jésus.

Il avait totalement oublié le commandement où Dieu dit « L'œuvre de chair tu ne feras qu'en mariage seulement. »

Tout se serait bien passé, si le fils de la veuve, d'une entrée brusque et inattendue, n'eut trouvé le ministre de Dieu en costume d'Adam, mordant à la pomme d'Ève, et ne s'était avisé de lancer par la fenêtre soutane et pantalon.

Puisque le chef de l'Église de Vitry ne respecte même plus les sentiments d'un fils pour sa mère, continuerez-vous plus longtemps, bons pères de famille, à lui envoyer vos femmes et vos filles ? Si cet exemple ne vous suffit pas et que vous vouliez être « chefs de gare », c'est que vous l'aurez bien voulu.

Un Chrétien.

L’affiche avait été polycopiée dans une salle du café de l'Angélus. Sur plainte de l’abbé Covin, une enquête fut ouverte. La police porta d’abord ses soupçons sur les francs-maçons, supposés être ennemis du curé. C’est finalement un petit journal communiste de Choisy-le-Roi, Germinal, qui avait reproduit l'affiche accompagnée d'un commentaire qui fut condamné pour diffamation le 13 décembre 1923 par la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine, aux sommes conséquentes de 200 francs d'amende et 2 000 francs de dommages-intérêts.

Cependant, après cette décision de justice, un vicaire de Vitry, l'abbé Gautier, toujours selon L’Humanité, « tint des propos fort irrespectueux pour son supérieur chez une paroissienne qui l'avait invité à sa table ». Décidément bien informé, le journal de gauche explique qu’ensuite « cette brave dévote s'en alla trouver le curé pour lui confier les étranges paroles du vicaire. Le curé, rouge de colère, s'écria : - C'est lui, le misérable, qui a rédigé l'affiche ! Ah, j'aurais dû m'en douter ! »

Le tribunal diocésain, l'officialité de Paris, fut saisi. Six religieux, experts en écriture, assurèrent que l’écriture reproduite sur l’affiche était celle du vicaire et la justice ecclésiastique conclut à la culpabilité de l'abbé Gautier. Il fit appel et tenta de faire citer un marchand forain, M. Chéron, qu’une tenancière de café croyait être l’auteur du libelle. Mais Chéron, qui était également trésorier du comité intersyndical de Vitry refusa de comparaître devant le tribunal d’appel de l'officialité de Versailles, malgré la promesse d’un défraiement. Définitivement condamné devant la cour catholique en novembre 1925, l'abbé Gautier fut frappé d'interdiction d’exercice de sa fonction.

Mais, banni par la justice religieuse française, Gautier indiquait vouloir en appeler à la cour de Rome et, en attendant, tenta sa chance devant la justice civile, en la personne du juge de paix d’Ivry-sur-Seine (Seine, act. Val-de-Marne). L'audience avait attiré à la justice de paix d'Ivry une affluence nombreuse le 13 janvier 1926, plus de deux cents curieux n'ayant pu, selon  L’Humanité, trouver place dans le tribunal. Gautier accuse Chéron d’avoir imité son écriture et d’être le véritable scripteur de l’affiche. Si Mme Daviot, la cafetière, soutient l’abbé Gautier, plusieurs témoins, notamment communistes, dédouanent au contraire Chéron.

C’est le cas également du curé Covin qui transmet une lettre : «. Je vous écris, bien que nous soyons séparés par nos croyances religieuses comme par nos opinions politiques. Mais on me dit que vous êtes accusé d'avoir écrit, il y a deux ans et demi, un placard anonyme qui m'a injurié et diffamé publiquement. Or, je sais que ce n'est pas vous qui avez écrit cette affiche et je vous autorise à dire partout que je sais que ce n'est pas vous. C'est que j'en connais l'auteur et que je l'ai fait punir comme il méritait de l'être. Ce sont des experts qui l'ont découvert. On me dit qu'une femme Daviot (ancienne veuve Martin, de la place de l'Église) voudrait soutenir celui qui vous accuse. Cette personne a déclaré, le 3 juillet 1923, à un inspecteur de la police qu'elle ne savait rien. Si elle ne savait rien cinq semaines après l'affaire, comment peut-elle dire qu'elle sait maintenant quelque chose ? Je le répète, moi qui ai été victime de cette abominable affaire, je suis sûr que ce n'est pas vous qui avez écrit le texte qu'on a copié. »

On rit souvent dans cette audience, où le juge a quelques difficultés à maintenir le calme. Chéron, affirmant son innocence, considère, d’après L’Humanité, que « si le curé a aimé une de ses paroissiennes, il a bien fait. »

Me Barquissau, défenseur de Chéron, s’en prend aux tribunaux ecclésiastiques. Il s'étonne qu'au XXe siècle un tribunal ecclésiastique ose déclarer, en des attendus rédigés en latin, que les témoignages d'ouvriers, spécialement communistes ou anarchistes sont sans valeur, ajoutant que « la profession d'ouvrier n'est pas de celles qui élèvent les cœurs et anoblissent les caractères ». Lucien Barquissau était président de la Fraternelle rationaliste et membre du conseil juridique de l'Union fédérative de la libre-pensée.

Dans un arrêt, présenté comme très documenté par L’Humanité, le juge de paix débouta l'abbé Gautier de son instance et le condamna pour abus de citation et campagnes diffamatoires à 300 francs de dommages et intérêts envers M. Chéron ainsi qu’aux dépens. «... Si nous n'avons pas, sous le régime de la loi de séparation des églises et de l'État, à nous occuper de la validité des décisions ecclésiastiques, par contre, nous devons rechercher la vérité dans une affaire injurieuse ». Il rappela que des rois de France, Charles V en 1371 puis François 1er en 1539 avaient considérablement réduit le champ des officialités, avant qu’elles ne soient abolies par l'Assemblée constituante le 11 septembre 1790. Le juge considérait qu'il n'y avait pas lieu d'accueillir les décisions prises, mais il en tint compte à titre de simples renseignements, pour arriver à faire toute la lumière. Or, il assura que la preuve de la responsabilité de Chéron n'avait pas été administrée.

A suivre

L'abbé Gautier et Chéron, Le Journal, 1926

 

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