Raymond Marie Rougean naît le 16 mai 1844 à Toulouse (Haute-Garonne). Il est le fils d’Antoinette Élisabeth Couzy et de son époux, Charles Julien Rougean, serrurier.
En 1870, Raymond Rougean est employé à la préfecture de police de Paris comme secrétaire de M. Dulac, commissaire de police à Saint-Denis (Seine, act. Seine-Saint-Denis). Les secrétaires des commissariats sont les adjoints des commissaires.
Il épouse en avril 1872 à Paris (11e arr.) Zoé Berecka, native du Var et fille d’un conducteur des ponts et chaussées d’origine polonaise. Ils vivent boulevard Voltaire. Son épouse meurt en octobre l’année suivante. Raymond Rougean se remarie en février 1876 à Paris (4e arr.) avec Joséphine Adèle Agneray, employée de commerce ; ils habitent rue Saint-Antoine.
Toujours secrétaire de M. Dulac, devenu commissaire aux délégations judiciaires à Paris, il l’accompagne en octobre 1880 pour procéder à l’expulsion des religieux de la communauté des Carmes déchaussés, à Paris (16e arr.), rue de la Pompe, après la dissolution d’une partie des ordres monastiques par le gouvernement. Ils sont obligés de sortir de force les pères de leurs cellules.
Toujours sous les ordres de M. Dulac, Rougean est en janvier 1881 à la tête d’une escouade de gardiens de la paix à l’entrée du cimetière du Père-Lachaise à Paris (20e arr.), lors des obsèques du militant socialiste révolutionnaire Auguste Blanqui, auxquelles plus de dix mille personnes participent selon la presse.
En avril 1881, il est nommé commissaire de police à Saint-Denis, à la tête du nouveau commissariat créé dans la partie nord de cette ville, après le dédoublement de l’ancien établissement. En novembre 1883, la presse quotidienne parisienne ainsi que l’hebdomadaire local publient de très nombreux articles sur la réclamation d’un habitant de la commune, relayée à l’Assemblée nationale par un député, Eugène Delattre, membre du groupe de la Gauche radicale (radicaux modérés). Le scandale est dénoncé dans au moins quarante journaux, principalement à Paris mais également en province.
L’homme en question, M. Fleury, propriétaire dans la commune, avait fait appel aux services de M. Rougean pour l’exhumation d’une dizaine de membres de sa famille qu’il voulait transférer dans un autre caveau ; il a déposé une plainte au parquet puis auprès du ministre de la justice, reprochant qu’une « somme d’argent assez considérable », soit 160 francs, lui a « été extorquée par ruse, presque par violence » alors que, selon lui, « l’usage admet seulement que du consentement de l’intéressé, une somme de 10 francs soit allouée au commissaire de police comme gratification volontaire. »
Le Journal de Saint-Denis, journal républicain, qualifie Rougean de « commissaire voleur ». Une réunion publique se tient le 23 décembre dans une salle de la ville, dans laquelle une résolution est votée, déclarant que « le sieur Rougean, commissaire de police, a abusé sciemment de ses droits et pouvoirs ; qu’il a par ces faits perdu l’estime et le respect de tous, nécessaires à un administrateur public ayant d’aussi importantes fonctions ». les participants assurent « qu’il n’a plus qualité morale pour veiller à la sécurité, publique, étant l’objet du mépris général » et « déclarent ne plus considérer moralement le sieur Rougean comme fonctionnaire, attendu qu’il en a perdu les qualités essentielles : honneur et probité. »
La préfecture de police ne prononça pas de sanctions officielles. Cependant, la veille du meeting, le commissaire avait remboursé à son administré la somme versée et il avait été muté dans la circonscription des Lilas (Seine, act. Seine-Saint-Denis), « ce qui ressemble fort à une disgrâce », commentait le quotidien Le Gaulois. Au contraire de la plupart de ses collègues, Le Petit Journal assure que l’enquête de la préfecture de police « a établi la parfaite honorabilité de M. Rougean ». Et La Petite République assure qu’il « a emporté avec lui la sympathie et l’estime de ses administrés dont un grand nombre ont fait une pétition pour demander son maintien à Saint Denis. »
L’arrivée du policier dans son nouveau poste ne passe pas inaperçue. Fin janvier 1884, le le de propagande collectiviste révolutionnaire des Prés-Saint-Gervais-Lilas met à l’ordre du jour d’une réunion « L'affaire Rougean ». Un de ses membres, M. Fuzillier, constitue un dossier en vue de demander sa révocation. En juin la même année, le quotidien L’Intransigeant l’accuse d’avoir ordonné des violences envers « de pauvres femmes et de paisibles citoyens ». Il estime que Rougean veut apparaître comme un commissaire « à poigne », pour se faire bien voir de ses chefs.
En septembre 1886, Rougean est désigné comme commissaire de police de Choisy-le-Roi (Seine, act. Val-de-Marne). Il est de nouveau mis en cause par L’Intransigeant, en août 1891, pour ne pas avoir, selon le quotidien qui fait état de ses antécédents à Saint-Denis, réglé la course d’une personne qu’il avait chargée de conduire en fourrière une voiture appartenant à des individus arrêtés.
Après l’attentat contre la Chambre des députés du militant anarchiste Auguste Vaillant, en décembre 1893, Rougean conduit une enquête sur le Cercle philosophique, fondé par Vaillant à Choisy-le-Roi où il résidait. Il conclut qu'aucun des membres n'avait même eu l'idée de ce que pouvait avoir l'intention de faire l'anarchiste.
Le commissaire doit intervenir, en juillet 1894, pour rétablir l’ordre après des bagarres entre ouvriers français et italiens, employés au chantier ferroviaire de Villeneuve-Triage.
En août 1894, Rougean devient commissaire de police de Joinville-le-Pont, en remplacement de Louis Soullière. Il doit gérer l'explosion en février 1895 d’une chaudière à l’usine du Bi-Métal dans la commune, qui fait quatre morts, dont une enfant du gardien. Elle provoque une vive émotion.
Le mois suivant, les agents du commissariat de Joinville arrêtent un nihiliste russe Joseph Epeler qui criait « Vive l'anarchie ! Vive Caserio ! Mort aux bourgeois ! ». Lors de son interrogatoire par Rougean, il aurait déclaré : « je professe les doctrines anarchistes ; j'étais l'ami de Caserio dont je suis encore l’admirateur ; j'ai voué une haine mortelle aux bourgeois et à la société, qu'il faut détruire. » Sante Caserio, boulanger italien, a assassiné à Lyon en juillet 1894 Sadi Carnot, président de la République. En septembre 1895, il fait arrêter, toujours à Joinville, un ouvrier tréfileur à l'usine du Bi-Métal, Louis-Joseph Mercier, qui criait dans la rue « Vive Ravachol ! Vive Caserio ! »
Rougean prend sa retraite en octobre 1897 ; son départ est salué par l’hebdomadaire radical-socialiste local, Voix des communes : « Il était fort aimé et estimé dans la circonscription, en raison de son esprit de justice, de sa droiture et aussi de sa bonté ». Il est remplacé par M. Parnet, jusque-là commissaire de police à Saint-Denis (nord). Lors de son départ de Choisy-le-Roi en août 1894, c’était Le Réveil républicain qui le saluait : « Il fut ici très bon magistrat, sut tenir la circonscription dans la voie de l'ordre et dans une complète sécurité. De là découle les regrets de beaucoup de le voir partir. »
Il meurt dans sa ville natale de Toulouse, où il avait pris sa retraite rue du Tarn, le 25 novembre 1903. Il était âgé de 59 ans.
Explosion de la chaudière du Bi-Métal, février 1895, Joinville-le-Pont
/image%2F1166198%2F20230514%2Fob_75fde2_chaudiere-plan.gif)
commenter cet article …