Mise à jour de la notice publiée le 8 novembre 2018. Début de la biographie d’Antoine Berné
Antoine Berné naît le 13 décembre 1828 à Moissac (Tarn-et-Garonne). Il est le fils de Jeanne Chaubet et de son mari Jean Berné, tailleur d’habits.
Il épouse, en août 1859 à Paris (2e arr.) Marie Ernestine Sainton, originaire de Loudun (Vienne).
Exerçant, comme son père, le métier de tailleur d’habits coupeur, fait partie d’un groupe de seize ouvriers tailleurs qui constituent, le 15 octobre 1863 l'Association générale des ouvriers tailleurs de la ville de Paris. Selon le journaliste Jean Barberet, qui fait l’historique de l’association dans le quotidien Le Rappel en août 1874, ils « se dirent qu'il était temps d’essayer la mise en pratique des principes que, depuis longtemps déjà, ils étudiaient en théorie ». Ils souscrivent au capital pour une somme importante de 3 000 francs, partiellement libérés.
Quatre d’entre eux travaillent au sein de la coopérative, qui a la forme d’une société en commandite, sous la responsabilité de Jean Mathieu Sauva, gérant. Elle est installée rue de Grenelle-Saint-Honoré à Paris (4e arr., act. rue Jean-Jacques-Rousseau) mais, après six mois, le propriétaire exige qu’ils retirent de leur enseignes la mention « association d’ouvriers ». Quoique payant d'avance, ils ont du mal à trouver un propriétaire qui accepte de les héberger, et s’installent rue Fontaine-Molière (1er arr., act. rue Molière).
Après deux exercices légèrement bénéficiaires, les fondateurs lancèrent un appel à leurs collègues de la corporation, pour les engager à se joindre à eux en décembre 1865. Ils transformèrent la structure en société à responsabilité limitée où chaque nouvel entrant devait acquérir une action de cent francs, en payant à l’entrée le quart de son prix. Selon Mathieu Brudon, qui s’exprimait en mars 1871 dans L’Ouvrier de l’avenir, « Un petit nombre de nos collègues répondit à notre appel, malgré la facilité des versements, qui étaient de un franc par semaine; la confiance est si difficile à établir entre semblables ! On est habitué à ne l’accorder qu’au monde officiel ou financier ». Malgré la déception de ce faible recrutement, la société nouvelle est formée en octobre 1866 à Paris avec 53 associés et un capital de 17 000 fr. Berné fait partie des sept membres du conseil d’administration. Il est probable qu’il ait exercé une fonction de direction dès cette période ; il est en tout cas désigné comme un des deux directeurs dans des communications publiées dans la presse à partir de mai 1870. Il partage alors cette fonction avec Brudon. En 1873, il est associé avec Pascal Bance. Il poursuit son rôle directorial entre 1874 et 1878 avec Toussaint puis en 1879 avec Serre. Il quitte la fonction en 1880.
Parallèlement au fonctionnement de la coopérative, Berné joue un rôle dans l’organisation sociale des tailleurs parisiens. La France a reconnu le droit de grève et d’action syndicale en 1864, mais par contre le droit d’association reste très limité par une loi de 1834.
Au cours du premier trimestre de l’année 1867, les ouvriers tailleurs parisiens revendiquent une hausse de leur rémunération et, face aux tergiversations des patrons, entament une grève. Berné devient un des animateurs du mouvement. Il profite de cette occasion pour faire de la propagande en faveur de la coopération de production. Le quotidien de droite La Presse, qui veut la fin du conflit, utilise la fonction de Berné dans sa société pour soutenir qu’elle le disqualifie en tant que représentant des tailleurs.
Pour soutenir les grévistes, et notamment pour financer leur subsistance, plusieurs personnes, dont Berné, constituent une Association fraternelle de solidarité et de crédit mutuel des ouvriers tailleurs, basée rue Rochechouart à Paris (9e arr.). Le préambule des statuts assure que « Les ouvriers tailleurs, résolus à résister, par tous les moyens que leur donne la loi, contre l’avilissement toujours croissant des salaires, et décidés à maintenir la limite de dix heures de travail au plus, afin de donner plus de temps à leur famille et à la culture de l’intelligence, ont décidé de fonder une Société dans le but de soutenir ces conditions ». Les animateurs de la grève font appel à la solidarité internationale, notamment celle des tailleurs britanniques, dont les syndicats versent une contribution à la caisse de grève et s’engagent à ne pas prendre de travail de la part de patrons français.
Le parquet du tribunal de Paris engage des poursuites pour association illicite de plus de vingt personnes et atteinte à la liberté du travail. Six personnes, dont Berné et Bance, président de la société, sont jugées le 2 août 1867 devant la sixième chambre correctionnelle ; seul le premier chef d’inculpation est alors retenu.
Berné est le premier des inculpés interrogés : « Nous n’avons pas cru du tout mal faire; nous avons imité ce que nous voyions faire ouvertement devant nous. [Question du président] Vous étiez plus de vingt personnes ?— [Réponse de Berné]. Oh ! Nous étions plus de deux mille. Q. Quel était le but de l’association? — R. De protéger nos intérêts, de faire respecter la dignité de l’homme. Q. La dignité de l’homme en tant qu’ouvrier tailleur. A quelles époques avaient lieu les réunions? — R. Elles n’avaient pas lieu à époques fixes. D. Dans quel but la Société s’est-elle réunie ? — R. C’était plutôt pour la grève que comme Société ; le comité proprement dit n’a pas eu le temps de fonctionner. D. Avez-vous quelque chose à ajouter? — R. Non, nous avons cru faire ce qui existait dans toutes les corporations, notre but était d’avoir quelques fonds pour subvenir à une grève quelconque. »
Le réquisitoire du procureur Pelletier reconnaît le droit de coalition, mais conteste le droit d’association. Pour lui « L’enjeu du procès, c’est la liberté du travail ! » Il souligne que Berné est membre du comité dirigeant. La défense est assurée par des avocats réputés, connus pour leur engagement politique et social : Ernest Picard, Emmanuel Arago, Emile Durier et Charles Floquet. Ce dernier, principal intervenant des plaidoiries, considère que « l’association découle du droit de coalition » et se félicite qu’il y ait eu 2 832 adhérents.
Le jugement rendu est sévère. Dans ses attendus, le tribunal relève que « si l’association est utile au développement des grèves, elle ne doit pas moins, dans l’intérêt de la sûreté publique, rester soumise à l’autorisation du gouvernement ». En application des articles 291 et 292 du Code pénal, issus de la loi du 10 avril 1834; la sentence « déclare dissoute la Société fraternelle de solidarité et de crédit mutuel des ouvriers tailleurs »; Bien que retenant « des circonstances atténuantes »; il condamne Berné, Bance, Coulon, Jeanroy, Jalinier et Deguergue chacun à cinq cents francs d’amende, somme importante. En appel, en absence des accusés, le jugement est confirmé le 23 août 1867. La Cour de cassation rejette leur recours le 7 février 1868, confirmant que les lois restrictives du droit de réunion et du droit d'association subsistaient.
Le procès a eu un grand écho dans la presse parisienne mais aussi en province. Le quotidien conservateur L’Univers commente ainsi : « On sait que la grève des ouvriers tailleurs s'était imposée avec un caractère de persistance telle, que la justice crut devoir faire des poursuites. Ces poursuites ont abouti à un jugement qui condamne six de ces ouvriers à 500 fr. d'amende et solidairement aux dépens. Mais le point important, c'est la dissolution de la société fraternelle de solidarité et de crédit mutuel des ouvriers tailleurs. Cette suppression a une grande portée, si l'on considère que presque foules les professions parisiennes ont constitué des sociétés de ce genre. Cette suppression frappe donc le principe de la grève dans sa base même. »
Une année plus tard, en juin 1868, le journal des milieux d’affaires, Le Temps revient sur ledit procès. « Nos lecteurs se souviennent encore de ce qui est arrivé l’an passé à la Société fraternelle de solidarité et de crédit mutuel des ouvriers tailleurs. Le jugement et l’arrêt qui ont prononcé la dissolution de cette société, et qui en ont frappé les membres d’une amende assez forte, ne sont pas encore oubliés. En voici la doctrine ou à peu près « Les ouvriers ont le droit de se coaliser ; ils ont la faculté de fonder des sociétés de crédit ; mais il leur est interdit de créer des caisses pour soutenir leurs coalitions; la combinaison de ces deux choses permises, la coalition et le crédit, devient un délit punissable sous le nom d’association non autorisée ». Pareille mésaventure vient d’échoir à l’Association internationale des travailleurs, frappée deux fois en trois mois par la justice, et qui a été avant-hier l’objet d’un sévère arrêt confirmatif ». Cette organisation est la première Internationale, qui regroupe des militants socialistes, communistes et anarchistes.
À suivre
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