Suite de la biographie de Georges Moreau
Si la presse conservatrice se déchaine contre l'abbé Moreau et son Monde des prisons, il a cependant des défenseurs. Ainsi, le président du conseil (premier ministre) René Goblet, radical-socialiste, évoque son livre à l’occasion d’une réunion du conseil supérieur des prisons, le 1er février 1887, en assurant que « l'administration ne peut que se féliciter de toute occasion qui s'offre de provoquer l'examen d'hommes compétents et de faire la lumière »
Le quotidien de gauche Le Rappel s’intéresse à l’hostilité de Moreau envers peine de mort. « Personne, excepté le bourreau, ne l'a vue de plus près. Personne donc n'est plus à même de s'en faire une idée nette. Il a conduit les condamnés à l'échafaud. Il les a vus à l'heure suprême, au moment où les masques tombent, où l'âme apparaît toute nue. Il est descendu, par la confession, dans les profondeurs du crime. Il n'ignore aucun des replis hideux de la scélératesse. Et sa conclusion est que la peine de mort est atroce, monstrueuse, inadmissible. Et, lui qui a le dernier mot des condamnés, il est pour qu'on les laisse vivre. Quel argument contre le meurtre légal ! »
Mais le quotidien, anticlérical, se réjouit des attaques proférées contre l’abbé, sans même les discuter : « C'est un joli monsieur cet aumônier qui a accusé les autres des méfaits qu'il a commis. Encore un abbé qui fait honneur au clergé. »
Le Temps, organe des milieux d’affaires, prend en considération des arguments de Moreau au sujet en reproduisant une citation qu’il attribue au poète, escroc et criminel Pierre François Lacenaire (1803-1836) : « Le nombre effrayant des récidives ne provient que des vices du système pénitentiaire français. Les bagnes et les maisons de réclusion, qui revomissent périodiquement dans la société l'écume des malfaiteurs, sont les gouffres de démoralisation où se prépare et se distille le poison qui corrompt jusqu'au cœur du détenu et le rejette, au sortir d'une condamnation correctionnelle sur les bancs de la cour d'assises ». Le journal, reprend aussi des commentaires de l’abbé concernant les directeurs de prison : « À côté de braves gens sans éducation, sans instruction, on trouve trop d'ivrognes, trop de grossiers personnages, trop de vieux caporaux à trois brisques qui croient qu'on leur parle volapük quand on les entretient de relever le moral des détenus. »
Le même quotidien fait place aux dénégations du directeur mis en cause. Il assure que la « nourriture est à la fois suffisante et saine, et que les détenus n'ont jamais élevé aucune plainte à cet égard ». Quant aux surveillants, il assure que les reproches qu'on leur adresse ne sont point mérités.
Le Gaulois, quotidien à vocation culturelle, rapporte, le 5 février 1887, l’entretien qu’ont eus l'abbé Moreau et le préfet Arthur Gragnon. Il assure qu’il fut cordial, que le fonctionnaire a démenti avoir jamais songé à faire saisir son livre. Le journal rapporte que le préfet aurait laissé entendre que l'enquête judiciaire ouverte à propos des faits qu’il signale, avait des chances d’être étouffée dans l'œuf. Le commentaire du journal est que « La préfecture de police sait fort bien que rien de ce qu'a avancé l'abbé Moreau n'est exagéré; aussi se propose-t-elle de réformer les abus, mais tout en ayant l'air d'en nier l'existence ». Le même journal tient présente également une hypothèse : la préfecture de police « n'ignore pas que c'est l'administration supérieure, représentée par MM. Herbette et Nivelle, qui a fourni à l'auteur du Monde des prisons une bonne partie des documents dont il s'est servi et que, par conséquent, il ne peut y avoir doute sur la sûreté de ses informations. » Louis Herbette (1843-1921) était le directeur de l’Administration pénitentiaire (1882-1891).
À suivre
Pierre François Lacenaire (lith. Wikipédia)
