Annie de Montfort, écrivain et résistante, est décédée au camp de concentration de Ravensbrück. Selon la plaque commémorative à son nom apposée dans la collégiale Saint-Martin de Montmorency (Val-d’Oise), elle est « morte pour la France et la Pologne. »
Annie, née Arthémise Deguirmendjian-Shah-Vekil, voit le jour le 16 décembre 1897 à Paris. Son père et sa mère, d’origine arménienne, son nés en Turquie et ont fui le pays suite au génocide de 1915. Annie fait des études de médecine et s’installe à Paris pendant le premier conflit mondial.
Elle épouse en 1919 Henri Archambault de Montfort, un spécialiste des questions de l'Est européen, professeur à l'Institut des hautes études internationales et au Centre d'études polonaises de Paris, avec lequel elle publiera plusieurs livres. Ils auront quatre enfants.
Visitant avec son époux l’Europe du Nord-Ouest, Annie de Montfort est co-fondatrice en 1919 de l'Association France-Pologne et en devient la déléguée générale.
Annie de Montfort s’engage très tôt dans la Résistance dès le début de la guerre avec son mari Henri de Montfort, alors directeur des services de l’Institut de France. Ils fondent un journal d’inspiration catholique, La France Continue avec plusieurs intellectuels, comme les écrivains Marietta Martin et Paul Petit, l’historien Émile Coornaert ou le professeur Raymond Burgard.
Douze numéros du journal paraissent entre juin 1941 et février 1942. Imprimé avec soin, au ton violemment anti-Vichy, le journal est un des premiers à évoquer avec précision le sort des Juifs. Son attachement aux valeurs chrétiennes fait qu’il touche, avec dix mille exemplaires diffusés clandestinement, un public différent des réseaux de gauche.
Le réseau est démantelé en février 1942, avec l’arrestation de plusieurs de ses membres. Raymond Burgard, Marietta Martin et Paul Petit mourront en prison en Allemagne en 1944, après avoir été condamnés à mort suite à un simulacre de procès.
Annie de Montfort, qui échappe à la rafle de 1942, continue son activité clandestine. Selon la Société historique et littéraire polonaise et la Bibliothèque polonaise de Paris, Annie est liée au réseau F2 polonais. Pour Henry Aurenche (*), « l'émigration polonaise restée en France s'était groupée, en grande partie, dans le département de l'Isère. Grenoble devint le centre de résistance polonaise et Annie de Montfort y avait de nombreux amis. »
Elle est arrêtée le 18 mars 1943 à Grenoble par la Gestapo italienne pour ses activités de résistance. Elle parvient, d’après Henry Aurenche à assurer la fuite d’un de ses fils, engagé comme lui dans la lutte anti-nazie, et à détruire les documents en sa possession.
Après quelques jours de détention à Grenoble, elle fut transférée à San Remo puis Marseille et Fresnes (Val de Marne) où elle arriva le 23 avril 1943. Elle y resta jusqu'au 22 janvier 1944, date de son transfert vers le camp de transit de Compiègne d’où elle part pour l'Allemagne le 31 janvier 1944.
Elle fait partie des 959 femmes déportées par le transport 175 vers le camp de Ravensbrück. Elle y porte le matricule 27576.
À Ravensbrück, Annie de Montfort participe à la mise en place de structures de résistance avec notamment Émilie Tillion, mère de Germaine Tillion, sociologue et habitante de Saint-Maur-des-Fossés. Les instigatrices du mouvement mènent une action d’éducation. Annie de Montfort organise des conférences sur le vieux Paris et sur l’histoire de la Pologne.
Malade, Annie de Montfort entre au Revier, le dispensaire du camp, le 6 novembre et y meurt le 10 novembre 1944. Germaine Tillion, également internée à Ravensbrück, témoigne qu’Annie de Montfort « quelques minutes avant sa fin, appelait un chauffeur imaginaire. »
Marietta Martin, autre femme écrivain, également engagée dans le mouvement La France Continue meurt le lendemain. La région parisienne était déjà libérée depuis trois mois.
Annie de Montfort a été décorée après sa mort, à titre militaire, de la Légion d’honneur et de la croix d’or polonaise du mérite avec glaives. Son nom figure au Panthéon de Paris, parmi ceux des écrivains morts pour la France.
Parmi les œuvres d’Annie de Montfort, on lira toujours avec intérêt et curiosité deux guides « Pologne », l’un publié chez Hachette, dans la collection « Les Guides Bleus » à Paris en 1939, l’autre repris aux Éditions Nagel à Genève et publié en 1964. Ils témoignent d’une époque où la Pologne avait une toute autre extension territoriale, et rend compte d’un patrimoine en partie disparu.
Elle témoignait d’un « haletant effort de création, continu et réfléchi » dans la Pologne de l’entre-deux guerres.
* Henry Aurenche, in Association des écrivains combattants : Anthologie des écrivains morts à la guerre (1939-1945), Albin Michel, Paris, 1960